Propos recueillis par Léa Iribarnegaray Publié le 02 mai 2024
Olivia Gross, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, défend, dans un entretien au « Monde », l’importance d’intégrer des usagers dans les parcours de formation des étudiants en médecine, et notamment en psychiatrie.
Olivia Gross est directrice adjointe du Laboratoire éducations et promotion de la santé et titulaire de la chaire de recherche sur l’engagement des patients, à l’université Sorbonne Paris-Nord. Elle défend les vertus de la démocratie en santé et l’importance d’intégrer des usagers dans les parcours de formation des étudiants en médecine, notamment dans le domaine de la psychiatrie.
En quoi l’engagement des patients peut-il améliorer l’attractivité d’une spécialité à la fois mal-aimée et stigmatisée comme la psychiatrie ?
Il existe de nombreuses études là-dessus : on sait que le fait d’avoir vu des patients dans le cadre de sa formation – donc en dehors des stages à l’hôpital – transforme complètement les représentations et conceptions que pouvaient avoir les étudiants. Or, il existe un « curriculum caché » en médecine, véhiculé au-delà du savoir officiel, sur lequel on n’a pas de prise.
Quand cela concerne des patients avec des troubles psychiatriques, les idées fausses sont d’autant plus fortes : il n’y a qu’à voir l’exemple du terme « schizophrénie », dont l’usage en France est particulièrement péjoratif et éloigné de la réalité.
Il n’est pas étonnant que la psychiatrie se saisisse du sujet, bien avant les autres spécialités médicales, d’ailleurs. C’est une discipline qui peut paraître rétrograde, alors qu’elle est de plus en plus novatrice et se pose beaucoup de questions sur elle-même.
Sur la question de l’attractivité, entendre des récits et des parcours de patients qui ont accédé à des soins de bonne qualité permet aux étudiants de ne pas avoir l’impression que leur travail sera vain. En psychiatrie, on peut se sentir impuissant, car il n’existe pas de marqueurs biologiques – ni de la maladie ni de la guérison. Si le patient vient raconter l’utilité du recours au soin, cela peut contrebalancer cette insécurité.
Concrètement, qu’est-ce que cela change de rencontrer des patients à la fac plutôt que dans des milieux de pratique médicale ?
D’abord, on peut poser en cours des questions qu’on ne peut pas poser dans une chambre d’hôpital. En soin, notamment en psychiatrie, on rencontre les patients en crise. On ne les croise jamais le reste du temps de leur vie, qui devient une zone aveugle. Et on pourrait arriver à croire que les patients psychiatriques seraient toujours vulnérables, malheureux, fragiles… En échangeant avec eux en dehors du cadre hospitalier, les étudiants découvrent des personnes fortes, résilientes, capables de prendre des décisions pour elles-mêmes. Ça défie totalement leurs préconceptions.
Une fois que les futurs médecins ont choisi la psychiatrie, l’engagement des patients permet cette fois que les soins soient beaucoup plus individualisés et culturellement adaptés. Cela permet aussi une meilleure prise en compte de l’entourage et de la famille, victimes collatérales de la souffrance. Les soins sont également plus empathiques et orientés vers le rétablissement, plus engagés contre la stigmatisation, avec moins de distance sociale. Comme il ne s’agit pas réellement de leurs patients, les étudiants ne se sentent pas agressés par leurs retours, ce ne sont pas eux qui sont mis en cause par certains récits. Ils comprennent mieux les frustrations des patients face au système de santé et aux difficultés d’accès aux soins.
A ce stade, on en est encore à la question de la mise en place de l’engagement des patients dans les formations…
Oui, mais je sens une vraie appétence, il existe un mouvement fort ces dernières années. Cela n’a plus rien à voir avec ce que j’ai pu connaître il y a dix ans : on est aujourd’hui dans le concret, dans une phase de structuration. Les étudiants et leurs syndicats sont également très en demande. La formation est un enjeu majeur : c’est là que se construit l’identité professionnelle. L’étudiant est en train de réfléchir au médecin qu’il va devenir. C’est un moment charnière, ce qui explique que les usagers soient aussi très motivés pour venir les rencontrer.
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