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mardi 26 février 2013

La pédopsychiatrie, avatar de Minority Report ?
Publié le 11/02/2013
Bien que la psychiatrie infanto-juvénile ne soit pas, elle-même, une discipline « juvénile », elle n’est « pas toujours bien intégrée dans la psychiatrie traditionnelle » et son désir d’intervention est parfois «accueilli avec scepticisme », remarque l’éditorialiste de The American Journal of Psychiatry. Un fumet suspect s’exhale notamment des tentatives pour définir des troubles précoces, dans la mesure où un diagnostic prématuré risque de stigmatiser insidieusement un jeune enfant.
En caricaturant (à peine ?), l’intérêt croissant des chercheurs pour « comprendre les fondements de ces troubles et permettre leur identification avant leur complète apparition » (so that they may be identified before they are full-blown) rappelle Minority Report. À l’origine du film de Steven Spielberg, cette nouvelle de Philip K. Dick dépeint un monde inquiétant, acharné à saper la déviance à sa base grâce à la clairvoyance de spécialistes en « précognition » permettant d’arrêter des « pré-criminels », avant même leur funeste passage à l’acte !
Certes, des arguments existent pour tenter de diagnostiquer et «traiter au plus tôt », par exemple le fait que le cerveau d’un enfant possède une « plus grande plasticité », et donc un plus fort potentiel de développement en vue d’un changement favorable, escompté par le thérapeute. Or précisément, en agissant sur un substrat d’autant plus fragile qu’il demeure en voie d’évolution, la démarche du pédopsychiatre risque aussi de s’apparenter à celle d’un apprenti sorcier… Mais d’un autre côté, l’auteur veut «dissiper une illusion » (dispelling the myth), la croyance que « ça passera en grandissant », autrement dit la certitude fallacieuse que tout problème de comportement ne représenterait simplement qu’une « tendance extrême de la normalité dont les jeunes vont s’affranchir avec l’âge. »
En définitive, l’étroite marge de manœuvre du pédopsychiatre pourrait bien résider entre la menace sournoise d’une science assistant servilement une civilisation totalitaire à la Minority report et une ingénue politique de l’autruche où, à l’image des «bons sauvages » de Montaigne (les Tupinambas moins « barbares » que leurs colonisateurs européens)[1], les jeunes ne seraient « insensés » qu’à l’aune de la propre folie d’une société normalisatrice…
[1] Amérindiens jadis cannibales : francisé en « topinamboux », leur nom est à l’origine du terme « topinambour » désignant le célèbre légume oublié. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Bon_sauvage

Dr Alain Cohen

Luby JL : Dispelling the “They’ll grow out of it” myth: implications for intervention. Am J Psychiatry, 2012; 169: 1127–1129.

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