La photographe Marianne Rosenstiehl a choisi de donner à voir ce que les femmes dissimulent depuis toujours... Bravant tous les tabous, elle expose une admirable série de photos dédiée à ce sang qui, périodiquement, s’écoule du corps féminin*. On le voit, rouge, glisser le long d’une cuisse ou enduire les sexes d’un couple après l’amour, on l’imagine sous les jupes de ces femmes qui arpentent un champ pour qu’il en tue les limaces, on en sourit quand ce sont de petits soldats anglais qui sortent d’entre les jambes d’une femme. Réalité écarlate ou simple allusion symbolisée, dans tous les cas, on le voit.
La chose est loin d’être anodine selon moi, elle est tout simplement inouïe. Car le sang menstruel ne se représente pas : on ne le montre pas, on n’en parle pas, on le cache. Au XVIe siècle, les règles se disaient catimini, du grec katamenia qui renvoie à la lune et au mois (men) ; nous en avons conservé l’expression qui désigne ce que l’on fait de façon dissimulée ou hypocrite. Mais ce sang caché est aussi la production corporelle la plus têtue ; chaque mois, pendant plus de quarante ans, chaque femme saigne, toutes les femmes saignent. Comment a-t-il pu se faire qu’une expérience aussi universelle, aussi banale, aussi nécessaire même dans sa raison d’être physiologique, échappe ainsi à toute représentation et à toute considération ?