Éducation sexuelle à l'école: enfin un passage à l'acte ?
30 novembre 2012 | Par Lucie Delaporte - Mediapart.fr
Parler de sexe à l’école reste une question si brûlante que rares sont ceux qui s’y risquent.En dehors d’un rapide aperçu des fonctions reproductives, un couplet sur les maladies sexuellement transmissibles et un point sur la contraception… Rien ou presque. L’éducation à la sexualité dans ses multiples facettes est pourtant obligatoire depuis plus de dix ans, cadrée par une circulaire de février 2003 qui l'instaure même comme « une composante essentielle de la construction de la personne et de l'éducation du citoyen ». Au-delà des recommandations de santé publique, ce texte préconise ainsi de travailler sur « les différentes dimensions de la sexualité humaine, biologique affective, psychologique, juridique, sociale, culturelle et éthique », mais aussi de faire avec les élèves «l’analyse des modèles et des rôles sociaux véhiculés par les médias en matière de sexualité », ce à raison de trois séances par an de l’école primaire au lycée. Un ambitieux programme… jamais mis en œuvre.
Aujourd'hui le ministère de l'éducation a dévoilé quelques mesures pour rendre enfin «effective» cette éducation à la sexualité dès l'école, en parallèle d'un programme de lutte contre les préjugés sexistes (voir notre article et l'onglet Prolonger). Un groupe de travail réunissant un chef d'établissement, des enseignants, des infirmières scolaires, un psychiatre et des associations a été constitué par Vincent Peillon pour qu'il propose un plan d'action d'ici fin décembre. Des programmes seront expérimentés dans cinq académies dans les prochains mois: Bordeau, Corse, Guadeloupe, Nancy-Metz et Rouen.
Bien plus que la lutte contre les stéréotypes, la question de l'éducation à la sexualité au sein de l'école reste politiquement sensible. Que les manuels de sciences de la vie et de la terre (SVT) s’autorisent à introduire le concept de genre, donc de « sexe socialement construit », a mis en transe l’an dernier plus d’une centaine de parlementaires qui ont pétitionné à tout va contre cette atteinte aux lois de la nature. En 2010, c’était le court métrage Le baiser de la Lune – un dessin animé destiné à lutter dès le plus jeune âge contre l'homophobie, là encore selon les préconisations officielles– qui déclenchait l’ire de quelques associations familiales, car il osait présenter deux poissons mâles amoureux. Derrière les ambitions de façade, même à gauche, l’éducation à la sexualité par l'institution scolaire continue de heurter certaines consciences. Faute de volonté politique claire, le sujet n'a pratiquement pas avancé.
« Il y a un problème de valeur et de laïcité. Dès lors qu’on éduque, se pose la question des normes, affirme l'historien Claude Lelièvre auteur de plusieurs ouvrage sur le sujet et qui connaît par cœur ces mécanismes de blocage. Il faut que le sexe soit perçu comme dangereux pour que l’école s’en empare. » L'épidémie de sida et le constat de la défaillance des familles ont en effet poussé les pouvoirs publics à réinvestir le sujet à la fin des années 90, mais sous un angle sanitaire et franchement anxiogène. Car historiquement, l'école a toujours maintenu à grande distance les questions sexuelles. Dans son livre Les profs, l'école et la sexualité (Odile Jacob, 2005), il rappelle même que dans l’école républicaine de Jules Ferry, le célibat des instituteurs était vanté comme un gage de moralité.
« Une forme sournoise et forte d'éducation à l'absence de sexualité »
Lorsque l'éducation à la sexualité a lieu à l'école, c'est presque toujours le fait d'associations extérieures. Caroline Rehby, membre du bureau du Planning familial, y intervient régulièrement à la demande d'un chef d'établissement ou d'un enseignant et estime que l'éducation à la sexualité doit pouvoir commencer très tôt. «Nous intervenons dès la maternelle, selon un programme mis en œuvre au Canada, mais on n’appelle pas ça éducation sexuelle pour ne pas faire trop peur aux enseignants ou aux parents », reconnaît-elle. Pourtant adapté à leur âge et à leur vocabulaire, c'est bien de cela qu'il s'agit. Par petits groupes de cinq ou six, les élèves sont invités à s'exprimer sur les sujets qui les préoccupent, comme ces petites filles qui ne veulent plus mettre de jupe par crainte que les garçons ne la leur soulèvent. «C'est une occasion d’aborder les représentations et de poser des questions: “Et pourquoi on ne baisse pas le pantalon d’un garçon ? Qu'est-ce qu'on peut accepter ou pas ?” » Selon son expérience, « ces questions sont plus faciles à aborder chez les tout-petits. Ils parlent librement de ce qui peut se passer dans la cour ».
Pour Isabelle Cabat-Houssais, professeur des écoles et militante au sein de l'associationMix-cité , l'éducation à la sexualité n'est pas un supplément d'âme. D'autant que, souligne-t-elle, les violences à caractère sexuel commencent très tôt. Elle se souvient d’un cas entre CP et CE1 où des petites filles avaient dû « toucher » le zizi des garçons. « Il faut pouvoir en parler sans dramatiser », assure-t-elle, soulignant que pour cela, les enseignants doivent évidemment être bien formés pour «trouver les mots justes, bienveillants». Le peu d'engouement de ses collègues à s'emparer de ces questions tient au fait qu'ils ne se sentent, à juste titre, pas du tout armés pour y faire face. Dans une société où, des le primaire, les élèves sont confrontés à la pornographie, le silence de l'école sur la sexualité n'est pas tenable. Avec ses élèves, elle travaille donc sur la question de l’intimité, du respect de son propre corps et du corps de l’autre. «Si c’est pas l’école qui fait ça qui le fera ?Quand je pense qu'on nous fait faire de la sécurité routière! » s'agace-t-elle quand on lui demande si c'est bien à l'institution scolaire de faire cette éducation.
Les notions de plaisir ne doivent pas non plus être oubliées, selon elle. Cette professeur des écoles fait par exemple lire aux élèves de CM1 et CM2 Histoire de Julie qui avait l’ombre d’un garçon, un classique de la littérature enfantine anti-sexiste de la fin des années 70, qui raconte les aventures d'un “garçon manqué” se débattant contre les préjugés, mais qui comporte aussi des passages explicites sur les émois sexuels (« avec cette fente entre les cuisses qu’elle aime toucher doucement »). «Jamais les parents ne sont venus me voir,assure-t-elle. La “peur des parents”, je crois que c’est surtout un épouvantail brandi par les plus réactionnaires pour qu'on ne fasse rien. »
Éduquer à la sexualité doit-il se fixer aussi pour objectif de permettre un plus grand épanouissement sexuel des futurs adultes? Le gouvernement n'est pas allé jusque là, se contentant d'un discours plus consensuel sur « le respect mutuel » entre filles et garçons.Pourtant la question mériterait d'être posée, car comme l'écrit le philosophe et psychanalyste Roger Dadoun dans Cent fleurs pour W. Reich (Éditions Payot): « L'absence d'éducation sexuelle est une forme sournoise et forte d'éducation à l'absence de sexualité.»Une question politique, assurément.
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