par François-Xavier Gomez publié le 30 avril 2024
Mercredi dernier, le Premier ministre espagnol évoquait sa possible démission après l’ouverture d’une enquête judiciaire contre sa femme. Le lendemain, une participante de la douzième saison de Masterchef, sur la chaîne publique RTVE, annonçait son départ volontaire du concours. Les deux événements n’ont aucun lien et sont sans commune mesure : on ne met pas sur un pied d’égalité la gestion d’un pays de 48 millions d’habitants et la course à la victoire dans un programme de téléréalité. Mais les deux protagonistes ont avancé le même motif : la nécessité de protéger leur santé mentale dans un contexte de fortes pressions. La question a trouvé un écho immédiat dans la société espagnole : quel prix faut-il payer pour atteindre un objectif ? Peut-on réussir sans sacrifier son bien-être et celui de ses proches ?
Les reproches adressés après ces deux annonces ont été étonnamment similaires : tant le chef du gouvernement que l’apprentie cheffe savaient avant de s’engager que, placés sous l’œil de l’audience télé, de l’opinion publique ou de l’opposition, ils seraient cibles de critiques. Mais les messages de soutien ont été plus nombreux encore.
«Tchao, tu rends ton tablier et tu prends la porte»
Dans le cas de Pedro Sánchez, la situation qu’il a décrite comme insupportable est la mise en cause de son épouse Begoña dans le seul but, selon lui, de lui nuire politiquement. Face à ces «calomnies» et ce «harcèlement» venus de la droite et l’extrême droite, rester en poste «en vaut-il la peine ?» s’est interrogé le dirigeant socialiste dans une lettre ouverte postée sur X.
De son côté, Tamara, consultante financière d’origine russe de 31 ans, a mis en avant le malaise qu’elle ressentait face à une concurrence impitoyable sur le plateau télé. Elle avait déjà manifesté dans un épisode précédent ce qui la différenciait des autres aspirants : elle ne rêve aucunement d’ouvrir un restaurant, destin des vainqueurs (ou même des finalistes) de Masterchef, succès planétaire et émission leader des audiences sur RTVE. Sa vie professionnelle et familiale lui suffit amplement.
C’est moins son retrait que le mépris avec lequel les juges ont traité sa décision, sans trace d’empathie ou de compréhension : «Tchao, tu rends ton tablier et tu prends la porte, l’émission continue», lui a lancé à la figure le chef Jordi Cruz Mas, célèbre pour ses répliques cinglantes et volontiers humiliantes. D’autres candidats ont accusé la jeune femme d’égoïsme, pour avoir «pris la place» d’une ou un candidat(e) qui aurait montré des nerfs plus solides. Le malaise a gagné la chaîne publique qui a décidé de supprimer l’épisode en question de son offre replay, en présentant des excuses au public pour un «contenu qui n’aurait pas dû être diffusé».
«Société dopée à la caféine et aux anxiolytiques»
Le lendemain de la retransmission de l’épisode, la ministre de la Santé, Mónica García, avait pris position par un message sur X (ex-Twitter) : «Faire passer le bien-être émotionnel avant les rythmes de vie frénétiques n’est pas de l’égoïsme, mais du courage. Notre engagement pour la santé mentale implique d’identifier pourquoi la vie fait souffrir. Nous ne voulons pas d’une société dopée à la caféine et aux anxiolytiques.» Médecin anesthésiste et membre de Más Madrid, formation de gauche radicale, la ministre a relancé un thème cher à Pedro Sánchez, qui avait lancé un «Plan d’action santé mentale et Covid-19» dès octobre 2021.
L’ère post-pandémie a multiplié les cas de burn-out et de dépression. Ceux concernant la haute compétition sportive ont été très médiatisés. En 2021, la joueuse de tennis nippo-haïtienne Naomi Osaka a interrompu sa carrière plusieurs mois après avoir craqué nerveusement sous la pression du résultat. En 2023, l’un des meilleurs basketteurs espagnols, Ricky Rubio, invoquait une usure mentale pour renoncer au championnat du monde. Le chanteur belge Stromae a de son côté stoppé prématurément sa tournée 2023, épuisé par un rythme de vie frénétique. «J’ai parfois eu des pensées suicidaires […] qui me font vivre un enfer», avait-il exprimé dans sa chanson l’Enfer, sortie en 2022.
Pedro Sánchez a finalement décidé, lundi, de poursuivre son mandat de Premier ministre, tout en demandant au débat politique d’exclure les attaques personnelles. Le coup de gueule du dirigeant socialiste, à l’approche de deux scrutins importants, les élections régionales en Catalogne, le 12 mai, et les européennes, le 9 juin, n’était sans doute pas exempt de stratégie partisane. Mais autant l’homme politique que la candidate de téléréalité ont eu le mérite de rappeler que des répliques expéditives pour assurer de l’audience ou des accusations sans fondement utilisées comme armes électorales sapent l’équilibre émotionnel des personnes et détériorent la coexistence pacifique d’une société.
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