La mesure de la délinquance juvénile
Par CORINNE BENSIMON
Sociologue, Laurent Mucchielli, est directeur de recherches au CNRS. Auteur, avec Véronique Le Goaziou, de la Violence des jeunes en question (Champs social Ed., 2009), il anime un site d’analyse sur la délinquance et la justice (1).
«Je me suis toujours intéressé aux phénomènes de déviance. Après mon entrée au CNRS, en 1997, j’ai travaillé notamment sur la délinquance juvénile, interpellé par la distance croissante entre les résultats de recherche et les discours dominants.
«1997 est l’année où Jospin, Premier ministre, fait de la sécurité sa priorité, avec le chômage. La pensée sécuritaire s’impose : "Les jeunes sont de plus en plus violents ; autrefois, c’était les garçons, à présent, c’est aussi les filles ; autrefois seulement les villes, à présent aussi les campagnes. C’est la faute aux parents, à l’école, à la justice, laxistes." Ce discours décadentiste trahit une société en panne de projet. Mais quelle est sa part de vérité sur la délinquance ?
«Pour le savoir, j’ai compilé, avec Véronique Le Goaziou, trois types de données. Historiques, d’abord. Remontant aux années 60, nous découvrons que les "blousons noirs" suscitent des discours dénonçant une violence "nouvelle" de jeunes agissant en bande, auteurs de viols collectifs. En 2001, on dira pourtant que les "tournantes" sont inédites… (1)
«Ensuite, sur les chiffres, nous ne nous sommes pas contentés des statistiques de police qui comptent seulement les procès-verbaux. Nous avons étudié les enquêtes anonymes réalisées auprès d’échantillons représentatifs de la population, demandant aux gens s’ils avaient été victimes ou auteurs de violences, vols, etc.
«A notre surprise, ces enquêtes révèlent une stabilité des actes de délinquance, alors que les procès-verbaux dressés par la police à l’encontre des mineurs ont été multipliés par 2,5 au cours des trente dernières années.
«Conclusion ? Ce qui a évolué, ce n’est pas la délinquance mais le code pénal (durci) et le recours (croissant) à la procédure judiciaire pour des faits - insultes, bagarres, dégradations - gérés auparavant par les parents, voisins, enseignants, etc. Ce ne sont pas les jeunes qui ont changé mais les adultes et l’environnement social marqué par un délitement des solidarités de proximité (équipes d’enseignants, familles, etc.).
«A présent, je travaille sur l’évaluation des politiques de sécurité, par exemple la vidéosurveillance.»
(1) www.laurent-mucchielli.org
Par CORINNE BENSIMON
Sociologue, Laurent Mucchielli, est directeur de recherches au CNRS. Auteur, avec Véronique Le Goaziou, de la Violence des jeunes en question (Champs social Ed., 2009), il anime un site d’analyse sur la délinquance et la justice (1).
«Je me suis toujours intéressé aux phénomènes de déviance. Après mon entrée au CNRS, en 1997, j’ai travaillé notamment sur la délinquance juvénile, interpellé par la distance croissante entre les résultats de recherche et les discours dominants.
«1997 est l’année où Jospin, Premier ministre, fait de la sécurité sa priorité, avec le chômage. La pensée sécuritaire s’impose : "Les jeunes sont de plus en plus violents ; autrefois, c’était les garçons, à présent, c’est aussi les filles ; autrefois seulement les villes, à présent aussi les campagnes. C’est la faute aux parents, à l’école, à la justice, laxistes." Ce discours décadentiste trahit une société en panne de projet. Mais quelle est sa part de vérité sur la délinquance ?
«Pour le savoir, j’ai compilé, avec Véronique Le Goaziou, trois types de données. Historiques, d’abord. Remontant aux années 60, nous découvrons que les "blousons noirs" suscitent des discours dénonçant une violence "nouvelle" de jeunes agissant en bande, auteurs de viols collectifs. En 2001, on dira pourtant que les "tournantes" sont inédites… (1)
«Ensuite, sur les chiffres, nous ne nous sommes pas contentés des statistiques de police qui comptent seulement les procès-verbaux. Nous avons étudié les enquêtes anonymes réalisées auprès d’échantillons représentatifs de la population, demandant aux gens s’ils avaient été victimes ou auteurs de violences, vols, etc.
«A notre surprise, ces enquêtes révèlent une stabilité des actes de délinquance, alors que les procès-verbaux dressés par la police à l’encontre des mineurs ont été multipliés par 2,5 au cours des trente dernières années.
«Conclusion ? Ce qui a évolué, ce n’est pas la délinquance mais le code pénal (durci) et le recours (croissant) à la procédure judiciaire pour des faits - insultes, bagarres, dégradations - gérés auparavant par les parents, voisins, enseignants, etc. Ce ne sont pas les jeunes qui ont changé mais les adultes et l’environnement social marqué par un délitement des solidarités de proximité (équipes d’enseignants, familles, etc.).
«A présent, je travaille sur l’évaluation des politiques de sécurité, par exemple la vidéosurveillance.»
(1) www.laurent-mucchielli.org
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