"Le problème, ce n'est pas d'avoir été adoptée, mais d'avoir été abandonnée"
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Ils sont une quinzaine d'hommes et de femmes, âgés de 15 à 45 ans, nés en France, en Colombie, ou au Brésil, réunis un samedi après-midi dans un café de Paris pour partager leur expérience d'adoptés. L'association La Voix des adoptés a lancé l'invitation. Abandon, relation avec les parents adoptifs, recherche des origines : on entre vite dans le vif du sujet, dans le désordre, au fil des témoignages qui se bousculent et se répondent. "Je me reconnais dans ce qui vient d'être dit", disent souvent les intervenants, avec dans la voix le soulagement de ceux qui se sentent mieux compris.
Pierre, adopté en France (tous les prénoms ont été modifiés), a appris à 40 ans passés son histoire... lorsqu'il a lui-même effectué des démarches pour adopter un enfant vietnamien. C'était écrit sur son acte intégral de naissance. "La première réaction de ma mère a été de s'emporter contre l'administration, qui lui avait dit que je ne pourrais jamais savoir", raconte-t-il. Pourquoi le lui avoir caché ? "J'avais peur que tu m'aimes moins", lui a-t-elle répondu. Lui dit que "ça n'aurait rien changé". "Longtemps, le consensus a été de faire table rase du passé des adoptés, observe Cécile Février, présidente de l'association. Les futurs parents sont aujourd'hui un peu mieux préparés." L'interrogation sur ses origines est devenue pour Pierre "complètement obsédante". Il a retrouvé sa mère de naissance, mais elle lui a demandé de ne plus lui écrire. "Au moins je sais qu'elle est en vie", tempère-t-il.
ENVIE DE PLAIRE
Mélanie, elle, a toujours su. Mais ça n'a pas rendu les choses plus simples. "Le problème, ce n'est pas d'avoir été adoptée, mais d'avoir été abandonnée, dit cette jeune femme originaire d'Angleterre. Je le traîne tout le temps."
Louis, arrivé bébé de Colombie, se représente cette séparation. "Je suis resté une semaine avec ma mère, qui a accouché dans le secret,dit-il. Elle m'a déposé pour ne plus jamais me revoir et continuer sa vie. Quand même, aujourd'hui on sait que même les nourrissons ressentent les choses..." Il a retrouvé sa mère et son demi-frère. "C'est un bonheur intense, incroyable, mais il faut rester méfiant pour la suite", dit le jeune homme.
La peur d'être rejeté une seconde fois est partagée par Bertrand, qui a pourtant le double de l'âge de Louis. Retrouver sa mère biologique lui a procuré une sensation "indescriptible". "Comme une explosion cérébrale, mais pas destructrice, restructurante au contraire", raconte-t-il. Mais maintenant il veut "passer à autre chose". Les participants se trouvent des traits de caractère communs : la difficulté à faire confiance et à se fixer, le besoin d'être constamment rassuré, l'envie de plaire.
Plaire à ses parents adoptifs, en premier lieu. "On a peur qu'ils regrettent de nous avoir adoptés, même s'ils ne le font pas sentir", dit Sandrine. Certains le font. "Dès que quelque chose n'allait pas, c'était lié à mon origine colombienne, explique Magali. En même temps, ma mère disait que l'adoption était le plus cadeau de sa vie. J'ai fini par comprendre qu'elle était malade."
Gérer les relations avec la famille d'adoption en pleine recherche de ses origines biologiques n'est pas simple. "Au début, ma mère était ravie, raconte Louis. Et puis, au moment où je suis parti en Colombie, elle m'a dit : "Je suis plus ta mère qu'elle." Elle aussi, elle a peur d'être abandonnée. Mais il faut qu'elle comprenne que je ne le ferai jamais."
Gaëlle Dupont
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