Vivre avec un smic "demande beaucoup de débrouille"
02.12.10
Le ministère du travail a rendu public, mardi 30 novembre, un rapport d'experts chargé de donner son avis sur l'évolution du salaire minimum. Le document suggère de ne pas augmenter le smic, en dehors de la revalorisation liée à l'inflation. Dans une interview à "Libération", jeudi, la ministre de l'économie, Chrisitine Lagarde, a justifié cette position, arguant que "la stratégie des coups de pouce est inefficace pour la création d'emplois et la lutte contrela pauvreté". A cette occasion, nous avons demandé aux internautes touchant le smic (1 055 euros net par mois, à temps plein) de nous raconter leur trajectoire et expliquer comment ils s'organisent pour faire face aux dépenses de la vie quotidienne.
* Un arbitrage inlassable, par Sandrine G.
Il y a longtemps que je ne regarde plus ma fiche de paie. Je la laisse dans son enveloppe et la range avec les autres. Elles s'accumulent dans un tiroir de la cuisine. Inévitablement, je sais qu'elle affichera le même salaire que le mois précédent : 1 055 euros.
Je déteste par avance la commisération et l'exotisme social dans lesquels vont se vautrer ceux qui liront tous ces témoignages. Mais il faut bien parler ; il faut dire cette expérience. Pour les journalistes, ce n'est qu'un marronnier qui annonce l'hiver. Pour moi, c'est une forme de vie. Et c'est la mienne.
Je suis caissière dans un hypermarché de province. J'ai 35 ans. Mon hypermarché fait en moyenne plus d'un million de chiffre d'affaires par jour. Dès le 7 du mois, je suis à découvert. Une fois que j'ai payé l'assurance de la voiture, l'essence, une petite complémentaire santé, le loyer de mon 25 m², l'assurance de ce logement, l'électricité et l'abonnement portable-Internet, je n'ai quasiment plus rien. Il faut manger aussi.
Seuls ceux qui connaissent cette forme de vie peuvent comprendre l'expérience de l'arbitrage inlassable et du calcul permanent. Je ne connais plus (mais les ai-je déjà connus ?) les petits excès – un livre, un cinoche, un restau, une fringue de marque – que l'on s'offre de temps en temps, en souriant, "parce qu'il faut bien se faire plaisir et qu'on n'a qu'une vie". J'accepte cette vie ordonnée et triste. Je crois que je ne crois plus en la justice.
* Nous sommes heureux car nous sommes ensemble, par Audrey C.
Je suis maman solo de deux enfants. Je vis au smic depuis cinq ans. J'ai privilégié le confort de l'habitation. Je vis dans une maison avec trois chambres et un jardin, en location. Avec un loyer élevé et des charges qui le sont aussi, les loisirs sont restreints. On sort très peu les week-ends. Je n 'ai pas le droit aux aides sociales car il faut toucher moins que le smic. Dès qu'il y a des problèmes de voiture ou des grosses factures qui arrivent, c'est dur. J'ai un prêt de consommation et je puise trop souvent dedans. Pour les courses, j'arrive à dépenser moins grâce au hard discount mais pour le reste (mutuelle, assurances, électricité, essence...), c'est dur de pouvoir tout payer avec si peu.
Pour vêtir mes enfants, j'achète des vêtements d'occasion grâce aux vide-greniers ou sur Internet, via des petites annonces. Pareil pour les meubles, l'électroménager. Des amis nous font des dons. Pour Noël, j'ai pris des jouets d'occasion. Les vacances, mes enfants ne connaissent pas. Malgré toutes ces difficultés financières, ils sont heureux car nous sommes ensemble, nous avons chacun une bonne santé et il y a beaucoup d'amour qui fait que l'on se sent plus riche humainement. Mais quand je me retrouve seule dans ma chambre, je me mets à pleurer en pensant à notre vie de misère et comment s'en sortir afin que leur avenir soit meilleur.
* Je ne vis pas, je survis, par Jean-Jacques B.
Je galère. Mon loyer représente presque la moitié de mon salaire, tous les 20 de chaque mois je n'ai plus d'argent. J'ai droit à quelques aides, notamment de la banque alimentaire et des aides personnalisées au logement, mais je ne vis pas, je survis. Je ne fais aucune dépense, donc aucun plaisir. Je ne sors plus depuis que j'ai un loyer à payer. Le pire est que mes dépenses augmentent chaque année de façon continue, alors que mon salaire stagne au raz des pâquerettes. La vie est dure, presque sans intérêt.
* La solidarité, la force du smicard, par Quentin M.
Vivre avec le smic, c'est éviter le gaspillage de gasoil, de nourriture, d'énergies. Manger LIDL, glaner sur les marchés quelques produits frais. Passer un peu de temps à relancer les institutions comme la Caisse d'allocations familiales pour qu'elles vous aident. Chercher les bonnes affaires quand il est question de vêtements, de matériels divers. Pour faire simple, vivre avec le smic c'est ménager ses envies, limiter ses déplacements (opter pour le vélo), ne pas sortir souvent, faire la fête chez soi, vivre en colocation, découvrir des réseaux d'entraide... C'est la solidarité du smicard qui fait sa force ! Etre smicard, c'est au final connaître la vraie valeur des choses, rester modeste, sans jalousie, et comprendre que la vie ne tourne pas autour de simples jouets à la mode et hors de prix (un iPhone, c'est déjà un tiers du salaire mensuel). Etre smicard demande beaucoup plus de culture, d'audace, de débrouille que d'être né riche et célèbre.
* On ne vit pas avec le smic sans aides, par NC
Pour avoir une location décente pour quatre personnes dans le Sud, non située en zone inondable ou non insalubre, il faut déjà quasiment compter le smic. Donc en rajoutant téléphone, électricité, gaz et eau, c'est limite ou impossible de se payer la mutuelle, qui reste ainsi réservée aux enfants.
Calculez : 1 100 € de salaire + 700 € toutes allocations confondues + 200 € de pension alimentaire, lorsque le père veut bien = 2 000 €, pas mal. - 900 € de loyer, - 50 € d'électricité, - 150 € de gaz (sans avoir bien chaud), - 50 € de mutuelle pour les enfants, - 10 € d'eau en comptant bien et en se limitant, - 40 € de téléphone et Internet, - 50 € d'assurance pour le véhicule, - 320 € de cantine pour les enfants, - 150 € de centre aéré, moins ce qui reste pour manger, s'habiller, les frais (anniversaires où sont invités les enfants, réparation de véhicule ou tout simplement le gasoil pour aller au travail...).
* Rigueur et débrouille, par Thomas
Je suis étudiant en alternance et je perçois 60 % du smic, ma copine 70 %. On paie un peu plus de 600 euros de loyer, et pour le reste, on se débrouille comme on peut. Dès qu'on a besoin de quelque chose (un meuble à remplacer, électroménager cassé), on regarde les sites d'annonces, on va chez Emmaüs, ou sur les sites de dons, qui sont encore trop peu courants... Pour les courses alimentaires, on scrute chaque semaine les promotions dans toutes les grandes surfaces, et on fait la tournée des magasins en fonction des offres. Parfois, on va aussi dans les déstockages alimentaires, où les produits ont une date limite de consommation proche, mais qui sont encore consommables. Pour la sécurité sociale, on bénéficie de la CMU (couverture-maladie universelle) complémentaire, ce qui nous limite les frais médicaux.
Nous n'osons pas aller voir les services sociaux, ni les associations humanitaires, non pas par honte ou amour-propre, mais car nous sommes conscients que nous ne sommes, hélas, pas les plus nécessiteux. A coté de notre alternance, nous faisons des petits boulots (plonge dans un restaurant, billetterie lors des spectacles, etc.), mais les places sont aussi rares que précaires...
* La course à l'argent n'est pas une fatalité, par Alexandre D.
Nous avons deux enfants et vivons avec 1 200 euros net par mois. Pour quatre personnes, c'est donc en dessous du "seuil de pauvreté". La seule combine que nous avons est un coup de chance : nous avons un loyer de seulement 400 euros pour une chouette petite maison entre Aix et Marseille. Il semble que le coût du logement soit le plus gros problème pour vivre avec de petits revenus. Une fois le loyer payé, nous vivons bien. Même très bien. Est-il nécessaire d'avoir de quoi se payer un nouvel iPad tous les mois pour avoir le sentiment de vivre "décemment" ? La France est vaste et le coût de la vie n'est pas le même partout. Le smic n'est donc pas un revenu misérable pour tout le monde. Il est certain qu'à Paris, on doit quelque peu galérer, mais pour beaucoup d'autres, il s'agit simplement d'une vie normale, avec du temps pour faire ce qu'on aime, sortir quand on en a envie et se payer des vacances "décentes" de temps à autre. La course à l'argent n'est pas une fatalité. Sans aucune combine particulière, rien dans notre vie ne me paraît indigne.
* Plutôt heureuse…, par Charlotte C.
C'est dur, mais on se fait à tout, l'important étant de pas être trop ambitieux. Je mange peu de viande, j'achète peu de produits alimentaires transformés, j'ai vendu ma voiture, je circule à vélo (j'habite Limoges), je n'achète plus de livres ni de magazines, donc je passe beaucoup de temps dans la bibliothèque de mon quartier, j'emprunte ce qui m'intéresse. Je pars en vacances mais jamais loin, je squatte dans les maisons de vacances de mes amis avec mes filles. Pour les vêtements, je rafistole ou je vais dans les friperies, où je dégote des pièces tendance pour trois fois rien ! Bon, c'est pas toujours facile, j'ai souvent recours au système D mais je n'ai pas l'impression d'être moins heureuse qu'une autre. Je vis de façon très écolo par la force des choses, c'est pas si mal aujourd'hui !
* Je vis depuis toujours avec le smic, voire moins..., par Anthony R.
Aujourd'hui âgé de 32 ans, je travaille depuis l'âge de 18 ans pour un smic ou à peine plus ; j'ai toujours occupé des postes qui impliquaient de travailler les jours fériés et les week-ends sans autres compensations que celles légales (dans la restauration rapide ou dans la jardinerie, c'est 25 % de plus les week-ends et jours fériés). Le smic m'a tout juste permis de subvenir à mes besoins fondamentaux, vitaux. Heureusement, la famille était là et la caisse d'allocation familiale, entre autres organismes sociaux et aidant.
Seulement, la vie, du moins la mienne, ne se résume pas à "manger, travailler, se loger". La culture et tous les "à-côtés" sont aussi indispensables. J'ai dû alors jongler entre légalité et illégalité. J'ai longtemps vécu en colocation pour minimiser les frais, ai usé de petits jobs "au black", voire même parfois de petits trafics. Rien de tout cela ne m'a permis de me payer de grosses berlines, des vacances dans les îles, juste de vivre ma vie simple, manger, me loger, m'habiller, sortir, découvrir, créer aussi.
* Un smic, dès lors qu'il faut le partager, c'est maigre, par Océane R.
Personnellement, je suis au chômage (malgré un bac+8), alors je dois vivre en partageant le smic de mon compagnon. Pas d'enfants donc aucune aide. Nous ne pouvons pas en vivre : nous sommes hébergés tous deux chez une tierce personne (c'est-à-dire pas d'intimité de couple, pas d'autonomie, pas d'indépendance financière). Le smic pour une personne seule, ça suffit, mais dès lors qu'il faut le partager, c'est maigre : ça signifie pas de vacances, pas de loisirs, pas de sorties, pas de déplacements (y compris ceux qui me permettraient de trouver du travail), pas de quoi se faire plaisir... Des astuces ? Mon compagnon s'est mis en auto-entrepreneur, mais pour l'instant, aucun chiffre d'affaires, car travailler en plus d'un autre emploi salarié à temps plein, c'est épuisant et certains jours impossible.