par Anne Diatkine publié le 22 février 2021
Peter Brook, le 10 février, à Paris. (Richard Dumas/Libération)
Casser la tradition du vieux théâtre costumé, sortir de l’insularité anglaise, s’ouvrir à des langues inventées, tout reprendre à zéro en Inde avec l’ami Jean-Claude Carrière… Peter Brook, légende de la mise en scène de bientôt 96 ans, se raconte à «Libération».
Peter Brook se lève lentement du canapé. Il mime un funambule qui avance sur une corde tendue au-dessus d’un ravin, tout en envoyant des balles avec une raquette. On discerne le fil, on entend les rebondissements et le souffle retenu du public, on voit son corps qui bascule tout en continuant de marcher sur la ligne si fine, il récupère une balle imaginaire qui passe au-dessus de sa tête, l’exercice nécessite souplesse du torse et concentration, essayez donc trente secondes, et le très juvénile metteur en scène, 96 ans le 21 mars, se rassoit : «Pour un homme comme moi qui n’a plus aucun équilibre, c’est très dangereux ce que je viens de faire !» Un moment unique de théâtre a surgi inopinément alors qu’on lui demandait si les exercices préparatoires des comédiens avant de jouer variaient selon ses spectacles et comment. Pourquoi ce souvenir du Songe d’une nuit d’été avec des trapézistes et des acrobates chinois et des acteurs anglais du Royal Shakespeare Theatre s’est-il invité dans son salon baigné de lumière, alors que cette création à Stratford, ville natale de Shakespeare, s’est donnée il y a un demi-siècle déjà ? Dans son autobiographie, la bien nommée Oublier le temps, le metteur en scène note que les répétitions, mot qu’il abhorre, étaient un genre de puzzle dont le premier morceau consistait à épuiser les acteurs par divers exercices physiques. A la fin de journée seulement, tout le monde se laissait couler avec soulagement à même le sol. «Alors seulement, nous nous mettions à lire la pièce, et ces lectures n’avaient qu’un but : permettre aux comédiens de s’écouter mutuellement et de laisser le texte se glisser en eux, sans commentaire ni analyse. Au début, les comédiens lisaient tout, à tour de rôle, ce qui supprimait la notion de monopole.»