La réforme de la dépendance enfin sur les rails
LE MONDE ARGENT |
Dans quelques jours, les trois rapports destinés à préparer le futur projet de loi sur la perte d'autonomie seront remis au premier ministre. A priori, ces nouveaux travaux ne devraient pas subir le même sort que ceux rendus en 2011 à Nicolas Sarkozy et qui, depuis, prennent la poussière au ministère des affaires sociales et de la santé. "La loi sera prête fin 2013, et nous utiliserons ces rapports pour bâtir notre réforme", assure Michèle Delaunay, la ministre chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Les Français, eux, sont prêts: 70 % des personnes interrogées pour le baromètre Ocirp-France Info-Le Monde souhaitent que le gouvernement lance ce chantier.
Il est vrai qu'il y a urgence. D'abord pour les premiers concernés, soit les personnes dépendantes et leur famille. Malgré les aides, les dépenses liées à la perte d'autonomie sont telles qu'il est quasi impossible de joindre les deux bouts. Une place en maison de retraite revient en moyenne à 1857 euros par mois au résident. Soit deux fois le montant moyen actuel de la pension d'une femme, souligne la dernière étude du cabinet d'audit KPMG. "C'est intenable. Les familles sont obligées de dilapider leur patrimoine, quand elles en ont", déplore Pascal Champvert, à la tête de l'Association des directeurs au service des personnes âgées. Afin que tous puissent accéder à ces établissements, Mme Delaunay a déclaré au Parisien qu'elle souhaitait encadrer les loyers des maisons de retraite. L'annonce a fait trébucher en Bourse les intéressées. Au Monde, la ministre confirme : les établissements devront réduire leurs coûts. Mais cela ne suffira pas car, même lorsque les personnes dépendantes vivent chez elles, le reste à charge s'élève entre 350 et 530 euros par mois, selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).
UN CASSE-TÊTE FINANCIER
Cette question financière est un casse-tête pour les aidants, ces 4,3 millions de Français qui soutiennent un proche dépendant en assurant une présence, en s'occupant de l'organisation des soins. Pour eux aussi il y a urgence. Fatigue, stress, vie professionnelle entre parenthèses, moins de temps libre... près de 40 % de ceux qui aident une personne lourdement dépendante se disent "dépressifs", selon une autre étude de la Dress. Il existe même chez eux une surmortalité de plus de 60 % dans les trois années qui suivent le début de la maladie de leur proche, d'après la Haute Autorité de santé.
Et pourtant, malgré le rôle croissant que la société leur demande de jouer, ils ne bénéficient pas de statut – le préalable afin d'obtenir un début de reconnaissance et, ensuite, faire valoir certains droits, comme celui de pouvoir aménager son temps de travail. Un point essentiel, car 18 % des salariés de plus de 40 ans s'occupent d'un proche dépendant, d'après une étude réalisée par Malakoff Médéric.
Certes, il existe des initiatives prises par certaines mutuelles ou associations. "Mais il faut aller beaucoup plus loin. La mise en place d'un guichet unique dans tous les départements est l'une de mes recommandations, souligne Luc Broussy, auteur du rapport sur l'adaptation de la société française au vieillissement démographique. L'objectif est de créer des Maisons de l'autonomie sur le modèle des PMI [protection maternelle et infantile] afin de répondre aux angoisses des familles et de mieux les orienter." Tout cela a un coût. Et comme le nombre de personnes dépendantes devrait franchir la barre des 2 millions en 2040, contre presque moitié moins en 2010, la facture va s'alourdir. Or les dépenses atteignent déjà 34milliards d'euros, dont 22 milliards à la charge de l'Etat, de la Sécurité sociale (pour 14,5 milliards) et des départements (l'allocation personnalisée d'autonomie coûte 5,5 milliards d'euros, trois fois plus qu'il y a dixans). Le solde est acquitté par les ménages. En 2040, il faudra trouver 10 milliards d'euros supplémentaires par an, selon les prévisions. Faisable ? "On affole la population en additionnant les chiffres de l'assurance-maladie, du logement... mais une partie est déjà financée. Les besoins nouveaux ne sont pas tellement élevés. 10 milliards d'euros d'ici à vingt-cinq ans, la France doit être capable de trouver ce montant", explique Gérard Rivière, le président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (CNAV).
ENTRE SOLIDARITÉ ET RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE
Où trouver ce montant ? Une nouvelle journée de solidarité, une cotisation obligatoire, comme au Japon, une ponction sur les salaires, comme en Allemagne ? Autres hypothèses souvent évoquées : une taxe sur les successions, ou bien aligner le taux de la CSG des retraités sur celui des actifs. "Cette question du financement nécessite un peu de courage politique. A force de crier haro sur l'impôt, les Français refusent toute hausse des prélèvements, mais il faut leur faire comprendre qu'il est moins douloureux de faire supporter cet effort par l'ensemble de la population", avance Pascal Champvert, qui rappelle qu'augmenter d'un point la CSG rapporterait plus de 10 milliards d'euros. Le gouvernement devra trancher, en restant dans le cadre fixé par François Hollande : un financement partagé entre solidarité et responsabilité individuelle.
L'assurance privée pourrait jouer un rôle de complément, si la couverture de ces contrats, au fonctionnement difficilement compréhensible, s'améliorait. Un label fixant le socle minimum à offrir aux assurés et obligeant à plus de transparence serait une avancée. Tout comme la création d'un fichier permettant aux familles de savoir si leur proche a souscrit ce type de produit. Proposer des assurances dans le cadre de l'entreprise pourrait aussi faire baisser la note pour le particulier. "Si nous n'inventons pas de nouveaux produits, les Français n'auront aucun intérêt à y souscrire", prévient Pascal Beaubat, le président du groupe Intériale.
Pour réduire les besoins financiers, l'accent sera mis sur la prévention. Objectif : retarder au maximum la perte d'autonomie et, donc, réaliser des économies. Dans ce domaine, de nombreuses actions sont déjà menées par les groupes de prévoyance, les mutuelles, par les régimes de retraite complémentaire Agirc-Arcco, qui financent des bilans de prévention, ou encore la CNAV, qui fait actuellement bénéficier à 400 000 retraités un plan d'action personnalisé. Mais la ministre compte aller plus loin : dépistage, surveillance des signes de dépression ou de fragilité, lutte contre la surmédicamentation... Au total, la prévention permettrait d'économiser 10 milliards d'euros, selon l'Assemblée des départements de France.
MAINTIEN À DOMICILE
Quoi qu'il en soit, il y a fort à parier que les Français seront davantage mis à contribution. Mais le chantier de la perte d'autonomie peut être source d'amélioration pour la société. Faciliter le maintien à domicile nécessite de réinventer certaines règles d'urbanisme, de repenser et d'adapter l'habitat afin que les personnes âgées vieillissent dans de meilleures conditions. C'est un autre axe fort de la prochaine réforme, qui pourrait avoir un effet stimulant sur l'économie. "Imaginez lorsque les 16 millions de baby-boomers équiperont leur logement de domotique, de robotique", explique en substance Mme Delaunay. De quoi doper la demande pour les entreprises tricolores qui agissent dans ces secteurs. A tel point que l'idée de créer une filière industrielle fait son chemin. Car c'est un autre aspect souvent oublié : le vieillissement va créer des besoins nouveaux.
Infirmier, aide-soignant, aide à domicile... 350 000 postes devraient être créés au cours des dixprochaines années, selon la Dares. A charge à l'Etat de rendre attractif des métiers difficiles, faiblement rémunérés et peu valorisés aux yeux de la société. "Il faut promouvoir ces métiers dès le collège, puis donner ensuite à chacun la capacité d'évoluer sachant que rien de sérieux ne se fera sans revalorisation salariale", lance M. Broussy. Autant de retombées qui permettront peut-être aux Français de prendre conscience que la dépendance n'est pas seulement un fardeau pour la société.
Frédéric Cazenave
Repères
Repères
CHARGE
Aides et pension de retraite sont insuffisantes pour faire face aux dépenses liées à la perte d'autonomie. Il manque, en moyenne, entre 350 et 500 euros par mois, selon le type d'hébergement. Les personnes dépendantes et leur famille doivent donc puiser dans leur patrimoine.
AIDANTS
4,3 millions de personnes aident un proche dépendant. La majorité d'entre eux y consacre six heures, en moyenne, par jour. 40 % de ceux qui soutiennent une personne lourdement dépendante se disent "dépressifs".
FINANCEMENT
Les dépenses liées à la perte d'autonomie s'élèvent à 34 milliards d'euros chaque année. Environ 24 milliards reviennent à l'Etat (dont 15 milliards d'euros pour la Sécurité sociale, 5,3 milliards pour les collectivités locales) et 10 milliards sont assurés par les particuliers (essentiellement pour l'hébergement en institution). D'ici à 2040, le besoin sera de 10 milliards d'euros supplémentaires par an.
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