LE MONDE | Par Laetitia Clavreul
Le ministère de la santé avait pourtant essayé de fixer un cadre strict pour le lancement de la vente sur Internet des médicaments non soumis à ordonnance, le 12 juillet. Pour assurer la sécurité des patients, il avait édicté une liste de "bonnes pratiques". Mais entre les sites pirates qui se multiplient et ceux, agréés, qui ne sont pas conformes aux règles, c'est plutôt la confusion qui règne.
Pharmacie–trappes.com, Pharmacie–sarreguemines.com... En un mois, l'ordre des pharmaciens a repéré un, puis deux, et aujourd'hui près d'une centaine de sites illégaux – "une véritable catastrophe" – et prévoit que ce n'est qu'un début. Les pirates ont profité de la nouvelle réglementation pour tromper le client. Comme chaque site doit être le "prolongement"d'une pharmacie physique, ils ont récupéré des noms de domaine abandonnés créés par de vrais pharmaciens d'officine, donnant ainsi l'illusion d'un site agréé. Cela relève de l'exercice illégal de la pharmacie, voire de l'escroquerie.
Sur ces sites, pas de Doliprane ou d'Efferalgan, autorisés à la vente en ligne mais peu lucratifs – plutôt des gélules contre les dysfonctionnements érectiles ou pour maigrir. Ces produits peuvent être contrefaits, faux, ou encore interdits en France car jugés dangereux.
Début août, l'ordre a porté plainte contre neuf sites auprès de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp). Une enquête judiciaire a été ouverte. L'accès à ces sites, hébergés en France, a été coupé. Après ce signalement, l'Oclaesp a trouvé une vingtaine de sites qui leur sont liés. De son côté, l'ordre, qui dispose d'une cellule de veille, en a encore déniché plusieurs dizaines, reliés selon lui à des sociétés basées en Russie, en Sibérie, en Belgique ou au Québec. Une deuxième plainte est en préparation.
HÉBERGEUR AGRÉÉ OBLIGATOIRE
La vente illégale de médicaments sur le Net ne date pas d'hier, mais, pour le lieutenant-colonel Nicolas Duvinage, adjoint au commandant de l'Oclaesp, "ce qui est nouveau, c'est le mode opératoire, qui consiste à utiliser l'adresse en déshérence d'une pharmacie réelle et physique".
Les acheteurs vont devoir se montrer prudents, car, tant que les réseaux n'ont pas été démantelés, chaque fermeture de site peut être suivie de l'apparition d'une nouvelle boutique en ligne tout aussi illégale. Pour protéger patients et pharmaciens, l'ordre envisage de créer un nom de domaine (Pharma-france.fr), auquel chacun pourrait ajouter le nom de son officine pour constituer son adresse web.
Face à ce phénomène, révélé par Le Parisien le 7 août, le ministère de la santé a aussitôt réexpliqué l'importance de vérifier que "l'e-pharmacie" consultée a bien été agréée sur la liste qui figure sur son site et sur celui de l'ordre.
Mais là aussi, difficile de s'y retrouver sur les 44 sites autorisés (Pharma-on-line.com, Pharmacie-riquewihr.fr...), qui n'ont pas tous pris l'option d'indiquer très clairement leur appartenance à une pharmacie du coin de la rue, préférant jouer la carte du site de vente à distance classique pour capter un maximum de clients.
Peu, en outre, respectent totalement la longue liste d'obligations. Les sites ne font pas systématiquement référence à l'agence régionale de santé (ARS) qui a autorisé leur création. Et très rares sont ceux qui ont intégré un lien vers le formulaire de pharmacovigilance de l'Agence nationale de sécurité du médicament, pour lancer l'alerte si un produit semble poser problème.
Surtout, un seul, Lebonremede.fr, indique avoir opté pour un hébergeur agréé par le ministère. C'est pourtant obligatoire, car les pharmaciens en ligne recueillent des données sensibles sur les traitements des patients ou leur état de santé. Trois autres, Jevaismieuxmerci.com, Pharmashopi.com et Pharma-gdd.fr, indiquent être en train de changer d'hébergeur. Quinze sites sont chez des hébergeurs non agréés. Les autres ne mentionnent pas d'hébergeur ou sont encore en construction.
"PÉRIODE D'INDULGENCE"
Cause de ces désordres : les premiers sites ont été autorisés avant la publication, le 20 juin, de l'arrêté détaillant les bonnes pratiques. "Ils doivent se mettre en conformité. Les ARS leur ont envoyé un courrier pour le leur signifier", explique le ministère de la santé, qui promet, passée une "période d'indulgence", de se montrer "très vigilant".
Les choses auraient été plus simples si l'ordonnance autorisant la vente – publiée en décembre 2012 – et la définition des règles étaient apparues de concert. Notamment, le changement de majorité en 2012 a retardé les travaux. La présidente de l'ordre, Isabelle Adenot, reconnaît "une période un peu flottante" et "une mise en œuvre assez difficile". Elle espère aujourd'hui que tout rentrera vite dans l'ordre.
Les consommateurs s'y retrouveront-ils pour autant ? Si la règle semble simple – un site, une officine –, elle ne sera pas forcément appliquée au pied de la lettre. Certains ont en effet bien compris que le marché ne pourra être porteur que si la vente se fait à grande échelle. Ainsi, Universpharmacie.fr – site agréé qui ouvrira en septembre, lié à une pharmacie de Colmar – devrait gérer les commandes, mais les produits pourraient être envoyés dans toute la France dans d'autres pharmacies du groupement.
Une requête contre l'arrêté du 20 juin a également été déposée devant le Conseil d'Etat par 1001Pharmacies, qui plaide pour l'autorisation d'un modèle de plate-forme – un site Internet pour plusieurs pharmacies.
Face à une telle complexité et alors que de nouveaux sites pirates et agréés ne tarderont pas à ouvrir, les clients ont tout intérêt à se renseigner au maximum et à exercer leur œil. Parmi les principes de base : ne jamais acheter sur Internet des médicaments dix fois moins cher qu'en officine, ni des produits qui ne peuvent être vendus que sur ordonnance, tel le Viagra. Ce sont forcément des arnaques.*
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