"Les vacances se sont-elles bien passées. Et la rentrée ?", demande-t-il à l'un. "Ah, tu fais du skate", dit-il en souriant à un autre, qui vient d'entrer dans le bureau, planche à roulettes sous le bras. Ce mercredi après-midi de septembre, le professeur Bruno Falissard assure sa consultation hebdomadaire à l'hôpital Robert-Debré (Paris). Dans sa salle d'attente, des enfants et adolescents à l'âme plus ou moins cabossée : hyperactifs, autistes, dépressifs... Le pédopsychiatre prend son temps, vérifie des informations médicales sur son smartphone, discute des choix thérapeutiques avec ses petits patients et leurs parents. Son allure est décontractée, ses mots simples, la confiance qu'il inspire est palpable.
Quand il était interne en psychiatrie, le choix de s'occuper d'enfants n'avait pas été immédiat. "Il faut être honnête, quand on est un jeune médecin, la psychiatrie adulte est plus attirante. Les tableaux cliniques sont plus clairs, comme dans les livres. La pédopsychiatrie, c'est le chaos, on n'y retrouve pas ses petits", raconte ce Bordelais d'origine avec une pointe d'accent du Sud-Ouest. Il a en tout cas fini par y trouver son compte."J'aime parler à un enfant, poursuit-il. Cela nécessite d'être complètement honnête avec soi-même et avec l'autre. Quand on lui demande comment il va, il faut vraiment s'intéresser à lui. C'est une leçon de vie." La pratique clinique n'est cependant qu'une part minoritaire des activités de ce pédopsychiatre père de trois enfants, au parcours atypique.
X AVANT PSY ?
Professeur de santé publique et de biostatistique, à la tête de l'unité Inserm 669 (Maison de Solenn - Maison des adolescents, Paris), soit six équipes de recherche spécialisées dans les problématiques de santé mentale et de santé publique, Bruno Falissard a été d'abord polytechnicien. X avant psy ? "J'adorais les maths, mais il me manquait l'ouverture à l'autre, justifie le médecin, qui a enchaîné les deux formations dans les années 1980. Maths et psychiatrie ont des points communs, ce sont deux disciplines d'introspection. Et puis, il y a une vraie synergie : plus une matière est complexe, plus elle a besoin d'étayage formel."
Le monde des ingénieurs a perdu un humaniste, celui de la santé mentale a gagné un chercheur rigoureux et innovant. "Bruno est l'un de ceux qui ont le plus développé l'approche qualitative ou mixte en psychiatrie, qui permet enfin à cette discipline de prendre en compte la subjectivité, et desortir du "moyennage" systématique des individus, souligne l'addictologue Henri-Jean Aubin, qui travaille avec lui dans l'unité 669.L'approche qualitative permet également de parer les biais qu'introduisent les instruments de mesure classiques, qui poussent les chercheurs à explorer toujours les mêmes aspects de la problématique, fonctionnant comme des oeillères." Avec ses étudiants, le professeur Aubin le sollicite pour cadrer ses projets sur le plan méthodologique et, à chaque fois, ressort "en confiance".
"DÉPISTER LA SOUFFRANCE PSYCHOLOGIQUE DES BÉBÉS"
"Que vous vous posez une question pointue de recherche en pédopsychiatrie ou sur un quelconque sujet de santé mentale, Bruno Falissard va chercher une méthode pour y répondre, renchérit la psychiatre et philosophe Marie-Rose Moro, chef de service à la Maison de Solenn. Grâce à lui, on a construit des outils pour étudier de façon internationale et transculturelle la santé mentale des adolescents, pour dépister la souffrance psychologique des bébés... C'est un chercheur audacieux au sens noble du terme, toujours disponible, et volontaire pour aller partager ses connaissances sur le terrain."
Un état d'esprit perceptible aussi à la consultation du site Internet (Bruno.falissard.pagesperso-orange.fr) de ce partisan du logiciel libre. Il y a une dizaine d'années, il avait conduit une étude inédite par son ampleur pour évaluer la fréquence des troubles psychiatriques dans les prisons françaises, démontrant que ceux-ci y sont bien plus répandus que dans la population générale.
ÉVALUATION DES THÉRAPEUTIQUES
En association avec d'autres équipes, principalement au Canada, son unité explore aujourd'hui de multiples thèmes concernant les adolescents et les adultes : troubles du développement, addictions, désordres du comportement alimentaire, évaluation des thérapeutiques en psychiatrie... A la demande du ministère de la santé, Bruno Falissard a aussi réalisé plusieurs rapports d'expertise de soins non conventionnels, comme la mésothérapie et l'ostéopathie.
"La recherche en psychiatrie ne doit pas être différente de celle qui se pratique en médecine, les deux peuvent apprendre mutuellement l'une de l'autre", note modestement le chercheur. On aurait pu l'imaginer fasciné par les neurosciences, du fait de son passé d'ingénieur. Il n'en est rien. "Ce que je reproche aux grands projets du type Human Brain Project, c'est de modéliser un cerveau, pas un sujet pensant, relève-t-il. Aujourd'hui, dans les congrès, les processus mentaux sont toujours représentés sous forme d'accomplissement de tâches. Ce sont des travaux bien faits, mais quand je demande à leurs auteurs : "Donner un sens à sa vie, c'est où ?", je n'ai pas de réponse." Inversement, il s'agace de la "mauvaise foi des psychanalystes qui prétendent que leur discipline ne peut être abordée avec un regard scientifique". Lui-même se verrait bien comme un pont entre ces deux mondes, ce qu'il propose dans un de ses ouvrages, Cerveau et psychanalyse. Tentative de réconciliation (L'Harmattan, 2008).
Un autre défi l'attend. Le 17 octobre, jour de ses 52 ans, il prendra le départ de la Diagonale des fous, le grand raid organisé sur l'île de la Réunion. Une course de 163 kilomètres, 9 900 mètres de dénivelé positif, que l'ancien marathonien, reconverti en coureur de trail, voudrait bien terminer après deux tentatives infructueuses. "Courir aussi longtemps, seul dans la nature, cela a un petit côté animiste", dit-il. Une autre façon d'explorer les limites de l'esprit humain.
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