Le Conseil Constitutionnel a mis en question la loi de 1990, source d’abus. ENFIN !
30 Novembre 2010
Par guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux
Cet avis du 26 novembre est un progrès, mais surtout nous ne devons pas en rester là !
Certains professionnels de la psychiatrie s’en prennent aussitôt avec maladresse au Conseil Constitutionnel comme s’il s’agissait d’un méfait du Président Sarkozy, Cette réaction se croit juste parce qu’elle est violente alors qu’elle ne fait pas la moindre analyse, elle se croit juste parce qu’elle s’oppose à l’Etat.
Nos amis ne comprennent pas que leur mode de réaction, comme leurs arguments ne font que renfermer encore la psychiatrie dans un ghetto ! Tout en maintenant les psychiatres et leur pouvoir sur un piédestal ; ils en appellent à Foucault, mais c’est cette attitude de pouvoir que Michel Foucault critiquait chez les psychiatres ! C’est ce ghetto qui doit être aboli.
En fait nous devons remarquer que le Conseil reste très timoré et modeste dans sa contestation, sa critique ne concerne que la prolongation au-delà de 15 jours de l’hospitalisation à la demande d’un tiers ! Alors que la loi italienne est beaucoup plus exigeante, elle ne permet que 10 jours d’hospitalisation sous contrainte. La critique du Conseil est très partielle. C’est bien peu. De façon stupéfiante, il ne met pas en cause la prolongation des hospitalisations d’office, c’est cela qui est incohérent !
Reprenons nos esprits. Cet avis au lieu de provoquer la colère doit être au contraire l’occasion de remettre en cause la totalité de notre législation, et en cela on ne peut qu’être content de ce premier pas fait par le Conseil Constitutionnel, il faut non seulement le suivre mais l’entrainer pour remettre en cause l’atteinte à la liberté qu’installent dans notre pays de liberté la loi de 1838, et la loi de 1990 -qui n’en est que la confirmation hypocrite, elle est en réalité plus grave, car elle est appliquée avec beaucoup plus de facilité et de laxisme que ne l’était la loi de 1838 : -ainsi entre 1970 et 1990, pendant toute cette période, les hospitalisations sous contrainte ont diminué considérablement de 80 à 20%. Mais depuis la loi de 1990, qui a commencé à faire refluer les soignants sur l’hôpital et diminué les soins de secteur, les hospitalisations sous contrainte n’ont fait que croitre chaque année !
Dans le débat actuel les psychiatres ne se souviennent plus du propos très dur de Bonnafé, Daumezon et leurs amis: « l’internement cette conduite ‘primitive’ » (Information Psychiatrique, novembre 1948) ou ils ne l’ont pas compris. De plus nos anciens n’ont cessé de nous mettre en garde : toute ‘révision’ de la loi de 1838 (a fortiori celle de 1990) ne peut aboutir, justement parce que l’on veut accroitre les garanties, qu’à un résultat plus inquiétant car restreignant de façon plus perverse la liberté des patients. La seule attitude, à leurs yeux, était de promouvoir l’application de la politique de secteur qui, plutôt que des pierres et plutôt que des lois, mettait des hommes à la disposition de la population. La seule loi souhaitable était selon eux une loi avec un seul article : « La loi de 1838 est abolie ». Le Conseil devrait continuer sa critique et demander d’abolir la loi de 1990.
Le reste devait être réalisé concrètement par le déploiement des soignants dans les espaces de vie de la ville pour que la psychiatrie soit ‘accessible’, se montre vraiment au service des hommes de la Cité, les soigne là en s’appuyant si besoin sur les lois de droit commun.
Les troubles psychiques graves se déploient toujours sur de longues durées ; la présence dans le tissu social d’une équipe de secteur (enfin sortie de son ghetto hospitalier), et sa disponibilité permettent à la fois de répondre à la survenue progressive des troubles et d’enrayer leur évolution vers des manifestations violentes (celles-ci ne surviennent que parce que les premiers troubles n’ont pas été remarqués, et en particulier parce que les soignants refusent de recevoir et d’écouter la famille ; les familles sont les premiers témoins de ces souffrances, mais depuis deux siècles la psychiatrie méprise et écarte la famille).
Ceci n’est pas un propos abstrait : c’est ce que la pratique de la politique de secteur, dans les secteurs qui n’ont pas été déchirés ou laminés par l’administration, a montré progressivement pendant 40 ans ! C’est un constat clair. Il n’est pas besoin de loi pour soigner. Une loi ne soigne pas. Il faut en témoigner tant que la psychiatrie de secteur existe encore.
La psychiatrie ne peut évoluer que si elle prend conscience de son ghetto et de son pouvoir démesuré dénoncés par Michel Foucault comme par Bonnafé et Daumezon. C’est dans cette démarche seulement de critique de sa ghettoïsation que la stigmatisation et la discrimination, les pires fléaux de notre époque, seront écartées. Il est très regrettable de constater que les psychiatres de gauche comme de droite ne rêvent que d’obligation de soins et veulent l’appliquer eux-mêmes, ne percevant pas qu’ainsi ils se mettent au-dessus des lois. Puisqu’ils s’occupent de la folie seraient-ils ‘sacrés’ d’une valeur supérieure aux autres citoyens, ils seraient seuls à être capables de rencontrer les malades et à savoir comment diriger leur vie ! Il suffit de descendre de notre piédestal et d’aller voir l’équipe de secteur voisine et de regarder concrètement comment ces hommes que nous sommes agissons dans le quotidien avec les patients (auxquels nous refusons le terme d’usagers en dehors des soins) et avec leur famille : le constat est accablant, montrant notre naïveté et notre désarroi, mais aussi notre violence quand nous sommes démunis. Il faut seulement du temps et une attitude humaine, et pas une loi, pour commencer à soigner : l’attention à l’autre.
Avec cet arrêt du Conseil Constitutionnel la voie de la critique des lois spécifiques, ségrégatives et limitatives de liberté est enfin ouverte (on se sent assez mal à l’aise aujourd’hui de comprendre que cette démarche aurait pu commencer il y a longtemps).
Rien ne justifie une loi spéciale pour les troubles psychiques : la ségrégation et le racisme commencent là.
Ne parlons plus dans l’abstrait, concrètement il n’y a aucune amélioration possible de la loi de 1990, copie de la loi de 1838, parce que justement elle est basée sur une donnée ségrégative. Un pas considérable avait été fait avec la loi sur les biens en janvier 1968 : en effet la loi de 1838 concernait la personne ‘et’ ses biens, elle enfermait et en même temps elle gardait sous son contrôle tous les biens des malades (en fait elle les laissait dépérir). La loi de 1968 est une loi de droit commun s’adressant à toute personne limitée dans la gestion de ses biens quelle qu’en soit la cause (physique, psychique ou contextuelle). Cela a été une amélioration considérable. Mais le pire reste là : la restriction de liberté de la personne a persisté.
Il est essentiel de comprendre que toute limitation de la liberté est une atteinte aux droits constitutionnels de l’homme. Cette limitation ne saurait être mieux sauvegardée par un corps professionnel autre que la justice dont c’est la fonction. Sinon on crée une autre catégorie dans l’espèce humaine et l’on donne à la population un argument et des armes pour mettre à part cette catégorie, la traiter d’une autre manière et lui imposer un joug qui va l’inférioriser.
Cette question est aussi importante que l’était la peine de mort. Elle doit provoquer des débats aussi vastes. La persistance de la situation actuelle, qui a commencé en 1838, constitue une porte ouverte à toutes les dérives totalitaires.
Nous pouvons nous réjouir de voir le Conseil Constitutionnel nous ouvrir la route.
Mais ne nous cachons pas la réalité : la vraie question, celle qui prime tout et qui est occultée par ce débat, est l’élaboration d’un plan de santé sur la psychiatrie permettant de former suffisamment des hommes et de les mettre à disposition de la population dans les espaces banaux de la Cité, pour qu’ils soient « au service de tous » et apaisent ensemble, avec leur entourage, leurs souffrances psychiques. C’est une cause commune faite de solidarité.
30 Novembre 2010
Par guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux
Cet avis du 26 novembre est un progrès, mais surtout nous ne devons pas en rester là !
Certains professionnels de la psychiatrie s’en prennent aussitôt avec maladresse au Conseil Constitutionnel comme s’il s’agissait d’un méfait du Président Sarkozy, Cette réaction se croit juste parce qu’elle est violente alors qu’elle ne fait pas la moindre analyse, elle se croit juste parce qu’elle s’oppose à l’Etat.
Nos amis ne comprennent pas que leur mode de réaction, comme leurs arguments ne font que renfermer encore la psychiatrie dans un ghetto ! Tout en maintenant les psychiatres et leur pouvoir sur un piédestal ; ils en appellent à Foucault, mais c’est cette attitude de pouvoir que Michel Foucault critiquait chez les psychiatres ! C’est ce ghetto qui doit être aboli.
En fait nous devons remarquer que le Conseil reste très timoré et modeste dans sa contestation, sa critique ne concerne que la prolongation au-delà de 15 jours de l’hospitalisation à la demande d’un tiers ! Alors que la loi italienne est beaucoup plus exigeante, elle ne permet que 10 jours d’hospitalisation sous contrainte. La critique du Conseil est très partielle. C’est bien peu. De façon stupéfiante, il ne met pas en cause la prolongation des hospitalisations d’office, c’est cela qui est incohérent !
Reprenons nos esprits. Cet avis au lieu de provoquer la colère doit être au contraire l’occasion de remettre en cause la totalité de notre législation, et en cela on ne peut qu’être content de ce premier pas fait par le Conseil Constitutionnel, il faut non seulement le suivre mais l’entrainer pour remettre en cause l’atteinte à la liberté qu’installent dans notre pays de liberté la loi de 1838, et la loi de 1990 -qui n’en est que la confirmation hypocrite, elle est en réalité plus grave, car elle est appliquée avec beaucoup plus de facilité et de laxisme que ne l’était la loi de 1838 : -ainsi entre 1970 et 1990, pendant toute cette période, les hospitalisations sous contrainte ont diminué considérablement de 80 à 20%. Mais depuis la loi de 1990, qui a commencé à faire refluer les soignants sur l’hôpital et diminué les soins de secteur, les hospitalisations sous contrainte n’ont fait que croitre chaque année !
Dans le débat actuel les psychiatres ne se souviennent plus du propos très dur de Bonnafé, Daumezon et leurs amis: « l’internement cette conduite ‘primitive’ » (Information Psychiatrique, novembre 1948) ou ils ne l’ont pas compris. De plus nos anciens n’ont cessé de nous mettre en garde : toute ‘révision’ de la loi de 1838 (a fortiori celle de 1990) ne peut aboutir, justement parce que l’on veut accroitre les garanties, qu’à un résultat plus inquiétant car restreignant de façon plus perverse la liberté des patients. La seule attitude, à leurs yeux, était de promouvoir l’application de la politique de secteur qui, plutôt que des pierres et plutôt que des lois, mettait des hommes à la disposition de la population. La seule loi souhaitable était selon eux une loi avec un seul article : « La loi de 1838 est abolie ». Le Conseil devrait continuer sa critique et demander d’abolir la loi de 1990.
Le reste devait être réalisé concrètement par le déploiement des soignants dans les espaces de vie de la ville pour que la psychiatrie soit ‘accessible’, se montre vraiment au service des hommes de la Cité, les soigne là en s’appuyant si besoin sur les lois de droit commun.
Les troubles psychiques graves se déploient toujours sur de longues durées ; la présence dans le tissu social d’une équipe de secteur (enfin sortie de son ghetto hospitalier), et sa disponibilité permettent à la fois de répondre à la survenue progressive des troubles et d’enrayer leur évolution vers des manifestations violentes (celles-ci ne surviennent que parce que les premiers troubles n’ont pas été remarqués, et en particulier parce que les soignants refusent de recevoir et d’écouter la famille ; les familles sont les premiers témoins de ces souffrances, mais depuis deux siècles la psychiatrie méprise et écarte la famille).
Ceci n’est pas un propos abstrait : c’est ce que la pratique de la politique de secteur, dans les secteurs qui n’ont pas été déchirés ou laminés par l’administration, a montré progressivement pendant 40 ans ! C’est un constat clair. Il n’est pas besoin de loi pour soigner. Une loi ne soigne pas. Il faut en témoigner tant que la psychiatrie de secteur existe encore.
La psychiatrie ne peut évoluer que si elle prend conscience de son ghetto et de son pouvoir démesuré dénoncés par Michel Foucault comme par Bonnafé et Daumezon. C’est dans cette démarche seulement de critique de sa ghettoïsation que la stigmatisation et la discrimination, les pires fléaux de notre époque, seront écartées. Il est très regrettable de constater que les psychiatres de gauche comme de droite ne rêvent que d’obligation de soins et veulent l’appliquer eux-mêmes, ne percevant pas qu’ainsi ils se mettent au-dessus des lois. Puisqu’ils s’occupent de la folie seraient-ils ‘sacrés’ d’une valeur supérieure aux autres citoyens, ils seraient seuls à être capables de rencontrer les malades et à savoir comment diriger leur vie ! Il suffit de descendre de notre piédestal et d’aller voir l’équipe de secteur voisine et de regarder concrètement comment ces hommes que nous sommes agissons dans le quotidien avec les patients (auxquels nous refusons le terme d’usagers en dehors des soins) et avec leur famille : le constat est accablant, montrant notre naïveté et notre désarroi, mais aussi notre violence quand nous sommes démunis. Il faut seulement du temps et une attitude humaine, et pas une loi, pour commencer à soigner : l’attention à l’autre.
Avec cet arrêt du Conseil Constitutionnel la voie de la critique des lois spécifiques, ségrégatives et limitatives de liberté est enfin ouverte (on se sent assez mal à l’aise aujourd’hui de comprendre que cette démarche aurait pu commencer il y a longtemps).
Rien ne justifie une loi spéciale pour les troubles psychiques : la ségrégation et le racisme commencent là.
Ne parlons plus dans l’abstrait, concrètement il n’y a aucune amélioration possible de la loi de 1990, copie de la loi de 1838, parce que justement elle est basée sur une donnée ségrégative. Un pas considérable avait été fait avec la loi sur les biens en janvier 1968 : en effet la loi de 1838 concernait la personne ‘et’ ses biens, elle enfermait et en même temps elle gardait sous son contrôle tous les biens des malades (en fait elle les laissait dépérir). La loi de 1968 est une loi de droit commun s’adressant à toute personne limitée dans la gestion de ses biens quelle qu’en soit la cause (physique, psychique ou contextuelle). Cela a été une amélioration considérable. Mais le pire reste là : la restriction de liberté de la personne a persisté.
Il est essentiel de comprendre que toute limitation de la liberté est une atteinte aux droits constitutionnels de l’homme. Cette limitation ne saurait être mieux sauvegardée par un corps professionnel autre que la justice dont c’est la fonction. Sinon on crée une autre catégorie dans l’espèce humaine et l’on donne à la population un argument et des armes pour mettre à part cette catégorie, la traiter d’une autre manière et lui imposer un joug qui va l’inférioriser.
Cette question est aussi importante que l’était la peine de mort. Elle doit provoquer des débats aussi vastes. La persistance de la situation actuelle, qui a commencé en 1838, constitue une porte ouverte à toutes les dérives totalitaires.
Nous pouvons nous réjouir de voir le Conseil Constitutionnel nous ouvrir la route.
Mais ne nous cachons pas la réalité : la vraie question, celle qui prime tout et qui est occultée par ce débat, est l’élaboration d’un plan de santé sur la psychiatrie permettant de former suffisamment des hommes et de les mettre à disposition de la population dans les espaces banaux de la Cité, pour qu’ils soient « au service de tous » et apaisent ensemble, avec leur entourage, leurs souffrances psychiques. C’est une cause commune faite de solidarité.
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