La grande crise de l'adoption à l'étranger
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Sophie attend son numéro. Elle l'espérait pour septembre, mais l'administration chinoise tarde. Quand ils l'obtiendront, la jeune femme et son mari seront officiellement inscrits sur la liste des candidats à l'adoption en Chine. Ensuite, ce sera long, ils le savent. Le couple table sur trois ans. "Nous traversons la période la plus difficile, raconte Sophie. On ne sait même pas si cela aboutira un jour. On est obligés de penser à une vie sans enfant." Cela fait déjà deux ans que le couple a commencé les démarches, quand on leur a annoncé qu'ils ne pourraient pas avoir d'enfant biologique.
Sophie et son mari (qui, comme les autres parents interrogés, ont souhaité rester anonymes) ont des atouts. Tous deux âgés de 35 ans, ils remplissent les critères exigés par la Chine : être propriétaires, disposer d'un certain niveau de revenu, être éduqués et en bonne santé. Pourtant, on leur a expliqué que les candidats pour un enfant de 0à3ans sans particularité attendaient au moins six ans. Dans leur dossier, ils ont donc coché la case "enfant affecté d'un handicap réversible": bec-de-lièvre, pied-bot, doigt surnuméraire... Le délai est plus court.
En attendant, il faut vivre. Malgré les vacances reportées et la vieille voiture non remplacée: tout l'argent est économisé pour l'adoption. Elle coûte 10 000 à 15 000euros (en frais de voyages, de dossier, de traduction, dons à l'orphelinat, etc.). Malgré, surtout, l'investissement émotionnel. "Nous le voulons vraiment ce petit bout, donc on va se battre jusqu'au bout, dit Sophie. Si ça ne marche pas, au moins nous n'aurons pas de regret." Quand ils se sont lancés, Sophie et son mari ignoraient qu'ils allaient rencontrer autant de difficultés. Mais depuis quelques années, l'adoption internationale est en chute libre.
"DERNIER RECOURS"
En 2005, quelque 4 000 enfants de toutes nationalités étaient adoptés par des Français. En 2012, ils devraient être 1 500, selon les projections du ministère des affaires étrangères (pour, en moyenne, 600 enfants français). Tous les pays d'accueil sont touchés dans les mêmes proportions (– 60% aux Etats-Unis). La tendance devrait se poursuivre. "Il faut réagir si nous voulons qu'il y ait encore des adoptions internationales en France dans dix ans", affirme Nathalie Parent, la présidente de Enfance et familles d'adoption, principale association de parents adoptifs.
Les raisons se trouvent dans les pays de naissance des enfants. Tout d'abord, ils sont de plus en plus nombreux à ratifier la convention de La Haye de 1993. Le texte établit le principe de subsidiarité : l'enfant délaissé par ses parents doit être maintenu dans sa famille élargie, ou à défaut être adopté dans son pays. Car être élevé loin de sa culture d'origine peut être un traumatisme supplémentaire pour un enfant abandonné. "L'adoption internationale est le dernier recours", résume Mme Parent. La convention proscrit aussi les adoptions individuelles, et oblige à passer par des organismes agréés, afin de lutter contre la corruption et les trafics d'enfants. Cela ralentit le rythme des adoptions, voire les stoppe complètement, le temps pour certains pays de se mettre en conformité.
En parallèle, les anciens grands pays d'origine – Chine, Brésil, Russie... – se développent. "Au Brésil, des classes moyennes apparaissent, analyse Geneviève André-Trevennec, directrice de l'organisme autorisé pour l'adoption de Médecins du monde, le plus gros opérateur associatif français. Ces couples fondent leur famille plus tard et rencontrent les mêmes problèmes de fertilité qu'en Europe.Ils sont candidats à l'adoption. Dans le même temps, le pays fait de gros effort dans la protection de l'enfance pour lutter contre les abandons."
Autre exemple, la Chine a assoupli la politique de l'enfant unique. Les petites filles, auparavant délaissées au profit des garçons, sont moins souvent abandonnées. De façon sous-jacente, la fierté nationale entre aussi en jeu. "Proposer des enfants aux pays riches, c'est un aveu d'échec", explique une source diplomatique. Les Russes limitent les départs au maximum en demandant aux postulants de longues formations. Les Chinois posent des conditions exigeantes. "Beaucoup de pays ont compris que les enfants étaient précieux pour leur avenir", poursuit Mme André-Trevennec.
"UN BÉBÉ EN BONNE SANTÉ, IL NE FAUT PLUS Y PENSER"
Même si leur situation ne s'améliore pas systématiquement sur le terrain, cette évolution est dans l'intérêt des enfants. "Dans un monde idéal, il n'y aurait plus d'adoption internationale, dit-on au ministère des affaires étrangères. L'objectif du système est de trouver une famille pour chaque enfant, pas un enfant pour chaque famille." Les conséquences sont rudes, cependant, pour les candidats tenaillés par le désir d'être parents.
"Il y a dix ans, l'enfant rêvé était proche de l'enfant proposé, explique Mme André-Trevennec. Plus les années avancent, moins c'est le cas. Un bébé en bonne santé, il ne faut plus y penser." Sur le premier semestre 2012, plus de 30 % des enfants adoptés en France avaient plus de 5ans, seuls 9% moins de 1an. Les candidats se voient proposer de plus en plus de fratries et d'enfants atteints de pathologies (problèmes orthopédiques, cardiopathies, hépatites B et C, VIH).
Le parcours d'obstacles s'allonge. Nathalie, 40 ans, vient d'adopter une petite fille de 3 ans, après six ans de démarches. Elle a déposé des dossiers en Russie, au Cap Vert, en Haïti, en Côte d'Ivoire, en Centrafrique, avant d'aboutir en Guinée. "C'est très douloureux de recommencer à chaque fois, explique-t-elle. Un dossier, c'est un enfant." Elle a le sentiment "qu'on nous met des bâtons dans les roues, pour nous décourager".
Une impression partagée par d'autres célibataires. Les organismes agréés pour l'adoption sont très sollicités, donc sélectifs. Rares sont ceux qui acceptent les candidatures de célibataires. De plus en plus de pays les refusent également.
Comment réagir ? Les interrogations montent sur le gouffre entre les 25 000 agréments en cours de validité et le nombre d'adoptions. D'autant que les agréments sont délivrés par les présidents élus des conseils généraux, qui peuvent passer outre l'avis des services spécialisés. Cette procédure, qui est aujourd'hui une évaluation des aptitudes parentales, ne devrait-elle pas être repensée? "Elever le niveau d'information et de préparation des familles est indispensable,estime Mme André-Trevennec. Il faut travailler avec elles sur leur capacité à faire évoluer leur projet et sur les limites de ce qu'elles sont en mesure d'assumer."
Mieux préparer les candidats était l'un des objectifs d'une proposition de loi de la députée UMP Michèle Tabarot, votée en première lecture au Sénat en mars2012, avant l'alternance. Le texte visait également à faciliter l'adoption d'enfants français délaissés. Pas simple, quand le maintien du lien avec la famille biologique est au cœur de la politique de l'aide sociale à l'enfance.
Au-delà, certains commencent à s'interroger sur les limites du système. "Certains pays ne se défaussent-ils pas de leurs responsabilités en donnant à l'adoption internationale des enfants malades?", interroge-t-on par exemple au ministère des affaires étrangères. "On peut se demander jusqu'à quel niveau de sévérité dans la maladie l'adoption est possible, ajoute Mme André-Trevennec. Et jusqu'à quel âge il est judicieux de transférer un enfant à 15 000km de chez lui."
Gaëlle Dupont
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