L'ENQUÊTE
Vingt-cinq ans, c'est le temps nécessaire à la recherche estimé par Michèle Delaunay, ministre déléguée en charge des Personnes âgées et de l'Autonomie pour que voit le jour un traitement de la maladie d'Alzheimer. Dans l'attente de ce traitement, les mêmes questions demeurent concernant la prise en charge de la maladie, et ce notamment depuis la décision de la Haute autorité de santé (HAS) en 2011 de réévaluer quatre médicaments. Leur Service médical rendu (SMR) avait alors été jugé faible.
Par ailleurs, une étude réalisée par Celtipharm pour Le Monde pointait une diminution des prescriptions de médicaments anti-Alzheimer de 26% entre 2010 et 2013. L'article précisait qu'une rupture était constatée fin 2011, ce qui correspondait à l'avis de la HAS. Une autre étude de la Banque nationale Alzheimer (BNA) montre des résultats similaires et une baisse de l'utilisation de ces médicaments entre 2010 et 2012.
Face à cette diminution des prescriptions, les professionnels constatent aussi une reconnaissance plus importante des thérapeutiques non-médicamenteuses, qu'elles interviennent en complément des médicaments anti-Alzheimer ou pour diminuer la prescription de psychotropes.
Des traitements complémentaires
"Il ne faut pas opposer les médicaments et les thérapeutiques non médicamenteuses, estime Judith Mollard-Palacios, psychologue clinicienne à l'Union France Alzheimer. Cependant on connaît et depuis fort longtemps les limites des médicaments. Ils n'empêchent pas la maladie d'évoluer et de progresser." Elle rapporte toutefois les propos de proches des personnes malades, qui expliquent qu'à l'arrêt du médicament, les patients se portaient moins bien. "Il existe aussi un effet placebo, lorsqu'on prend un médicament on a l'impression d'agir, précise-t-elle. En aucun cas on ne peut dire que ne pas donner de médicaments est une bonne chose."
Pour le Pr Philippe Robert également, les différents traitements, médicamenteux et non-médicamenteux, doivent être utilisés en parallèle. "Il faut essayer de soigner les gens de la meilleure façon possible et avec tous les instruments. Ce qui marche le mieux est l'association des différentes thérapeutiques." Concernant l'efficacité des médicaments, le responsable du centre mémoire universitaire de Nice et responsable d'une équipe de recherche CoBTek (Cognition – Behaviour – technologie) poursuit qu'ils "ne guérissent pas et ne modifient pas la maladie elle-même. Ce sont des traitements symptomatiques qui tentent de maintenir un peu plus les capacités restantes."
Savoir arrêter la prescription
"Le principal service médical rendu de ces médicaments est que cela a permis de reconnaître la maladie comme une maladie chronique, affirme le Dr Laurence Duquel, médecin chef de l'Hôpital privé gériatrique des Magnolias (HPGM). Cela a aussi permis à des personnes de se faire diagnostiquer, de pouvoir avoir accès aux soins et de mettre en place un plan de soins."Selon elle, même si les médicaments ont leur limite, le développement des molécules a eu pour bénéfice de donner un nom à la maladie (lire ci-contre). Le médecin pense toutefois que les médicaments ont une efficacité, "très certainement au début de la maladie, mais au bout de 2 ou 3 ans d'utilisation très souvent les effets s'épuisent et il existe aussi des intolérances. Il faut mener une réflexion avant de décider de les introduire à un stade avancé de la maladie et également se poser la question de savoir les arrêter." Pour le docteur Laurence Duquel la question se pose aussi de savoir si certains des symptômes ne sont pas des effets paradoxaux des médicaments.
Le docteur Mathieu Mion, a de son côté, un avis beaucoup plus tranché sur les médicaments anti-Alzheimer. "Le bénéfice est quasi-nul", estime le responsable de l'Unité de gériatrie Aiguë de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart. Dans sa pratique, il constate que de moins en moins de ses patients prennent ces médicaments. En tout état de cause, il arrête systématiquement la prescription. "Et cela se passe très bien. Il arrive que certains patients aient perdu une dizaine de kilos mais après ils arrêtent de maigrir". Syncope, nausée, diarrhée, perte d'appétit, sueurs, crise d'épilepsie, sont quelques-uns des effets secondaires cités par le médecin. "Ces médicaments sont peut-être utiles à 5 ou 10% des patients de manière transitoire", poursuit-il.
Reconnaissance des traitements non médicamenteux
"Les thérapeutiques non-médicamenteuses ont tout à fait leur place, quel que soit le stade de la maladie, reprend le docteur Laurence Duquel. Il n'y a pas de prise en charge de la maladie d'Alzheimer sans cela. Cela permet une bientraitance des soignants et des soignés par une réduction des comportements perturbateurs des patients et des attitudes inadaptées des soignants." Ainsi ces thérapeutiques visent à améliorer la qualité de vie mais aussi à permettre une réduction des médicaments psychotropes. Si ces médicaments sont parfois nécessaires, le médecin souligne aussi l'importance d'une prescription éclairée, pour évaluer pour quelle finalité les donner, pour combien de temps et à quel moment réévaluer cette prescription.
Ces prises en charge peuvent aussi avoir pour "objectif plus ambitieux de ralentir la progression de la maladie", souligne la psychologue Judith Mollard-Palacios. Les médicaments luttent contre le déficit tandis que les prises en charge non-médicamenteuses s'intéressent aux compétences restantes.Elle explique également que la prise en charge est très individualisée, "elle doit se développer de façon très personnelle en fonction des compétences de la personne". De plus, les pratiques telles que la musico-thérapie, l'art-thérapie ou le théâtre, ne mobilisent pas tant les compétences cognitives que les perceptions et l'émotion. Là encore, Judith Mollard-Palacios estime qu'il ne faut pas opposer les traitements qui agissent sur la mémoire ou le ressenti, "ils s'adressent souvent à l'une et à l'autre."
Dans les premiers stades de la maladie, ces pratiques peuvent également permettre aux personnes de maintenir leur autonomie. Si la psychologue note effectivement, concernant ces thérapeutiques, une évolution dans les mentalités et les pratiques, elle regrette toutefois des financements encore très insuffisants.
Pour le docteur Mion, il est difficile d'évaluer ces thérapeutiques non-médicamenteuses, notamment en raison de leur hétérogénéité mais elles peuvent selon lui permettre une amélioration de la qualité de vie des aidants. Il estime d'ailleurs que la priorité est l'information et l'aide aux aidants. Et de déclarer, "il faut que l'allocation personnalisée d'autonomie soit correcte, que les personnes puissent avoir accès à des structures de répit et que du personnel compétent puisse prendre le relai."
Promouvoir les essais thérapeutiques
"Il y a effectivement tout un courant en faveur des thérapeutiques non-médicamenteuses et je le soutiens, précise le Pr Philippe Robert. Pour lui, ces pratiques sont le grand succès du dernier Plan Alzheimer qui a cherché à les promouvoir à la fois pour le grand public et pour les professionnels. Concernant la prescription de psychotropes, le professeur explique "qu'il y a eu à raison tout un combat pour essayer de les réduire et d'apprendre notamment au personnel des Ehpad comment gérer des petits troubles du comportement par une prise en charge spécifique". Selon lui, il y a eu chez les médecins également une véritable prise de conscience.
Quant à la recherche, le professeur souligne que le nombre d'essais thérapeutiques reste très élevé, mais que les résultats ne se feront pas jour immédiatement. "Au sein du réseau des Centres mémoire de ressources et de recherche, nous essayons de faire en sorte que chaque centre puisse proposer des essais thérapeutiques", précise-t-il.
Cécile Rabeux
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