16 juillet 2013
Un rapport remis à Matignon prône une remise à plat des parcours de soins, qui devraient être davantage centrés sur les malades.
Voilà un petit exemple, dans la litanie des dysfonctionnements de notre système de santé, extrait du rapport d’Alain Cordier «Pour un projet global pour la stratégie nationale de santé», rendu public, hier. Quand un patient sort de l’hôpital, la règle veut qu’il y ait un courrier de fin d’hospitalisation «qui résume les conclusions de l’hospitalisation et établit des préconisations de prise en charge après la sortie». Ce courrier doit être signé par le médecin de l’établissement et adressé au médecin de ville ou à la structure de transfert, ou encore remis au patient le jour de sa sortie. Et il doit être envoyé dans les huit jours. «La réalité est que 25% de ces courriers ne sont jamais retrouvés, 55% sont incomplets», note le rapport. «En 2012, seulement 20% des établissements ont suivi les recommandations…» Un petit détail, apparemment anodin, mais qui montre combien notre système de santé n’a pas intégré le changement majeur de ces vingt dernières années, avec la montée en puissance des maladies chroniques, le poids de la vieillesse, et la nécessité de parler en termes de soins et non plus d’hospitalisation.
«Cap». Comment suivre, en effet, le parcours d’un patient quand le moindre courrier n’est même pas adressé ? Tel est le défi, aujourd’hui. Lorsque le Premier ministre a souligné, à Grenoble en février, la nécessité de mettre sur pied une «stratégie nationale de santé», nombreux avaient pourtant ironisé ; son discours était terriblement administratif et sans souffle. «Il faut fixer pour les cinq à dix années à venir, expliquait Jean-Marc Ayrault, une nouvelle stratégie, un cap, avec des réorganisations indispensables à notre système de santé et, en particulier, préciser les modalités de mise en œuvre de la couverture complémentaire à tous les Français à l’horizon 2017 et identifier les conditions d’une amélioration de la gouvernance globale, territoriale et nationale, de notre système de soins et d’assurance-maladie.» Du pur jargon. Et lorsqu’on a appris, dans la foulée, qu’Alain Cordier, ancien directeur des hôpitaux de Paris, allait présider un comité des sages pour rendre un rapport sur le sujet, on a pu craindre l’immobilisme, tant le personnage est prudent.
Bricolage. Alain Cordier vient de rendre sa copie. Surprise, elle n’est pas vide. Dix-neuf recommandations, qui le conduisent bien souvent à mettre les pieds dans le plat. «Ce n’est pas encore très opérationnel, analyse un ancien ministre, mais il y a quelque chose.Si en plus, il y a un vrai pilote pour mener à bien ce chantier, tout sera possible, même changer notre système.» Se passerait-il donc enfin quelque chose dans le monde de la santé ? Le rapporteur, avec son petit groupe d’experts, part donc de cette idée simple : en dépit de l’explosion des maladies chroniques et du vieillissement de la population, l’organisation de soins reste terriblement centrée autour de l’hôpital, elle ne fonctionne plus. «Le nouveau système doit être bâti autour des patients et non plus des structures», est-il préconisé.
Certes, mais comment y arriver ? Premier constat : en finir avec le bricolage de ces vingt dernières années. «Le temps n’est plus d’en rester au seul accompagnement d’initiatives militantes et d’expériences innovantes. Notre recommandation est d’abandonner ce processus qui dure depuis au moins deux décennies, si ce n’est beaucoup plus.» Ou encore : «Les résultats des expérimentations seront toujours au mieux probants mais non généralisables, au pire considéré comme devant justifier d’autres expérimentations pour évaluer les résultats des premières. Dans certains cas, les expérimentations sont même tout simplement oubliées en cours de route.» Il y a urgence à passer à «une autre stratégie», celle-ci globale.
AlzheimeR. Le rapport pointe des séries de loupés : «les inégalités d’accès aux soins qui se creusent» ; «les taux de couverture vaccinale qui restent singulièrement insuffisants» ; «la réalisation de la visite à 6 ans pour tous les enfants qui n’est toujours pas totalement effective» ; «les réseaux de santé, dont tout le monde vante les mérites, qui s’épuisent» ; «cinq ans après la création attendue de 500 maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (Maia), moins de 200 en ordre de marche» ; «les restructurations des hôpitaux [qui] s’éternisent très souvent» ;«l’informatisation du monde sanitaire qui est en retard», sans oublier le scandale autour du dossier médical personnel où des milliards d’euros ont été dépensés, en vain. Pour tenter de mettre sur pied ce nouveau système de santé autour du parcours de soins, et non plus autour des structures, Alain Cordier et son groupe propose dix-neuf recommandations.
Un ensemble classique mais cohérent : cela va de la promotion de la santé «pour tous» à l’implication de la personne malade et de sa famille mais aussi «créer une instance représentative des associations» ; «lancer un service public territorial de santé, en favorisant la constitution d’équipes de soins primaires» ou encore«la création de nouveaux métiers pour coordonner le parcours des malades chroniques», sans oublier le développement de la télémédecine ; «réformer les modalités de rémunération et de tarification» ; «œuvrer au développement de nouvelles fonctions et des nouveaux métiers de santé». Enfin, il faut aller plus loin dans l’autonomie accordée aux agences régionales de santé, «avec un pilotage national totalement réorganisé». «C’est un bon texte, car il met la défragmentation au cœur de la réforme. Il casse les règles habituelles de fonctionnement», réagit, en connaisseur, le professeur Olivier Saint-Jean, gériatre et spécialiste des réseaux chez les personnes très âgées.
Inversion. Réaction positive de Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique et social. «Même s’il faut aller plus loin sur les questions de financement, nous sommes tous d’accord : il faut arrêter avec un parcours de soins qui n’est qu’un parcours de médecins, alors que cela doit être le parcours du patient.» Et Jean-Paul Delevoye d’insister sur l’inversion de la logique : «partir du patient». Le Pr Saint-Jean ajoute : «Tout le problème, maintenant, est la volonté politique qui va suivre.» Là est l’enjeu : qui va porter ce changement ? La ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, est prise par les retraites. Le nom de Claude Evin, ancien ministre de la Santé, est évoqué pour être le «pilote», ce qui donnerait à l’évidence de la crédibilité à ce changement. Mais rien ne se décidera avant la rentrée.
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