Christiane Taubira, la garde des sceaux, a élaboré un projet de réforme de la procédure pénale, dont la pierre angulaire est l'individualisation des peines de prison. Il s'agirait notamment de supprimer les peines planchers, et de rendre systématique l'examen de la situation des détenus condamnés à des peines inférieures à cinq ans et ayant accompli les deux tiers de leur peine.
L'objectif d'une telle réforme est double. Il s'agit d'une part de réduire le taux d'occupation des prisons, et d'autre part de lutter contre la récidive. Le choix de l'incarcération nécessite un dispositif onéreux ; cette dépense publique doit être mise en balance avec le risque de récidive des détenus. La question qui se pose est donc de nature empirique, et non idéologique : quelle politique pénale permet d'atteindre le meilleur équilibre entre la réduction du risque de récidive et le coût des détentions ?
Dans un article paru en février dans le Quarterly Journal of Economics, Ilyana Kuziemko, professeure à l'université de Columbia (New York), analyse en détail les effets des variations de la politique pénale de l'Etat de Géorgie ("How should inmates be released from prison ?"). Cette étude apporte quelques éléments de réponse qui méritent toute notre attention.
RÉDUIRE LE RISQUE DE RÉCIDIVE
Tout d'abord, Ilyana Kuziemko cherche à établir si le temps passé en prison réduit le risque de récidive. C'est une question délicate. En effet, si le système judiciaire n'est pas totalement inefficace, les individus présentant le risque de récidive le plus élevé sont aussi ceux qui sont libérés le plus tard.
Une mesure directe sous-estimerait donc l'effet du temps passé en prison sur le risque de récidive. En analysant les décisions du comité des libérations conditionnelles (parole board) de l'Etat de Géorgie entre 1995 et 2006, elle montre que deux années de détention permettent de faire passer de 60 % à 30 % le risque de récidive à trois ans.
Une politique pénale efficace doit donc allouer en priorité les places de prison aux détenus à fort risque de récidive. Un examen systématique et individuel des peines permettrait-il d'atteindre cet objectif ? Il est difficile de répondre, car les peines prescrites correspondent en général aux peines réalisées, et réduisent le risque de récidive.
Iliyana Kuziemko étudie notamment les effets d'une mesure de libérations massives décidée en 1981 par George Busbee, le gouverneur de Géorgie. Ses travaux montrent que le comité des libertés conditionnelles de l'Etat parvient effectivement à attribuer des peines plus longues aux individus à haut risque de récidive.
EVITER LE DOGMATISME
Enfin, les politiques pénales souples incitent-elles les détenus à réduire leur risque de récidive afin de bénéficier de libération anticipée ? L'instauration de peines planchers en Géorgie pour les responsables de certaines infractions entre 1997 et 2006 permet à Ilyana Kuziemko d'apporter une réponse.
Elle montre que le taux de récidive des membres du groupe auquel s'appliquent les peines planchers a augmenté significativement plus que celui des autres détenus, ce qui implique qu'ils ont moins investi afin de réduire leur risque de récidive.
Une généralisation des peines planchers à l'ensemble des infractions conduirait ainsi à une augmentation de 10 % du taux d'incarcération, et à une hausse de 3 % du taux de criminalité.
Naturellement, ces résultats ne permettent pas de prescrire une politique pénale idéale. Néanmoins, pris dans leur ensemble, ils plaident en faveur d'une application souple et individualisée des peines.
Surtout, ils suggèrent que la réforme proposée par la garde des sceaux mérite sans doute mieux que des oppositions dogmatiques et vaguement démagogiques.
Thibault Gajdos (Directeur de recherche au CNRS)
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