Loin de la ville, soigner la maladie mentale
07/12/2010
Au centre médico-psychologique de Civray (Vienne), situé en zone rurale, les soignants misent sur un travail de terrain pour repérer les patients en souffrance
Aujourd’hui, c’est jour de marché à Civray (Vienne), comme tous les mardis. Près de la mairie, un vendeur de CD a mis sa sono à plein volume. Au programme, accordéon et musette. Et c’est sur l’air de Lili la Berrichonne que la population locale fait ses courses. « Il faut reconnaître que cela met un peu d’animation, car, d’ordinaire, c’est plutôt tranquille comme endroit », confie un habitant de ce bourg rural de 3 000 habitants, situé à proximité de la Charente et des Deux-Sèvres.
« Ce n’est pas un hasard si nous avons choisi le mardi pour faire nos consultations. Certains patients, isolés et sans moyen de locomotion, viennent au marché en voiture avec leurs voisins. Et du coup, cela leur permet de venir nous voir », explique Roselyne Gobin, infirmière au centre médico-psychologique (CMP) de Civray.
Ce centre est une antenne du centre hospitalier spécialisé (CHS) Henri-Laborit de Poitiers, distant d’une soixantaine de kilomètres. « C’est un outil essentiel d’accès aux soins. Car il est évident que bon nombre des patients reçus ici n’iraient jamais jusqu’à Poitiers pour voir un psychiatre », constate Roselyne Gobin.
Le CMP de Civray prend en charge des patients souffrant de troubles de la personnalité et du comportement : dépressions, schizophrénies, délires, troubles maniaco-dépressifs… Deux mardis par mois, durant toute une journée, des consultations y sont assurées par une équipe venue de Poitiers, composée d’un médecin, de deux internes, d’une psychologue et d’une infirmière.
Les violences perpétrées par des malades mentaux restent exceptionnelles
Ce mardi de novembre, l’ambiance est calme au CMP. Ici, les locaux sont accessibles à tous. Pas de vigile à l’entrée ni de mesure de sécurité particulière. « On travaille dans un climat très serein, assure Roselyne Gobin. On connaît bien nos patients qui, dans l’immense majorité des cas, ne posent aucun problème d’agressivité. »
Ce discours est aussi celui du professeur Jean-Louis Senon, chef du pôle II (Poitiers-Civray) de psychiatrie adulte du CHS Laborit et responsable des urgences psychiatriques du CHU de Poitiers. À la fin de cette semaine, ce médecin doit présider une commission d’audition de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la dangerosité psychiatrique : « C’est un sujet sensible qui, malheureusement, est en général abordé sans recul par les responsables politiques, le plus souvent à l’occasion d’un fait divers, explique-t-il. Il est donc très important de rappeler que les violences perpétrées par des malades mentaux restent tout à fait exceptionnelles. Plus de 95 % d’entre eux ne sont jamais violents. »
Ce psychiatre tient aussi à préciser qu’en cas de passage à l’acte, la violence est en premier lieu dirigée contre la personne elle-même. « La mortalité par suicide chez les schizophrènes est dix fois supérieure à celle de la population générale », souligne-t-il, en reconnaissant que, même s’ils restent rares, les actes de violence contre autrui ne peuvent être ignorés. « Le plus souvent, cette violence est intrafamiliale, dirigée contre un proche (père, mère, sœur…) que le malade identifie comme un persécuteur. »
Pour le professeur Senon, il est donc important d’être capable de repérer certains signes d’alerte pouvant annoncer un passage à l’acte. « Le premier signe, c’est souvent une modification dans le comportement de la personne. Il faut être très attentif si, par exemple, une personne s’isole, se coupe de toute relation sociale, cesse de faire une activité qui lui procurait du plaisir ou manifeste une plus grande irritabilité », indique le psychiatre.
La violence est d’abord l’expression d’une très grande souffrance
« Chez un malade mental, la violence est d’abord l’expression d’une très grande souffrance. Et les familles sont souvent les premiers témoins de cette souffrance qui s’exprime, c’est vrai, souvent par un isolement et un repli sur soi », confirme Jean Renaud, délégué régional en Poitou-Charentes et trésorier national de l’Union nationale des amis et familles des malades psychiques (Unafam).
Un autre facteur à ne pas négliger est la consommation d’alcool ou de cannabis. « L’alcool, consommé de façon importante, peut être un catalyseur de la violence, souligne le professeur Senon. Quant au cannabis, il ne crée pas la psychose mais peut favoriser une déclaration plus précoce d’une schizophrénie avec un délire plus actif. »
Mais le principal facteur de risque est surtout l’arrêt des traitements. « Un patient qui prend ses médicaments régulièrement est en général tout à fait stabilisé. Il peut, bien souvent, avoir une vie familiale, sociale et même professionnelle. Le problème, c’est lorsqu’il arrête », souligne Jean Renaud.
Aujourd’hui, le traitement de fond d’une schizophrénie repose sur la délivrance d’antipsychotiques. «Nous utilisons des médicaments de nouvelle génération qui ont moins d’effets secondaires et sont mieux tolérés par les patients», explique le docteur Christelle Paillard, qui assure depuis deux ans les consultations bimensuelles de psychiatrie au CMP de Civray.
« Il s’agit, dans la quasi-totalité des cas, de traitements qui se présentent sous la forme de comprimés à prendre tous les jours, ajoute-t-elle. Dans certains cas, on associe à ces antipsychotiques des neuroleptiques délivrés par injection. » Si un patient arrête son traitement, l’effet n’est pas immédiat. « C’est très progressif. En moyenne, pour un traitement avec des comprimés, le risque de délire réapparaît entre trois et six mois après l’arrêt des prises », précise le professeur Senon.
Que faire lorsque la personne refuse tout contact avec les soignants ?
Mais comment être certain qu’un patient prend bien son traitement ? Comment savoir si une personne, qui vit seule, sans contact avec l’extérieur, n’est pas en souffrance ? « Certains patients ne viennent jamais au CMP. Pour ne pas les perdre de vue, il faut donc aller chez eux », explique Roselyne Gobin, qui, deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, fait des visites à domicile à Civray et sur les environs.
« C’est très instructif de voir les gens dans leur cadre de vie habituel, poursuit l’infirmière. On peut se rendre compte si un patient n’a pas touché à ses boîtes de médicaments ou s’il a changé ses habitudes. On peut parler avec l’entourage. Parfois, c’est un voisin qui va me dire que M. Untel n’a pas l’air d’aller très bien et qu’il faudrait peut-être aller le voir. J’essaie aussi d’être en contact avec les médecins généralistes ou les assistantes sociales du secteur pour qu’ils me fassent remonter des informations sur une personne en souffrance. »
Selon le professeur Senon, ce travail de terrain est essentiel. « Cette présence humaine est irremplaçable. J’ai beaucoup d’admiration pour les infirmières qui sont souvent de véritables “mémoires vivantes” de nos patients. Elles connaissent leur histoire, la famille, les antécédents médicaux. C’est très précieux pour être capable de réagir vite si un patient se met à présenter un danger, pour lui-même ou pour autrui. »
Reste une question, régulièrement posée par des familles parfois très désemparées : que faire lorsque la personne va mal mais refuse tout contact avec les soignants ? « Ce n’est pas une situation facile, reconnaît Jean Renaud. Mais si la personne est vraiment en souffrance, il ne faut pas hésiter à avoir recours à la procédure de l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT).
Ce n’est pas facile pour un père ou une mère de signer une demande d’HDT, surtout les premières fois. Certains le vivent avec beaucoup de culpabilité. Il faut donc leur dire que cette hospitalisation n’est pas une privation de liberté. C’est une façon d’aider une personne qu’on aime à ne pas se mettre en danger. » Un avis partagé par Jacques Colin, cadre supérieur de santé au CHS Laborit : «L’hospitalisation n’est pas un fin de soi. C’est juste, parfois, le seul moyen de gérer une crise et de permettre à un patient d’aller mieux.»
Pierre BIENVAULT
07/12/2010
Au centre médico-psychologique de Civray (Vienne), situé en zone rurale, les soignants misent sur un travail de terrain pour repérer les patients en souffrance
Aujourd’hui, c’est jour de marché à Civray (Vienne), comme tous les mardis. Près de la mairie, un vendeur de CD a mis sa sono à plein volume. Au programme, accordéon et musette. Et c’est sur l’air de Lili la Berrichonne que la population locale fait ses courses. « Il faut reconnaître que cela met un peu d’animation, car, d’ordinaire, c’est plutôt tranquille comme endroit », confie un habitant de ce bourg rural de 3 000 habitants, situé à proximité de la Charente et des Deux-Sèvres.
« Ce n’est pas un hasard si nous avons choisi le mardi pour faire nos consultations. Certains patients, isolés et sans moyen de locomotion, viennent au marché en voiture avec leurs voisins. Et du coup, cela leur permet de venir nous voir », explique Roselyne Gobin, infirmière au centre médico-psychologique (CMP) de Civray.
Ce centre est une antenne du centre hospitalier spécialisé (CHS) Henri-Laborit de Poitiers, distant d’une soixantaine de kilomètres. « C’est un outil essentiel d’accès aux soins. Car il est évident que bon nombre des patients reçus ici n’iraient jamais jusqu’à Poitiers pour voir un psychiatre », constate Roselyne Gobin.
Le CMP de Civray prend en charge des patients souffrant de troubles de la personnalité et du comportement : dépressions, schizophrénies, délires, troubles maniaco-dépressifs… Deux mardis par mois, durant toute une journée, des consultations y sont assurées par une équipe venue de Poitiers, composée d’un médecin, de deux internes, d’une psychologue et d’une infirmière.
Les violences perpétrées par des malades mentaux restent exceptionnelles
Ce mardi de novembre, l’ambiance est calme au CMP. Ici, les locaux sont accessibles à tous. Pas de vigile à l’entrée ni de mesure de sécurité particulière. « On travaille dans un climat très serein, assure Roselyne Gobin. On connaît bien nos patients qui, dans l’immense majorité des cas, ne posent aucun problème d’agressivité. »
Ce discours est aussi celui du professeur Jean-Louis Senon, chef du pôle II (Poitiers-Civray) de psychiatrie adulte du CHS Laborit et responsable des urgences psychiatriques du CHU de Poitiers. À la fin de cette semaine, ce médecin doit présider une commission d’audition de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la dangerosité psychiatrique : « C’est un sujet sensible qui, malheureusement, est en général abordé sans recul par les responsables politiques, le plus souvent à l’occasion d’un fait divers, explique-t-il. Il est donc très important de rappeler que les violences perpétrées par des malades mentaux restent tout à fait exceptionnelles. Plus de 95 % d’entre eux ne sont jamais violents. »
Ce psychiatre tient aussi à préciser qu’en cas de passage à l’acte, la violence est en premier lieu dirigée contre la personne elle-même. « La mortalité par suicide chez les schizophrènes est dix fois supérieure à celle de la population générale », souligne-t-il, en reconnaissant que, même s’ils restent rares, les actes de violence contre autrui ne peuvent être ignorés. « Le plus souvent, cette violence est intrafamiliale, dirigée contre un proche (père, mère, sœur…) que le malade identifie comme un persécuteur. »
Pour le professeur Senon, il est donc important d’être capable de repérer certains signes d’alerte pouvant annoncer un passage à l’acte. « Le premier signe, c’est souvent une modification dans le comportement de la personne. Il faut être très attentif si, par exemple, une personne s’isole, se coupe de toute relation sociale, cesse de faire une activité qui lui procurait du plaisir ou manifeste une plus grande irritabilité », indique le psychiatre.
La violence est d’abord l’expression d’une très grande souffrance
« Chez un malade mental, la violence est d’abord l’expression d’une très grande souffrance. Et les familles sont souvent les premiers témoins de cette souffrance qui s’exprime, c’est vrai, souvent par un isolement et un repli sur soi », confirme Jean Renaud, délégué régional en Poitou-Charentes et trésorier national de l’Union nationale des amis et familles des malades psychiques (Unafam).
Un autre facteur à ne pas négliger est la consommation d’alcool ou de cannabis. « L’alcool, consommé de façon importante, peut être un catalyseur de la violence, souligne le professeur Senon. Quant au cannabis, il ne crée pas la psychose mais peut favoriser une déclaration plus précoce d’une schizophrénie avec un délire plus actif. »
Mais le principal facteur de risque est surtout l’arrêt des traitements. « Un patient qui prend ses médicaments régulièrement est en général tout à fait stabilisé. Il peut, bien souvent, avoir une vie familiale, sociale et même professionnelle. Le problème, c’est lorsqu’il arrête », souligne Jean Renaud.
Aujourd’hui, le traitement de fond d’une schizophrénie repose sur la délivrance d’antipsychotiques. «Nous utilisons des médicaments de nouvelle génération qui ont moins d’effets secondaires et sont mieux tolérés par les patients», explique le docteur Christelle Paillard, qui assure depuis deux ans les consultations bimensuelles de psychiatrie au CMP de Civray.
« Il s’agit, dans la quasi-totalité des cas, de traitements qui se présentent sous la forme de comprimés à prendre tous les jours, ajoute-t-elle. Dans certains cas, on associe à ces antipsychotiques des neuroleptiques délivrés par injection. » Si un patient arrête son traitement, l’effet n’est pas immédiat. « C’est très progressif. En moyenne, pour un traitement avec des comprimés, le risque de délire réapparaît entre trois et six mois après l’arrêt des prises », précise le professeur Senon.
Que faire lorsque la personne refuse tout contact avec les soignants ?
Mais comment être certain qu’un patient prend bien son traitement ? Comment savoir si une personne, qui vit seule, sans contact avec l’extérieur, n’est pas en souffrance ? « Certains patients ne viennent jamais au CMP. Pour ne pas les perdre de vue, il faut donc aller chez eux », explique Roselyne Gobin, qui, deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, fait des visites à domicile à Civray et sur les environs.
« C’est très instructif de voir les gens dans leur cadre de vie habituel, poursuit l’infirmière. On peut se rendre compte si un patient n’a pas touché à ses boîtes de médicaments ou s’il a changé ses habitudes. On peut parler avec l’entourage. Parfois, c’est un voisin qui va me dire que M. Untel n’a pas l’air d’aller très bien et qu’il faudrait peut-être aller le voir. J’essaie aussi d’être en contact avec les médecins généralistes ou les assistantes sociales du secteur pour qu’ils me fassent remonter des informations sur une personne en souffrance. »
Selon le professeur Senon, ce travail de terrain est essentiel. « Cette présence humaine est irremplaçable. J’ai beaucoup d’admiration pour les infirmières qui sont souvent de véritables “mémoires vivantes” de nos patients. Elles connaissent leur histoire, la famille, les antécédents médicaux. C’est très précieux pour être capable de réagir vite si un patient se met à présenter un danger, pour lui-même ou pour autrui. »
Reste une question, régulièrement posée par des familles parfois très désemparées : que faire lorsque la personne va mal mais refuse tout contact avec les soignants ? « Ce n’est pas une situation facile, reconnaît Jean Renaud. Mais si la personne est vraiment en souffrance, il ne faut pas hésiter à avoir recours à la procédure de l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT).
Ce n’est pas facile pour un père ou une mère de signer une demande d’HDT, surtout les premières fois. Certains le vivent avec beaucoup de culpabilité. Il faut donc leur dire que cette hospitalisation n’est pas une privation de liberté. C’est une façon d’aider une personne qu’on aime à ne pas se mettre en danger. » Un avis partagé par Jacques Colin, cadre supérieur de santé au CHS Laborit : «L’hospitalisation n’est pas un fin de soi. C’est juste, parfois, le seul moyen de gérer une crise et de permettre à un patient d’aller mieux.»
Pierre BIENVAULT
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