Acteurs de leur maladie
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par Pascale Santi
Yvanie Caillé se retrouve dialysée en urgence à 28 ans. Un vrai choc pour cette jeune femme. Une maladie rénale avait été diagnostiquée à l'âge de 12 ans, mais elle n'avait eu aucun symptôme, et l'avait "mise de côté". Elle est greffée le 31 mai 2002. Sa mère lui donne l'un de ses reins. "Je me souviens de la détresse que j'ai ressentie lorsque mon état de santé s'est dégradé et m'a conduite en dialyse, raconte-t-elle. Parce que je ne connaissais personne qui soit passé par là, parce que j'étais terrorisée par ce qui m'attendait, parce que j'ignorais tout du traitement et de ses conséquences. Cette peur de l'inconnu a rendu les choses encore plus difficiles, et je pense aujourd'hui que si j'avais pu échanger avec d'autres personnes ayant vécu des expériences similaires, mon angoisse aurait été bien moindre."
Quelques mois après sa greffe, frustrée du peu d'information des sites francophones sur Internet, Yvanie Caillé a "bricolé un site" - mis en ligne le 30 septembre 2002 -, qui s'est appelé Renaloo. Un forum est rapidement installé.
Dix ans plus tard, l'association Renaloo s'attaque à la prise en charge des patients. Elle a piloté les états généraux du rein, qui ont réuni associations, professionnels et hôpitaux impliqués dans les maladies rénales. Lancés en mars 2012, ils se sont achevés lundi 17 juin. Dans ce cadre, une enquête menée auprès de 9 000 malades a dressé un état des lieux alarmant (supplément "Science & techno" du 30 mars). "Il est nécessaire de repenser la relation entre soignants et soignés", insiste Yvanie Caillé. Cette nécessité est d'autant plus forte que le nombre de personnes atteintes de maladies chroniques, tous types confondus, ne cesse de croître : 15 millions en France, soit un quart de la population, 200 000 nouveaux cas par an. Une croissance qui s'explique par les dépistages précoces, les progrès thérapeutiques qui permettent d'augmenter l'espérance de vie, la dégradation de l'environnement... Ce sont pas moins de 8 millions d'aidants qui accompagnent ces malades.
La gestion au long cours de cette forme de maladie peut entraîner de la douleur, de la fatigue, de l'usure. Les soins, qui se faisaient encore récemment à l'hôpital, s'effectuent de plus en plus à domicile, ce qui impose de nouvelles formes de prises en charge.
L'accès à Internet change aussi le comportement des malades et la relation avec les soignants. Rares sont aujourd'hui les patients, ou leurs proches, qui arrivent en consultation sans avoir cherché des informations sur le Web. Les médecins ont dû se faire une raison.
Les patients se font entendre. L'épidémie de sida, dans les années 1980, marque un tournant majeur : les malades se mobilisent très fortement, créent des associations, demandent à participer aux orientations de la recherche et s'imposent comme acteurs de la santé. Autant de concepts qui deviendront des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
ACTEUR DU SOIN
En France, la mobilisation des associations de lutte contre le sida (Aides, Act Up), puis les Etats généraux du cancer, fin 1998, et ceux de la santé ont conduit à la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades et la qualité du système de santé, dite loi Kouchner : droit du patient à accéder à son dossier médical - possibilité qui n'est guère utilisée -, représentant des usagers dans les établissements de santé, devoir des médecins de rechercher le consentement aux soins. "Chaque individu, même malade, demande à être considéré avec respect et dispose du droit de participer aux décisions importantes qui conditionneraient son avenir. Le patient est donc regardé de plus en plus comme un partenaire et un acteur du soin", explique Luigi Flora, chercheur en sciences humaines et sociales, auteur d'une thèse sur ce thème, et lui-même atteint de plusieurs maladies chroniques.
"Les patients et les proches deviennent des acteurs plus actifs et la légitimité des associations est incontournable dans la représentation des malades et comme interlocuteurs des pouvoirs publics et des personnels soignants", ajoute Dan Ferrand-Bechmann dans son livre Les Bénévoles face au cancer (Desclée de Brouwer, 2011). Le pouvoir du médecin paternaliste se transforme peu à peu.
Des progrès ont été réalisés. "Les droits actuels ne suffisent pas. Face à la situation d'exigence des patients et des usagers vis-à-vis du système de soin, les droits doivent être élargis à l'accès à l'information", estime Thomas Sannié, président de l'Association française des hémophiles (AFH). C'est aussi ce qui ressort d'une enquête de l'Alliance maladies rares, qui regroupe 200 associations, menée auprès de 444 familles : manque d'information, errance de diagnostic, difficulté à trouver un médecin généraliste, à se faire entendre des professionnels. D'où le rôle essentiel des associations, qui se battent aussi pour faire avancer la recherche.
"Rien sans nous", tel est le titre du manifeste que vient de lancer, mardi 18 juin, Christian Saout, ancien président du Collectif inter-associatif sur la santé (CISS). Il a créé, avec Gérard Raymond, président de l'Association française des diabétiques (AFD), un think tank de patients appeléCoopération patients qui formule des propositions pour améliorer la lutte contre les maladies chroniques et la prise en charge des patients. Le constat de Christian Saout et de Gérard Raymond est simple : "Les intérêts centraux des patients sont trop négligés dans notre pays. Il y a des inégalités dans l'accès à l'information des patients, dans l'accompagnement de la maladie au long cours, dans la coordination de leurs parcours de soins et dans l'accès à l'innovation."
ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
Certes, en France, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, dans son article 84, a pour la première fois marqué la reconnaissance de l'éducation thérapeutique du patient, inscrite dans le code de la santé publique. Son but, tel que défini par l'OMS en 1998 :"Aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique". En d'autres termes, prendre soin d'eux-mêmes, mieux comprendre leur maladie, leur traitement, améliorer la qualité de leur vie (alimentation, activité physique...). Pour un patient diabétique par exemple, c'est maîtriser l'injection d'insuline, changer son alimentation, pratiquer une activité physique...
Des milliers de programmes ont été autorisés. Les trois quarts sont faits à l'hôpital. Le diabète est la pathologie la plus représentée (29 %), suivie des maladies cardio-vasculaires hors accident vasculaire cérébral (15 %), des maladies respiratoires (12 %), et de l'obésité (7 %). La Haute Autorité de santé (HAS) est chargée d'évaluer les programmes d'éducation thérapeutique financés par les Agences régionales de santé (2 700 en 2012). "Il ressort qu'il est assez difficile de mettre en place ces programmes car les procédures sont lourdes. Nous sommes en train de proposer une méthodologie, explique le professeur Jean-Luc Harousseau, président de la HAS. Il faut simplifier les choses. Intégrer le patient comme acteur dans sa propre prise en charge est l'un des champs prioritaires de la HAS."
Si le cadre juridique est posé, les associations se mobilisent. Certaines n'ont pas attendu cette reconnaissance par la loi. L'Association française des hémophiles s'est engagée dans l'apprentissage de l'autotraitement depuis le milieu des années 1970 et promeut l'éducation thérapeutique du malade, notamment grâce à la mise en place d'un patient référent appelé patient ressource. Elle organise même des stages. Elle a édicté dix principes majeurs à ses yeux et invite toutes les personnes atteintes de maladies chroniques, les associations, les autorités de santé, à s'approprier et à enrichir ces principes.
A l'exemple de SOS hépatites, qui propose aux infirmières des formations sur les traitements par injection, les associations sont de plus en plus organisées. Bien souvent elles sont aussi moteur, comme l'Association française contre la myopathie (AFM) qui collecte des dons destinés à soutenir la recherche.
PATIENTS ACTIFS
Patient ressource, usager expert, patient sentinelle, patient blogueur : il existe pléthore de termes pour désigner ces patients actifs. Certains sont même formateurs dans les facultés de médecine, tel Vincent Dumez, contaminé accidentellement par le virus du sida dans les années 1980. Militant associatif, il dirige aujourd'hui le bureau de l'expertise patient partenaire à la faculté de médecine de l'université de Montréal. Cette expertise du patient au service d'une faculté de médecine commence à se développer en France. Des mises en situation pratique sont ainsi organisées dans les facultés de médecine, à Lyon par exemple. Des cursus d'éducation thérapeutique se développent. Yvanie Caillé, de Renaloo, suit actuellement le master d'éducation thérapeutique à l'université Pierre-et-Marie-Curie. Des cours dans ce domaine sont également dispensés dans les instituts de formation en soins infirmiers.
Ce mouvement est inéluctable. "Des savoirs issus du vécu de maladies chroniques commencent à être envisagés comme pertinents en eux-mêmes et non seulement comme auxiliaires des savoirs des médecins ou des soignants. Bien sûr, ces reconnaissances des "savoirs expérienciels des patients" comme étant plus qu'un facilitateur d'une éducation thérapeutique descendante sont loin d'être la norme", expliquent Luigi Flora, Emmanuelle Jouet, Olivier Las Vergnas, dans un article intitulé "Usager-experts, la part du savoir des malades dans le système de santé", paru en juin 2010 dans Pratiques de formation : Analyses. "Les médecins, dans leur ensemble, ne reconnaissent pas la compétence des patients. Et les recherches montrent que l'information est donnée préférentiellement à des personnes appartenant à des catégories sociales supérieures ou qui laissent supposer une plus grande compréhension, ou une plus grande capacité à supporter l'annonce de la maladie", poursuivent les auteurs.
Pour Yvanie Caillé, "pour certaines pathologies comme le sida ou le cancer, il y a quinze ans d'avance sur nous". Le monde de la néphrologie reste, selon elle, très paternaliste. Avec peu de dialogue, et peu d'écoute : "On reproche même parfois aux patients de prendre la parole."
"On reste souvent dans la logique d'appropriation de la maladie par les médecins, voire plus grave, de la non-reconnaissance de ce qu'on appelle l'expertise profane, de ces experts d'expérience, et cette connaissance qu'on peut avoir de la vie avec une maladie quand on est soi-même atteint ou qu'on est un proche", souligne Claire Compagnon, à l'initiative des Etats généraux du cancer en 1998.
VOLONTÉ POLITIQUE
Le patient a, dans certains cas, plus d'expertise que le médecin, surtout s'il s'agit d'un généraliste seul dans son cabinet. Comment d'ailleurs un praticien pourrait-il connaître à fond toutes les pathologies et leurs prises en charge ? Certains professionnels soutiennent ce mouvement. "C'est primordial que les patients soient acteurs, ils doivent savoir contre quoi ils se battent. Il est fini le temps où le médecin prescrivait un traitement sans explication. Le patient doit participer à la discussion", insiste la professeure Sandra Vukusic, neurologue au CHU de Lyon.
Une volonté politique a été clairement affichée. Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait mis l'implication des patients au centre du dispositif, dans son discours sur la stratégie nationale de santé, le 8 février. Les acteurs sont dans l'attente d'annonces sur ce sujet avant la trêve estivale. Alain Cordier, chargé par le gouvernement de faire des propositions, a remis son rapport ces derniers jours au gouvernement. Marisol Touraine, la ministre de la santé, a par ailleurs confié une mission à Claire Compagnon sur le bilan de la représentation des usagers.
Ainsi si les usagers du système de santé sont globalement satisfaits de leur niveau d'information sur les situations courantes concernant leur santé, leur sentiment d'être bien informés est toutefois sensiblement moins élevé lorsqu'on s'intéresse aux aspects pratiques de la démarche de soins, indique le dernier baromètre du CISS.
"Un patient qui comprend est un patient qui s'implique dans le soin, et qui s'en sort mieux", constate Christine Gétin, présidente de l'Association du trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité, TDAH France. L'écrivaine Emilie Hermant, présidente de Dingdingdong, a créé ce collectif pour changer le regard sur la maladie de Huntington, maladie génétique neurodégénérative incurable ("Science & techno" du 13 avril). Pendant un an, elle entend explorer le savoir des malades et de leurs proches sur ce trouble.
Derrière ces grands principes, il ne faut pas oublier qu'une maladie est différente d'une personne à l'autre : ses effets, son ressenti, l'histoire du patient, celle de ses proches. Toute maladie change le rapport à soi et au monde, modifie les priorités. "Finalement, tout est surtout question d'écoute. Il faut instaurer une relation de confiance, et toujours être dans le questionnement, dans le soin", insiste le docteur Nadine Le Forestier, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, membre de l'espace éthique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Le patient doit, selon elle, rester au centre de décisions où le poids de la parole est important.
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