Assise statistique du DSM-5 : l’ère du kappa
Publié le 04/02/2013
« La fiabilité est le premier test de validité pour un diagnostic » rappelle The American Journal of Psychiatry, à propos de la «psychiatrie fondée sur des faits » (evidence-based psychiatry, sur le modèle de l’evidence-based medicine)[1] inspirant le DSM depuis le DSM-III, autrement dit une « validation empirique des critères » pour reconnaître la symptomatologie des maladies (sous-entendu sans a priori théorique, comme par exemple dans les conceptions psychanalytiques).
Si certains psychiatres (notamment ceux de formation analytique) reprochent au DSM d’avoir évacué ainsi cadre théorique et structures, cet ouvrage (amorçant bientôt sa cinquième édition) s’appuie aussi sur un (autre) paradigme, celui des statistiques, explicite dès son nom : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Cette assise statistique du DSM passe en particulier par la place donnée au kappa [2], une mesure statistique de l’accord entre évaluateurs avec laquelle « la plupart des cliniciens ne sont pas familiarisés. » L’ambition des chercheurs est bien sûr d’accroître la fiabilité des diagnostics en assurant la meilleure objectivité possible aux listes de signes auxquelles le DSM se fie pour étiqueter les maladies mentales. Mais malgré ce recours systématique à l’approche statistique, des difficultés demeurent. Par exemple, « l’association commune» de l’anxiété à la dépression peut compliquer le diagnostic de dépression, une problématique au spectre très large allant « des sujets mélancoliques à ceux qui ne demandent aucun traitement. » Et si l’échelle de dépression de Hamilton (Hamilton Depression Rating Scale) [3] permet de « mieux distinguer les patients répondant à la pharmacothérapie » (contrairement aux critères du DSM-IV), les rédacteurs du DSM-5 ont préféré « ne pas modifier les critères du trouble dépressif majeur » (importés du DSM-IV), mais « proposer à la place d’autres diagnostics pour le mélange anxio-dépressif » (mixture between anxiety and depression). Pour autant, cette démarche n’aura pas « amélioré la fiabilité médiocre du diagnostic de dépression » (the poor reliability of DSM-IV depression), puisque la nouvelle entité nosographique « mélange anxio-dépressif » a un kappa de Cohen nul et que ce critère statistique est considéré comme mauvais, « irrecevable » (unacceptable agreement) au voisinage de zéro (un « bon kappa » étant au contraire ≥ 0,40 et un « très bon kappa » ≥ 0,60). Mais quelle que soit la fiabilité du diagnostic, l’essentiel est de comprendre « le cours naturel d’un trouble, sa réponse au traitement, et son impact sur la vie du sujet. » Or comme un diagnostic basé sur un entretien unique ne peut pas « capter l’essence du vécu par le patient », les auteurs concluent sur l’importance d’une « communication continue » (ongoing clinical dialogue) avec le malade, pour tenter de saisir cette « essence », comme le « parfum d’une rose. »
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9decine_fond%C3%A9e_sur_les_faits
[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Kappa_de_Cohen [3] http://www.echelles-psychiatrie.com/pdf/echelle-hdrs.pdf
Dr Alain Cohen
Freedman R coll. : The initial field trials of DSM-5: new blooms and old thorns Am J. Psychiatry 2012; 170: 1–5.
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