"La psychiatrie et la maison de retraite sont deux mondes qui n'ont pas à coexister." Assis derrière un bureau encombré, Joseph Magnavacca ne mâche pas ses mots. Pour le directeur de la maison de retraite du Parc, à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), la situation est claire : les résidents venant d'établissements psychiatriques n'ont rien à faire chez lui. Sa maison de retraite en accueille pourtant quatre, sur un total d'une centaine de lits.
Réduction des budgets et du nombre de lits – 57 410 en 2010 contre 78 000 en 1994 – oblige, les hôpitaux et cliniques psychiatriques se tournent de plus en plus vers les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pour leur demander d'accueillir leurs pensionnaires les plus âgés. Les plus de 60 ans représentent 18 % des malades mentaux. S'il n'existe pas de chiffres officiels sur le sujet, la plupart des maisons de retraite admettent la présence de "plusieurs"résidents venant de psychiatrie.
"NE PAS S'ENFERMER DANS LA PEUR DU 'FOU'"
Car l'hôpital psychiatrique coûte cher. Et la Sécurité sociale est seule à en assumer le coût, quand les Ehpad sont en partie financés par les résidents et leurs familles. Dans un contexte de rigueur, l'accueil des malades mentaux vieillissants en maison de retraite est donc une solution tentante.
Mais, au-delà, des psychiatres justifient la présence de malades mentaux dans des maisons de retraite par la volonté de les intégrer dans une forme de "normalité". "Certes un malade mental peut, à tout moment, devenir dangereux, rappelle le psychiatre Renaud Lacrotte. Pour autant, il ne faut pas s'enfermer dans la peur du 'fou'. Si les malades mentaux sont stabilisés, pourquoi n'iraient-ils pas en maison de retraite ?"
"Les politiques sectorielles, c'est fini, remarque de son côté Claudy Jarry, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). A tous les niveaux, on recherche l'intégration : les enfants handicapés à l'école, les crèches intergénérationnelles... Cela relève de la même recherche de 'normalité'."
Voilà pour la théorie. En pratique, les maisons de retraite restent peu préparées – et peu disposées – à accueillir des pensionnaires venant de psychiatrie. "Parfois, cela se passe bien, admet Joseph Magnavacca. Nous avons chez nous un monsieur de 65 ans qui est stabilisé par son traitement. Mais le jour où il a une crise, que fait-on ?" L'accès de démence du malade mental : voilà le scénario qui effraie.
Autre problème soulevé par les Ehpad : la cohabitation avec les autres résidents. "Pour beaucoup, la maison de retraite, c'est déjà l'antichambre de la mort, lâche Joseph Magnavacca. S'il y a en plus des résidents 'psy', ils le vivent mal". "Mixer les profils n'apporte rien à personne, renchérit Jean-Yves Rouffet, médecin coordonnateur en Ehpad. Au contraire : le rejet des personnes âgées envers la différence est impressionnant."
"SOLUTIONS DE DÉPANNAGE"
A 77 ans, Gérard Desdouets fait partie des résidents "normaux" de la maison de retraite du Parc. Assis sur le couvre-lit vert d'eau, dans la semi-pénombre de sa chambre, il reconnaît ne pas être à l'aise avec ces compagnons particuliers. "La maison de retraite, c'est pour quand on vieillit et c'est tout", dit-il. A demi-mot, il évoque des résidents "difficiles",des cris, des pleurs.
La cohabitation est d'autant plus compliquée que les pensionnaires venant de psychiatrie sont souvent plus jeunes : l'âge moyen en Ehpad est de 85 ans, alors que les résidents issus de psychiatrie ont une soixantaine d'années. Ils se retrouvent mélangés à des personnes présentant d'autres troubles. A commencer par la maladie d'Alzheimer, qui concerne 45 % des résidents en Ehpad. "Ce sont vraiment des solutions de dépannage",soupire Jean-Yves Rouffet.
Un dépannage qui se prolonge. "Je reçois environ 25 dossiers de 'psy' par an, témoigne-t-il. J'en ai reçu un aujourd'hui : une personne de 63 ans, schizophrène." Demande refusée. Il sera proposé à d'autres établissements jusqu'à ce que l'un d'eux, peut-être en peine d'occuper tous ses lits, accepte.
PRINCIPE DE RÉALITÉ
Le désir de "normalité" se heurte souvent au principe de réalité. Telle est la conclusion de Jean-François Soulier après plusieurs années à la tête d'un Ehpad en Haute-Loire. "Certains résidents de psychiatrie s'adaptaient très bien, d'autres pas du tout, explique-t-il. Une personne âgée avec des troubles liés à l'alcoolisme sera impossible à gérer en milieu ouvert, avec le café du coin à 50 mètres. Ces troubles, mineurs en hôpital psychiatrique, deviennent majeurs en milieu ordinaire."
Fort de son expérience, il a mis au point un concept d'Ehpad capable d'héberger des malades mentaux. Une résidence divisée en trois unités, pour éviter l'effet de "contagion" en cas de crise. Un psychiatre présent dix heures par semaine, des soignants formés spécialement. Enfin, condition importante dans un département rural : la proximité d'un hôpital psychiatrique. Validé en 2007, le projet n'a pu aboutir, faute de terrain.
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