Muséographie du moi
LE MONDE |
Quel est le moi, qu'il soit de pixels ou de chair et de sang, sans le prolongement de l'autre ? Evoquant L'Exposition de soi. Du journal intime aux webcams d'Anne Cauquelin (Eshel, coll. "Fenêtre sur ", 2003), Arnaud Genon écrit sur Fabula.org qu'"au support premier de l'écriture de soi, la feuille de papier ou le livre, s'ajoutent aujourd'hui des cyber-supports tels que le journal sur Internet ou la webcam. C'est ainsi qu'il nous faut désormais parler "d'exposition de soi", cette formule permettant de prendre en compte ces nouveaux moyens d'expression" (bit.ly/YDDCyl).
Une exposition de soi, une "tendance expressiviste", qui, selon le sociologue Dominique Cardon, en octobre 2008, "n'est pas près de s'éteindre" (bit.ly/YDDyyq), pointant que "l'identité numérique est moins dévoilement que projection de soi".
Les résultats d'une enquête ("Sociogeek") pointaient, en 2008, l'émergence de deux nouvelles formes d'exposition, en marge des modalités classiques que sont l'exposition de soi traditionnelle et l'impudeur corporelle. Ces deux nouveaux archétypes, toujours pérennes en 2013, sont l'exhib', "qui correspond aux formes d'expression de soi selon lesquelles les personnes se mettent en scène" et le trash, ses "formes d'expression de soi outrancières" et ses "images négatives" (bit.ly/14uyHQH).
CULTURE DE L'ÉGOTISME EFFRÉNÉ ?
"Exposition", selon les termes d'Anne Cauquelin. "Projection", pour Dominique Cardon. Une terminologie associée aux arts et à la société du spectacle ? Sommes-nous en représentation, sur la scène de nos écrans, sur les planches virtuelles du Web, prêts à accrocher notre "moi éditorialisé" sur les murs de nouveaux e-musées ? Culture de l'égotisme effréné, dans le seul but de se constituer un capital social, voire un patrimoine culturel du soi ?
The Museum of Me, d'Intel.com, invite l'internaute titulaire d'un compte Facebook à "créer et explorer les archives visuelles de sa vie sociale"(intel.ly/11duMDk). L'individu, metteur en scène de sa vie sur "èfbi" fait dès lors son entrée au musée. Gros plan sur le titre de cette rétrospective : "Marlène Duretz", en lettres capitales, suivi des dates de l'exposition. Un panorama horizontal permet au visiteur de pénétrer dans la première salle et de découvrir les tableaux de l'"artiste". Sans le moindre égard pour le droit d'auteur, les photographies et reproductions engrangées sur mon Facebook deviennent ici "mes" créations.
La visite continue : une scénographie élégante et des installations originales et variées valorisent mes statuts, commentaires, profils et publications. Quelle démonstration, certes esthétiquement irréprochable mais nombriliste, de l'"exposition du soi" ! Encore heureux que l'entrée soit gratuite.
Marlène Duretz (C'est tout Net)