Salles de shoot : deux généralistes parisiens sautent le pas
La France aura bientôt ses salles d’injection de drogue supervisées. Marisol Touraine l’a confirmé la semaine dernière et devrait bientôt annoncer les premières implantations. De leur côté, deux confrères n’attendent que le feu vert des pouvoirs publics pour se lancer. Ils nous ont présenté leur projet mené sous l’égide de Médecins du Monde dans le nord-est de la capitale.
Sur le papier, l’idée paraît séduisante. Et puis il en existe déjà quatre-vingt en Europe. Alors pourquoi pas en France ? Associations et élus sont dans les starting-blocks. Ils n’attendent plus que le feu vert du gouvernement pour autoriser le lancement des expérimentations sur les salles d’injection de drogue. Relancé à la fin de l’été par le député socialiste de Paris, Jean-Marie Le Guen (voir entretien p. 12), le débat sur les « salles de shoot » n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, associations, élus et collectivités locales plaident pour l’installation de salles de consommation à moindre risque (SCMR). Mais les choses semblent, cette fois, se préciser. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a donné, en effet, son aval à la fin de l’été. Accord confirmé la semaine dernière : « Je souhaite que le sujet soit prioritaire pour la nouvelle présidente de la MILDT et que cela aboutisse dans un délai rapide », a-t-elle assuré en plaçant le sujet sur la feuille de route de Danièle Jourdain-Méninger, désormais patronne de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue.
Promesse de campagne de François Hollande, cette position est loin de faire l’unanimité. À l’UMP, on estime que « ces salles ne sont ni utiles ni souhaitables ». Et à l’Académie de médecine, on s’y oppose fermement. À l’Inserm, c’est tout l’inverse. Une expertise publiée en juin 2010 menée sur la politique de la Réduction des Risques (RDR) chez les usagers de drogues affirmait qu’elle avait « joué un rôle important sur la réduction de l’incidence du VIH », mais que ses résultats étaient insuffisants pour l’infection par le VHC. L’étude avait alors souligné les limites du programme d’échanges de seringues. Et rapporté que les centres d’injection supervisés (CIS), comme il en existe dans plusieurs pays européens et nord-américains, « apportent des bénéfices aux usagers de drogues injectées » et « bénéficient également à la communauté par la réduction de l’usage de drogues en public et des nuisances associées ».
Horizon 2013
Si, pour l’heure, rien n’est encore officialisé, l’annonce de ces expérimentations faite par la ministre de la Santé ne devrait plus être très longue. On assure que les projets pilotes se mettront en place « courant 2013 » et au plus tard « avant la prochaine échéance électorale des municipales en 2014 ». Reste à définir les lieux et les conditions de mise en place. Plusieurs villes – Paris, Marseille, Toulouse, Lille, Grenoble, Nîmes, Rennes, Pau et Nevers – sont actuellement en train d’expérimenter un programme d’éducation à l’injection appelé Aerli (Accompagnement et éducation aux risques liés à l’injection). 200 usagers volontaires participent aujourd’hui en France à ces travaux de recherche qui doivent permettre d’évaluer les modifications de comportements des usagers de drogue lorsque ces derniers sont éduqués à l’injection et supervisés par un professionnel de santé.
Une expérimentation vue comme une « continuité d’un combat mené depuis 20 ans » pour le Dr Élisabeth Avril, médecin généraliste et directrice de l’association Gaïa, qui gère deux établissements médico-sociaux dans le domaine de la prévention et du soin en addictologie et toxicomanie à Paris. Après avoir fait plusieurs remplacements en médecine générale en milieu rural en Normandie et un passage aux urgences, elle décide de suivre des cours d’anthropologie médicale à l’université de Bobigny. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre le Dr Jean-Pierre Lhomme, médecin généraliste dans le XIVe arrondissement de Paris, qui lui propose de travailler à mi-temps dans le programme d’échanges de seringue de Médecins du Monde.
« Dès la mise en place des programmes d’échanges de seringues créés en 1989 par Médecins du Monde que j’ai rejoint en 1995 et que l’association Gaïa gère depuis 2006, on s’est toujours posé la question de trouver des lieux pour ces usagers de drogue. On donne des seringues à ces gens, donc maintenant accompagnons-les et apportons leur un accueil et un regard médico-social », explique-t-elle. Avant d’avancer l’argument scientifique : « Il y a des Evidence Based Medecine qui assurent des résultats bénéfiques pour les usagers de drogues. Moins de 1 % des nouvelles contaminations concernent les usagers de drogues, ils contractent moins le virus du sida grâce aux actions qu’on a menées en ce sens », rapporte le Dr Avril.
Un gros travail de pédagogie
Aujourd’hui, l’association Gaïa est prête. Le projet écrit, évalué et proposé aux pouvoirs publics. Il ne manque plus que le « feu vert » du gouvernement. « On attend un financement bien sûr, mais aussi que les politiques nous disent : "on peut y aller". Ce nous voulons, c’est pouvoir se mettre autour d’une table avec la MILDT, les ARS, la DGS et construire plusieurs projets avec eux », confie-t-elle.
Autre obstacle à lever : le lieu. Des visites sont actuellement en cours, plusieurs pistes ont été évoquées, notamment près des gares dans l’est de Paris. Mais rien n’est sûr. « Les seules hésitations qui demeurent sont le lieu et le moment. Cela dépend des politiques, mais aussi du travail en amont que nous sommes en train de réaliser avec les riverains, les mairies et la police. Un travail de pédagogie important est nécessaire », poursuit le Dr Lhomme. Le président de l’Association Gaïa assure, d’ailleurs, que ces salles apporteraient une réponse aux riverains gênés par ces injections de rue et qu’elles diminueraient les risques de nuisances publiques.
En revanche, le mode de fonctionnement de cette salle, qui pourrait recevoir 200 à 250 passages par jour, est déjà bien établi. Une équipe médicale pluridisciplinaire, avec des infirmières, des médecins, un psychiatre et des éducateurs, accueillerait l’usager qui, après un entretien, se verrait remettre une carte d’accès au lieu. Il pourrait alors consommer la drogue qu’il aura lui-même apportée avec du matériel stérile fourni par les personnes présentes qui le superviseraient. Pour le Dr Lhomme qui travaille aussi à la consultation de médecine générale destinée aux usagers de drogue du centre médical de Marmottan (Paris XVIIe), « les professionnels de santé pourraient établir un contact avec eux et, par la suite, les faire accéder, pourquoi pas, au sevrage, explique-t-il. L’équipe médicale pourra leur donner des orientations vers des services somatiques en fonction de leurs besoins, ainsi que dans le domaine de l’addiction », avance le Dr Lhomme.
Arguments contre arguments
Cet enthousiasme, le Dr Jean-Claude Coqus, fondateur de « Généralistes et Toxicomanies », ne le partage guère. Ce médecin psychanalyste au centre hospitalier Auban-Moët à épernay (Marne) le dit tout de go : « Je suis défavorable aux salles de consommation, parce qu’il faut faire la part des choses entre la réduction des risques et le principe de précaution ». Et de poursuivre : « On pense que c’est toujours mieux pour l’usager de se droguer dans un lieu que l’on dit sûr, mais l’usager se drogue quand même. Pour moi, ces salles ne sont pas un outil thérapeutique, c’est le maintien de la dépendance liée au produit et au geste ».
Des arguments « prétexte » pour le Dr Lhomme qui estime au contraire que les salles de consommation à moindre risque permettront de « récupérer » cette population très précaire. « Quand les gens sont stabilisés dans leur programme de substitution et dans leur vie sociale, on les adresse ensuite à des médecins généralistes pour un relais de prise en charge. La plupart du temps, ce sont des généralistes qui sont sensibilisés, mais après, quand les gens habitent très loin, on essaie de trouver un médecin près de chez eux, mais qui n’est pas forcément formé », ajoute le Dr Avril. Pour les professionnels de santé en lien avec les usagers de drogue, un vrai travail de pédagogie et de reconnaissance auprès des médecins est nécessaire. Il permettrait, selon le Dr Avril, d’intéresser plus de gens. « Ces malades ont aussi des rhumes ou des bronchites », mais qui nécessitent une prise en charge différente, car les produits qu’ils consomment compliquent le diagnostic clinique et sémiologique. Et, surtout, le dialogue avec le médecin. « Souvent, les usagers de drogue nous disent qu’ils ne souhaitent pas parler avec leur médecin traitant », regrette le Dr Avril.
Dossier réalisé par Caroline Laires-Tavares, caroline.laires-tavares@gpsante.fr
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