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samedi 2 mars 2013

Etre taxés nous rend heureux

LE MONDE ECONOMIE | 
L'impôt fait-il le bonheur ? La question peut faire sourire. Pourtant, des études récentes prouvent que, si l'impôt peut faire fuir certains à l'étranger, il contribue à la satisfaction du plus grand nombre.
Le 2 avril 2012, un débat intitulé "L'impôt heureux, c'est possible !" était organisé à l'Assemblée nationale. En sous-titre : "Comment rééquilibrer les finances publiques par le renforcement du consentement à l'impôt".
Entre l'affaire Depardieu et la polémique sur le taux d'imposition à 75 %, l'attention s'est surtout focalisée sur les très hauts revenus. On en a presque oublié les 99,99 % de contribuables "normaux" et la façon dont l'impôt, la main très visible de l'Etat, affecte leur vie. En fait, malgré l'importance du sujet, on sait très peu de choses concernant l'impact de l'impôt sur le bien-être individuel.
Dans une étude publiée par l'institut de recherche allemand Institut zur Zukunft der Arbeit (IZA), nous apportons quelques éléments de réponse ("Happy Taxpayers ? Income Taxation and Well-Being", document de travail de l'IZA, http://ftp.iza.org/dp6999.pdf).
Deux idées constituent l'originalité de cette recherche. La première est de confronter bien-être et niveaux d'imposition grâce à une base de données très riche, le panel socio-économique allemand (GSOEP). Dans le GSOEP, on dispose d'informations sur le bien-être des individus telles que celles utilisées depuis longtemps en psychologie et, plus récemment, en économie.
NIVEAU DE "SATISFACTION DANS LA VIE"
Les personnes interrogées nous renseignent entre autres sur leur niveau de "satisfaction dans la vie", mesuré sur une échelle de 1 à 10 (d'autres études ont démontré la grande corrélation de cette mesure subjective de bonheur avec des indicateurs plus objectifs du bien-être mental et psychique).
Pour ces mêmes individus, nous connaissons également leurs revenus, les montants d'impôt payés et divers déterminants du bien-être (niveau de santé, situation familiale, sur le marché du travail, âge, etc.). Il est donc possible d'utiliser des méthodes statistiques standards pour mesurer l'impact simultané de toutes ces variables sur le bien-être individuel.
En particulier, on peut estimer l'impact du montant d'impôt sur le revenu payé toutes choses égales par ailleurs, autrement dit à niveau de revenu (net d'impôt) donné, niveau de santé donné, etc.
Notons que, parmi les variables explicatives, impôt et revenu sont liés de façon parfaitement déterministe à travers les règles de calcul fiscal. Il semble donc impossible de distinguer leurs effets respectifs sur le bien-être.
Pour cela, il faudrait que deux personnes "identiques" - du moins ayant le même revenu net d'impôt - soient soumises à des barèmes fiscaux différents. La seconde idée de l'étude est donc d'utiliser les changements de législation fiscale au cours du temps. Le panel GSOEP permet en effet de suivre les mêmes individus sur presque trente ans, et ainsi d'observer l'impact des variations de niveau de prélèvement fiscal auxquelles ils ont été soumis.
IMPACT POSITIF DE L'IMPÔT
L'étude conclut à un impact positif de l'impôt sur le bien-être à niveau de vie constant. Il s'agit d'un effet "conditionnel" : une hausse d'impôt améliore le bien-être si et seulement si le niveau de revenu net d'impôt reste inchangé.
Comment interpréter ce résultat ? Un impact négatif aurait signifié qu'un euro d'impôt de plus serait perçu par le contribuable comme plus douloureux qu'un euro de moins de salaire : l'effet mis en relief aurait correspondu à un rejet ou à une défiance vis-à-vis des prélèvements obligatoires et, au final, de l'Etat.
Mais l'étude montre, au contraire, que ce qui domine est probablement la perception qu'une partie de cet euro d'impôt nous revient sous forme de biens ou de services publics, de satisfaction morale à aider les plus pauvres grâce à un système progressif et redistributif, du sentiment d'appartenir à une collectivité, etc.
L'étude nous éclaire sur ces différents motifs et prouve qu'il ne s'agit pas d'une question de statut ou de prestige (par exemple, la fierté d'afficher son salaire en montrant qu'on paye beaucoup d'impôts).
Un examen approfondi montre aussi que l'impact de l'impôt sur le bonheur est significativement plus fort (par euro versé) pour la moitié des contribuables les moins riches et, dans la moitié la plus riche, pour les électeurs de gauche. Les Depardieu allemands ne sont donc pas concernés, comme on pouvait l'imaginer.
LES MÊMES PARTIES DU CERVEAU
Ces résultats corroborent ceux obtenus en neuroscience. Une étude (William T. Harbaugh, Ulrich Mayr et Daniel R. Burghart, "Neural Responses to Taxation and Voluntary Giving Reveal Motives for Charitable Donations"Science nº 316, 2007) montre que des contributions obligatoires (de type impôt) activent les mêmes parties du cerveau que celles associées à une gratification liée à des contributions volontaires (du type don). C'est du moins le cas si l'individu sait que sa participation est utile à la société et sert une bonne cause.
Il est donc temps de clarifier ce qu'est l'impôt afin de fortifier le consentement aux réformes fiscales nécessaires. Un impôt sur le revenu transparent et véritablement redistributif contribuerait à sa meilleure acceptation par une majorité de Français.
De nombreux économistes réclament cette grande réforme : un impôt enfin appuyé sur une base imposable large (comme la CSG), c'est-à-dire sans exception, niche fiscale ni régime particulier. Un impôt rétablissant la progressivité de l'ensemble du système tout en le rendant plus efficace et administrativement moins lourd.
M. Hollande a peut-être gagné les élections grâce à l'impôt sur les riches. Il devra aussi rénover celui de tous les autres s'il s'intéresse à notre bonheur.

Olivier Bargain
Olivier Bargain est professeur d'économie à l'université Aix-Marseille, directeur du département "Intervention publique et philosophie économique" au Groupement de recherche en économie quantitative d'Aix-Marseille.
Il est chercheur associé à l'Institut zur Zukunft der Arbeit (IZA - Institut d'études du travail) à Bonn (Allemagne).

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