Point de vue
Soins sans consentement en psychiatrie : de la prééminence du juge sur le préfet
25.05.11
La révision de la loi des soins sans consentement en psychiatrie, qui vient d'être votée en première lecture par les deux Assemblées, a rencontré une opposition forte des professionnels sur un point central : l'importance des pouvoirs accordés aux Préfets. La révision de cette loi a été réclamée par le Conseil Constitutionnel qui a rappelé récemment que seule l'autorité judiciaire est fondée à prononcer des mesures de contrainte. Ainsi, à l'Assemblée Nationale et au Sénat, en ne prenant en compte que les aspects sécuritaires, on a bien introduit un contrôle par le Juge mais on a laissé subsister une rivalité d'autorité entre Préfets et Juges qui viendra immanquablement compliquer de nombreuses situations. Il va de soi que nous réclamons de la simplicité et de la cohérence : un seul maître à bord pour décider de l'obligation de soin ! Le Juge est bien entendu la personne la plus appropriée, il constituera enfin un interlocuteur visible pour les malades qui pourront s'exprimer avec un être humain et n'en seront plus réduits à déchiffrer des documents administratifs souvent abscons. Pour nous, il est clair qu'il appartient à la Police et aux Préfets de faire respecter l'ordre public; le travail des médecins consiste à soigner les malades et à rédiger le cas échéant des certificats médicaux ; c'est au Juge qu'il revient de prononcer les obligations de soins.
Si l'introduction du Juge est ressentie favorablement par la plupart des acteurs de terrain, un autre problème persiste : sa mise en application. Deux modalités sont prévues : - soit une " visio conférence " entre le Juge, le patient, son avocat et ses médecins, depuis une salle de l'hôpital : il s'agit là d'une modalité granguignolesque qui méconnait totalement les problèmes de santé présentés par nos malades : vous imaginez un patient délirant persécuté ou mystique, et de plus en crise (le contrôle devant inter venir dans les premiers jours), s'exprimer devant une caméra! ? - soit un transport des patients au tribunal pour une audience, ce qui ne sera jamais réalisable, nulle part en France. En effet, en psychiatrie, les patients sont toujours accompagnés par des soignants pour des raisons thérapeutiques et de sécurité; or l'on connaît la pénurie que connaissent actuellement nos hôpitaux en infirmiers qui ne pourront donc pas accompagner les malades au Tribunal. D'ailleurs, a-t-on seulement un peu réfléchi à ce qui allait se passer au niveau du Tribunal ? Par exemple, à Paris plusieurs centaine de patients devront être auditionnés chaque semaine : a-t-on prévu des salles d'attente spécifiques au Tribunal ? Y aura-t-il sur place du matériel adapté, la possibilité de faire des injections médicamenteuses, si nécessaire…? Car il ne faut pas se leurrer les malades devront attendre leur tour pour être entendus par le Juge: d'où la possibilité de survenues d'états d'agitation, sans compter les risques de fugues etc. Et le transport, comment l'organiser? Par convois (de sinistre mémoire), dans des camions spécialisés, comme pour les détenus ? Mais il se trouve justement que nos malades ne sont pas des détenus et que se sont eux qui vont pâtir le plus de cette situation (je vous le demande : aurait-on l'idée de transporter au tribunal un accidenté de la route fraichement hospitalisé, pour s'assurer de la légalité de ses soins ? Ou un comateux en phase de réveil ?). Il n'est absolument pas raisonnable pour la santé des patients d'envisager de tels transports: ils ont à ce stade de leur maladie besoin de soins et d'attention et certainement pas d'aller attendre au Tribunal. La seule réponse possible pour que le système fonctionne et pour que la Loi soit respectée, c'est que ce soit le Juge qui se déplace, comme dans tous les pays civilisés : à Bruxelles, Stockholm ou Amsterdam aussi bien qu'aux Etats-Unis ou qu'en Australie, le Juge tient audience deux à trois fois par semaine dans chaque hôpital.
Docteur Gilles Vidon, chef du service de psychiatrie générale du XIIe arrondissement de Paris
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