par Virginie Ballet, Envoyée spéciale dans le Nord publié le 24 novembre 2023
Dans l’un des départements les plus concernés par les violences conjugales l’an dernier, un dispositif d’hébergement ouvert cet été permet aux femmes et à leurs enfants d’être accompagnée pour se reconstruire.
Il lui a fallu plusieurs mois pour avoir «le déclic» et «trouver le courage de le faire». Petit à petit, en secret, pendant des semaines, Marie (1) a préparé son départ du domicile conjugal, cachant quand elle le pouvait «des papiers, des vêtements» pour elle et ses enfants, à la cave. «Mon histoire, on dirait presque un film à suspense», dit-elle. Mariée depuis un peu plus de deux ans, Marie a d’abord subi humiliations et violences verbales : «Il me rabaissait, me disait sans cesse : “Tu ne sais rien.”» Il planquait les clés de la voiture, pour l’empêcher de sortir. Il y a un an est venu le premier coup, puis un deuxième. «Il n’y aura pas de troisième fois», a pensé Marie. C’est auprès d’une association d’aide aux victimes de violences que la femme de 39 ans a trouvé «une porte de secours» pour partir, avec ses deux enfants âgés de 2 et 13 ans, issu d’une première union. «Je ne peux pas vivre sans eux», sourit-elle, se disant «rassurée» de les savoir à l’abri à ses côtés. D’ici quelques semaines, elle donnera naissance au troisième, mais elle sait désormais qu’elle va pouvoir vivre la fin de sa grossesse «en sécurité» : mi-octobre, Marie et ses enfants sont arrivés au sein du dispositif Olympe.
Créé cet été, il met à disposition des femmes et de leurs enfants 55 places d’hébergement dans une commune à une trentaine de kilomètres de Lille contre une faible participation financière, fixée en fonction des revenus. Signe que le besoin était là : toutes les places sont aujourd’hui occupées, dont 38 par des enfants, âgés de 1 à 17 ans. Selon les dernières statistiques du ministère de l’Intérieur, en 2022, le département du Nord faisait partie des cinq zones françaises (avec la Guyane, la Réunion, le Pas-de-Calais et la Seine-Saint-Denis) à enregistrer le plus grand nombre de victimes de violences conjugales : 13,2 pour 1 000 habitants de 15 à 64 ans, contre 9,7 au niveau national. Selon la préfecture, 10 548 plaintes ont été déposées en 2022. «C’est la preuve que la prévention fait son chemin. Les femmes osent plus facilement dire ce qui se passe pour elles, et ne restent pas sans réponse», analyse Bérangère Grauwin, cheffe de service du dispositif Olympe.
Soutien juridique et aide à la parentalité
Dans ce lieu ultra-sécurisé de près de 2 000 m², se mêlent des espaces communs à la décoration moderne et épurée, éclairés par de grandes baies vitrées donnant sur un jardin ; et des endroits où jouer pour les enfants. «Souvent, l’enfant s’est senti en insécurité. Il peut alors être affecté dans son développement, ce qui peut se manifester par des pleurs, des angoisses, un sommeil perturbé», observe Anne Laurent, éducatrice de jeunes enfants au sein de la structure.
A l’étage se succèdent des studios d’inspiration scandinave, aux lits superposés et aux rideaux colorés, permettant à chaque famille de conserver son intimité. Orientées par le Samu social, des associations voire les forces de l’ordre dans les cas les plus urgents, les femmes qui intègrent le dispositif Olympe peuvent bénéficier d’un accompagnement complet pour rebondir. Cogéré par deux associations – Solfa, engagée contre les violences faites aux femmes, et la Sauvegarde du Nord, spécialisée dans l’accompagnement de personnes vulnérables –, le système propose un soutien juridique, une aide à la parentalité, au retour à l’emploi, des activités sportives ou culturelles et d’ici peu, un suivi psychologique. «On leur offre un lieu chaleureux où se poser, se reposer et reconstruire un projet de vie», résume Bérangère Grauwin. Si elle salue la mise en place, dès le 1er décembre, d’une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales versée par les CAF, jusqu’à 600 euros, la cheffe de service est malgré tout sceptique : «C’est un premier pas pour avancer, mais pas sûre que ce soit suffisant.»
«Le chemin sera long mais j’ai fait les premiers pas»
En pantoufles dans un canapé moelleux, Marie dit s’être débarrassée de «la boule de stress» qui lui nouait l’estomac, avant. «J’avais besoin de me poser, d’être zen, pour me remettre sur pied, explique-t-elle. Ici, on m’aide à me relever, à reprendre ma vie en main. J’ai les idées claires et beaucoup de motivation. C’est comme si je sentais une force, parce que je sais que je ne suis pas toute seule.»
S’il est encore trop tôt pour qu’elle sache si elle souhaite déposer plainte contre son ex-conjoint, Marie a déjà pu effectuer une demande de logement pérenne et engagé une procédure de divorce. «Le chemin sera long mais j’ai fait les premiers pas», sourit-elle. Bérangère Grauwin, la cheffe de service, le sait : rien n’est jamais gagné tant l’emprise peut être forte. «Certaines femmes sont reparties chez elles après quarante-huit heures. On leur dit sans jugement qu’on sera là pour elles, qu’elles peuvent toujours nous rappeler», précise-t-elle. Il y a encore quelques mois, Marie se sentait comme «une plante fanée». Récemment, sa fille lui a fait remarquer qu’elle souriait davantage. «Peut-être que je refleuris.»
(1) Le prénom a été modifié.
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