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mercredi 29 novembre 2023

TRIBUNE Loi fin de vie : encadrer la mort avec l’euthanasie plutôt que la privatiser avec le suicide assisté

par Denis BERTHIAU, Membre de l’Institut Droit et Santé   publié le 26 novembre 2023

Alors que le gouvernement doit déposer un projet de loi sur la fin de vie et que l’ancien maire de Lyon Gérard Collomb vient de mourir après avoir bénéficié à sa demande «d’une sédation profonde» prévue par la loi de 2016, le juriste Denis Berthiau se prononce en faveur d’une prise en charge collective de l’aide à mourir dans un cadre médical.

Le gouvernement devrait déposer prochainement un projet de loi en faveur d’une aide active à mourir. La question de principe qui consiste à savoir si l’on doit entrer ou ne pas entrer dans une telle démarche en France n’est presque plus débattue. La problématique est ailleurs, elle réside dans celle du «comment», confrontant le suicide assisté à l’euthanasie. Comme juriste mais non moins impliqué dans la connaissance des situations concrètes, quels sont les arguments qui pourraient militer dans un sens ou dans un autre ? Donner la possibilité à l’individu de se faire aider dans sa volonté de mourir est en tout état de cause une exception au droit pénal qui sanctionne sévèrement tout acte qui conduit à provoquer ou accompagner la mort. Pourtant il existe des exceptions que sont les causes d’irresponsabilité, à l’instar de la légitime défense ou de l’état de nécessité. Celles-ci permettent dans certaines circonstances précises d’écarter la responsabilité pénale et donc d’exclure la peine. C’est ainsi qu’aujourd’hui, dans la matière qui nous occupe, les lois Leonetti ont déjà posé une irresponsabilité médicale face à la non-assistance à personne en danger lorsqu’elles permettent aux médecins de retirer les traitements qui maintiennent en vie, à la demande du patient ou dans le cadre d’une obstination déraisonnable reconnue. Préciser cette évolution de la loi aujourd’hui bien installée montre que le droit, dans une situation médicale particulière, a déjà admis la possibilité à la mort de survenir dans la transgression d’une des obligations les plus fortes qui pèsent sur le soignant, l’obligation d’assistance d’une personne en danger.

Echelle de la transgression collective

Le suicide, quant à lui, n’est certes pas directement prohibé par notre droit mais reste très largement mis sous surveillance pénale, notamment par la sanction de sa provocation ou par d’autres sanctions indirectes. Or, pour le suicide, jamais la société n’a admis jusqu’àlors de poser une exception. Au contraire toutes ses actions sont dirigées pour lutter contre ce qu’il convient d’appeler un fléau. Le contrôle social entend être absolu. Dès lors qu’aurait à gagner notre équilibre social à introduire dans notre droit une exception pénale inédite alors même qu’une partie du chemin est déjà accomplie avec le «laisser mourir» médical encadré par les lois Leonetti ? Dans la situation d’aide médicale à mourir, il s’agit en toute hypothèse d’atteindre le moins possible à la légitime protection de la vie humaine. La voie de l’euthanasie assurée dans un cadre médical reste préférable car dans l’échelle de la transgression collective, elle est placée en dessous du suicide assisté. L’euthanasie s’inscrit en effet dans un parcours médical qui est un parcours de mort inévitable, tandis que la référence au suicide dans le suicide assisté s’inscrit plus largement dans un parcours d’interruption de la vie alors même qu’elle n’est pas objectivement en danger. C’est la raison pour laquelle au nom du contexte médical, le droit a déjà accepté d’introduire des exceptions, alors qu’au regard de l’interruption de la vitalité dans lequel s’inscrit classiquement le suicide, le droit l’a toujours refusé.

Pendant plus «naturel»

Un autre argument réside dans l’introduction dans la loi en 2016 de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’à la mort. Avant même cette loi, les sédations palliatives étaient des pratiques médicales connues dans le cadre des soins palliatifs face à des souffrances inapaisables. Le soignant se contente ici de soulager le patient. Pourtant le législateur en 2016, en légalisant la pratique n’a pas seulement entendu viser cette situation puisque la sédation profonde et continue maintenue jusqu’à la mort peut être notamment mise en place après un refus de traitement vital émis par le patient. A la demande de mort du patient, la médecine a déjà été convoquée dans un cadre hospitalier pour assurer les meilleures conditions du mourir. Il pourrait donc paraître étrange que ce qui a été inscrit dans une procédure entièrement médicale en 2016 soit réfuté dans la future loi si on privilégiait le suicide assisté. L’euthanasie, apparaît comme un pendant plus «naturel» de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’à la mort. Le cadre hospitalier reste le même, la médecine étant interpellée par le patient dans l’une ou l’autre voie.

Il reste un argument décisif tiré de l’organisation même de notre système de santé. Depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la France au travers du financement des soins a choisi la solidarité et donc l’axe de la collectivité dans l’organisation de son système de santé. En d’autres termes, le soignant lorsqu’il agit, agit dans un cadre essentiellement collectif, très encadré par la loi. L’introduction du suicide assisté au détriment de l’euthanasie serait une reconnaissance d’une forme de «privatisation» de l’acte de mort médical. Au-delà de son remboursement ou non, il serait en pratique à l’initiative de l’individu dans un cadre certes contrôlé mais largement privatisé, dépassant le seul cadre médical et donc le cadre collectif.

Vivre ensemble médical

Cette conception irait à l’encontre de tout le développement du droit médical en France depuis plus d’un demi-siècle. Comment pourrait-on ainsi écarter du collectif un acte aussi important que celui de la provocation de la mort pour raisons médicales ? Comment en assurer le contrôle absolument nécessaire si l’acte ne s’inscrit pas procéduralement dans notre vivre ensemble, incluant le vivre ensemble médical ? Ce point ne semble pas négociable dans le débat qui nous occupe et semble militer définitivement pour une euthanasie incluant l’encadrement et l’aide de la médecine. Dans la mesure où la société dans son ensemble estime possible voire souhaitable d’accompagner le malade dans la mort quitte à l’aider à mourir, ce collectif est contraint d’assumer entièrement la tâche et seule l’euthanasie offre cette possibilité tant symboliquement que pratiquement.

Denis Berthiau est maître de conférences à l’université Paris-Cité, spécialisé dans le droit de la bioéthique. Membre de l’Institut droit et santé. Dernier ouvrage paru : le Virage bioéthique (L’harmattan, 2019).


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