Le comprend-il immédiatement ou faut-il attendre quelques mois que les effets de la guerre se fassent ressentir jusque dans les gamelles ? Très vite en tout cas après l’arrivée, en janvier 1940, du médecin catalan François Tosquelles à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère), une urgence saute aux yeux, bien loin des traités de psychiatrie, une urgence aussi élémentaire que visible : nourrir les malades.
La tâche est immense, et elle l’est d’autant plus qu’en 1940, l’Etat français a réquisitionné 25 établissements psychiatriques en France, dont les malades se sont retrouvés expatriés vers d’autres hôpitaux. Saint-Alban, déjà bien rempli, a dû accueillir les patients de Rouffach (Haut-Rhin) et de Ville-Evrard, en banlieue parisienne.
Ils sont là, ils s’entassent dans le vieux château et ses dépendances. Sous-alimentés, pour certains enfermés en cellule. Le lieu, parfois, ressemble à un camp de concentration. Que faire ? Bizarrement, comme un trop lourd secret, il y a très peu de témoignages de patients, très peu aussi de témoignages de médecins ou d’infirmières sur la famine qui va régner dans les hôpitaux psychiatriques. La question de la survie avait beau être la première des préoccupations, c’est le silence qui prévaut. Et il faudra attendre 1987 pour que Max Lafont, un jeune médecin de l’hôpital du Vinatier près de Lyon, publie un ouvrage intitulé l’Extermination douce. Il évoque les 40 000 malades mentaux, morts de faim dans les asiles de l’Hexagone. Non pas une famine intentionnelle décidée d’en haut, mais voilà une foultitude de morts à petits feux, partout en France. Plus de 3 000 par exemple à l’hôpital psychiatrique du Vinatier où aucun des poilus internés depuis la Première Guerre mondiale ne survivra, et les cinquante malades mentaux juifs, convoyés depuis l’Alsace fin 1940 et qui avaient échappé à la déportation, mourront de faim.