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dimanche 26 novembre 2023

J’ai infiltré le public des émissions de télé : « Si c’est drôle, riez, et si ce n’est pas drôle… riez quand même ! »

Par  Publié le 25 novembre 2023

Des « Oooh ! », des « Aaah ! », des rires, des applaudissements sur commande. Derrière les candidats ou les invités des émissions de télé est massé un public recruté et encadré par des sociétés spécialisées. Les spectateurs assidus, souvent âgés, y voient une occasion de tisser des liens sociaux, tout en côtoyant des vedettes.

Sur le tournage de l’émission « Questions pour un champion », en 2003. 

Les mains de l’agente de sécurité remontent le long de notre jambe, la palpation est ferme et rigoureuse. « Qu’est-ce que c’est dans votre poche ? Un crayon ? Vous n’en avez pas besoin, retournez déposer ça au vestiaire. » On obéit, de peur de se faire remarquer. Tandis qu’on se fraye un chemin en sens inverse dans la queue, un autre vigile harangue la foule : « On s’aperçoit qu’une personne essaie de rentrer avec son téléphone… Je vous rappelle que tout ce qui est portable, appareil photo, clés ou objet métallique doit rester au vestiaire. Je reviens sur les tenues vestimentaires : manteaux, écharpes, casquettes, ça ne rentre pas ! Les médicaments, c’est oui, le Labello, c’est non. »

Trois femmes s’échangent un regard complice en riant : « Celle-là, on ne nous l’avait jamais faite ! » Natalina Silva, Célia De Oliveira et Maria Jaffrezic connaissent la chanson : avec plus d’une cinquantaine de tournages à leur actif, les trois amies du Val-de-Marne ont l’habitude d’entendre ces consignes. Ce sont toujours les mêmes qui sont adressées aux anonymes qui viennent peupler l’arrière-plan des émissions de télévision enregistrées en public. Jeux, talk-shows, télé-crochets, concerts caritatifs… Chaque jour, la télévision a besoin de centaines de volontaires comme elles pour donner un peu de chaleur à ces programmes, faire entendre des applaudissements, des rires, des « Oooh ! », des « Aaah ! ». C’est une véritable industrie derrière l’industrie, avec ses habitués, ses chauffeurs de salle et ses nombreuses agences d’événementiel qui organisent et accueillent le public.

Cet après-midi d’octobre, sur un des nombreux plateaux logés dans d’immenses hangars aux frontières de Paris, c’est « Vendredi tout est permis » qui est mis en boîte, une émission où Arthur impose des épreuves cocasses à une demi-douzaine de semi-vedettes, en impliquant parfois des spectateurs. « VTEP », comme l’appellent les initiés, est diffusé au compte-gouttes toute l’année sur TF1 mais enregistrée en condensé, à raison d’une quinzaine d’épisodes en dix jours. Lorsque l’on met enfin le pied sur le plateau, après un passage dans des couloirs mal éclairés en évitant de se prendre les pieds dans les câbles qui serpentent à même le sol, c’est tout à coup l’effervescence. Des néons bleus, roses, jaunes, des spots qui balancent une lumière éclatante, des techniciens qui vont et viennent, slalomant entre le chauffeur de salle qui entraîne le public à applaudir et les placeuses qui organisent les gradins, plus ou moins aimablement – « Serrez-vous un peu sur votre droite. La droite, j’ai dit ! » Une femme surgit des coulisses, casque-micro sur la tête. Elle est un peu essoufflée et, d’une voix légèrement agacée, interpelle l’audience : « On cherche encore une personne âgée non tatouée qui ne sait pas danser. Toujours pas ? » Derrière moi, un monsieur goguenard désigne son épouse, qui se recroqueville immédiatement – « Oh non, dis, déconne pas, Didier ! »

« Voir du beau monde »

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des gens qui viennent assister à ces émissions ne cherchent pas à passer à l’écran. Dans le cas de « VTEP », ceux qui descendent sur le plateau sont volontaires, mais, parfois, l’autorisation de diffusion qu’il faut obligatoirement signer peut vous emmener sans prévenir jusque sous les projecteurs. Natalina Silva, l’une des trois amies, garde un souvenir amer de s’être fait « piéger en beauté » lors d’une émission du même genre, où elle s’est retrouvée au milieu de la scène sans trop comprendre ce qui lui arrivait, face à un public hilare. « Elle était rouge comme une tomate et toute paralysée », se souvient Maria Jaffrezic, qui l’accompagnait ce jour-là.

Les deux retraitées pimpantes de 61 ans se connaissent depuis l’enfance et avec la sœur cadette de la première, Célia De Oliveira (qui travaille encore, mais à mi-temps), elles assistent à deux ou trois émissions par mois depuis plusieurs années. Ce qu’elles aiment, elles, c’est « voir du beau monde »« On est très variétés », détaille Maria. « Surtout ce qui est concerts », enchaîne Natalina, suivie de Célia, qui précise : « On a vu, par exemple, Florent Pagny et Michel Polnareff, c’était super ! Il y a eu aussi la fois au château de Chantilly avec Stéphane Bern et les danseurs de Kamel Ouali, vous vous souvenez, les filles ? »

Pour elles, c’est un divertissement gratuit qui s’intègre dans un bouquet de loisirs plus large. Epouses de « maris casaniers », mères de famille, employées de bureau embauchées à 18 ans… « On n’a jamais eu trop de temps pour nous », résume Natalina. Alors, les inséparables se rattrapent en partageant des petits voyages, des expos, des séances de ciné et… les bancs d’émissions de télé. C’est Natalina qui, poussée par la curiosité de découvrir l’envers du décor, a entraîné les deux autres. « Ensuite, ça s’enchaîne vite. Vous discutez avec d’autres gens du public, on vous conseille de vous inscrire auprès de telle ou telle agence et, après, on est tout le temps sollicité », explique-t-elle. Elles découvrent que certaines participations donnent droit à des places pour « des petites pièces de boulevard ou des humoristes pas très connus », qu’il y a des émissions « coupe-file » auxquelles il faut assister pour pouvoir accéder à d’autres, très demandées. Après quelques expériences décevantes, elles sont devenues sélectives et ne vont plus n’importe où.

Elles ne feront plus les jeux en prime time sur France télévisions (« trop long »), éviteront aussi « Les Grosses Têtes » de RTL (« trop intello ») et préféreront retourner à « Quelle époque ! », le talk-show du samedi de Léa Salamé sur France 2 – « il y a de tout, comme invités, et l’ambiance est détendue ». Célia avoue « une petite préférence pour Faustine »(Bollaert) et se désole que son émission, « très cocooning », ne soit plus ouverte au public depuis le Covid-19. En revanche, là où elle ne veut plus remettre les pieds, peu importe le nombre de relances qu’elle recevra de l’agence qui s’en occupe, c’est « Touche pas à mon poste ! ».

La quotidienne de Cyril Hanouna sur C8 n’a pas vraiment la cote dans le milieu des publics de télé. Dès la file d’attente devant les studios de Canal+, à Boulogne, le ton est donné. Un vigile repère les primo-visiteurs pour les sermonner : « On ne regarde pas la caméra, on ne fait pas de signe, on n’interpelle pas Cyril ni les chroniqueurs. » Denis, un habitué, nous souffle qu’« ici, ça ne rigole pas ; si vous faites un truc de travers, on vous met dehors tout de suite ». L’émission étant en direct, aucun imprévu ne peut être toléré et l’armada d’agents de sécurité est d’autant plus sur les dents que, il y a quelques semaines, « un petit plaisantin » s’est immiscé dans le public. En plein direct, il a demandé la parole pour finalement piéger l’animateur et tourner en dérision son émission.

Il faut aussi supporter de rester passif pendant quatre heures, assis sur une banquette molle, sans pouvoir sortir, aller aux toilettes, boire ou manger. Avant le début, deux femmes sont passées dans les rangs avec un rouleau d’adhésif gris et un gobelet en papier, tendus sans un mot (ni un sourire) à ceux qui avaient la mauvaise idée de porter un vêtement siglé ou de mâcher un chewing-gum. Au bout de deux heures, on a bien eu droit à un peu d’eau – un chariot avec des gobelets en carton à moitié remplis fait le tour du plateau –, mais on s’en est privé, de peur de se retrouver dans une situation bien trop inconfortable. A chaque coupure pub, un chauffeur de salle débarque pour nous empêcher de nous assoupir. Ici, c’est Lionel Tim, ancien membre des Linkup, un boys band des années 2000 qui a fait connaître M. Pokora. Avec quelques cheveux gris de plus mais toujours la même énergie, il sautille en rythme sur une musique de boîte de nuit qui hurle dans les enceintes, et tourne sur lui-même, micro en main : « Allez, les petits chéris, on se réveille ! C’est une émission faite par vous, pour vous et avec vous, mettez-y toute votre énergie et votre amour ! C’est “Touche pas à mon… ” ? »« POOOOSTE !! », beuglent les habitués assis au fond.

Cynthia, qui s’époumone au dernier rang, a mis exprès un haut jaune vif à froufrous pour respecter la consigne envoyée par mail (« Tenue correcte et colorée exigée. Pas de survêtement ni de vêtement fluo. Evitez les marques visibles et les rayures »). C’est au moins la dixième fois que cette aide-soignante d’une trentaine d’années participe, et elle nous confie que « c’était mieux avant » : « On rigolait plus quand il y avait Matthieu Delormeau et tout. Maintenant, c’est plus politique, plus lisse… » Sa voisine passe une tête : « En plus, il y avait des sandwichs, des madeleines, des chocolats… »

Espace de socialisation

De fait, les audiences de l’émission déclinent, et cela se ressent jusque sur les bancs du public, qui paraissent difficiles à garnir. Ce soir, il y a beaucoup de jeunes, mais ils semblent s’ennuyer, réagissent peu et se tassent progressivement sur eux-mêmes, le coude sur le genou et le menton dans la main. Ce sont des étudiants qui reçoivent régulièrement des invitations par leurs établissements et qui, à force de relances, ont fini par venir, « pour voir »… et on ne les y reprendra sans doute pas.

Dans la foule massée pour récupérer ses affaires au vestiaire, on retrouve Denis, l’habitué croisé à l’entrée. Il confirme les difficultés pour remplir la salle. La preuve, l’agence l’a appelé en urgence à 16 heures pour un direct qui commence à 18 heures. Il venait de terminer sa journée de travail comme chauffeur-livreur et s’est dépêché d’arriver de la Seine-et-Marne, de l’autre côté de Paris. Ce n’est même pas un fan d’Hanouna – « Avant de venir, je le détestais ». Alors, pour quelle raison s’inflige-t-il cela ? « Pour l’ambiance, pour discuter, rencontrer des gens… » Une femme plus âgée le saisit par l’épaule et interrompt notre échange : « Hé, mais tu n’étais pas là, hier ! Je t’ai cherché partout, je ne t’ai pas vu, ça m’a fait de la peine. Tu viens demain ? » « Non, mais après-demain, oui », lui répond chaleureusement Denis. La dame affiche un sourire soulagé puis se tourne pour tendre son ticket au guichet du vestiaire. Après tout, à chacun son espace de socialisation, et celui-là en est un comme un autre. On insiste tout de même auprès de Denis : « Mais l’ambiance n’est pas très sympa, et puis c’est long, de rester assis quatre heures sans bouger. » Il rigole : « C’est parce que c’est la première fois que tu viens ! Reviens après-demain, tu verras. Allez, c’est moi qui t’inscris, O.K. ? » Ce n’est pas qu’on ne veuille pas, mais on a déjà autre chose de prévu.

Enregistrement de l’émission « On n’est pas couché », de Laurent Ruquier en octobre 2015. 

« Vous n’êtes plus dans votre canapé, vous êtes là, vous êtes les acteurs de cette émission ! Alors, si c’est drôle, riez, et si ce n’est pas drôle… riez quand même ! » Sur le plateau de « Quotidien », le public n’est pas tout à fait le même, mais les injonctions du chauffeur de salle ne changent guère. La proportion d’habitués non plus. On a appris à les repérer, pendant la longue attente en coulisses avant d’entrer sur les plateaux : ils se saluent, appellent les vigiles par leur prénom, se racontent leurs dernières expériences (« J’ai fait “Vivement dimanche”, on est bien assis et Michel est adorable »« Moi j’étais à “The Voice”, on a vu 82 candidats en quatre jours »). Ils se distinguent rien que dans leur façon de se mouvoir, ils n’ont pas l’attitude empruntée des nouveaux qui ne savent pas ce qui les attend ni par quelle porte il faudra passer. Ils ne s’étonnent pas non plus que Yann Barthès – comme Cyril Hanouna – interagisse très peu avec le public, se contentant du minimum syndical, « Bonjour… merci… au revoir… » Quand Vincent, le chauffeur de l’émission de TMC, demande combien de personnes sont déjà venues, un bon tiers lèvent la main. « Oh oui, vous, là-bas, ce n’est pas la peine de vous demander », rétorque-t-il d’un air entendu à une poignée de sexagénaires joviaux au dernier rang. Comme partout, les habitués sont rarement placés devant : il ne faudrait pas que les téléspectateurs voient toujours les mêmes têtes. Ça ne les dérange pas plus que ça, du moment qu’ils ne sont pas trop mal assis, surtout pour les plus âgés.

Ceux-là constituent une proportion écrasante du public dans un genre bien particulier : les jeux. A tel point que, pour apporter un peu de diversité, ces programmes font par ailleurs appel à des figurants rémunérés, qu’ils rassemblent juste derrière les candidats. « Nous, les vieux, on est toujours placés au fond, on est perchés dans le grenier », s’amuse Marie Moussaoui. A 71 ans, cette habitante de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) « fait » les émissions depuis vingt ans, avant même d’être retraitée de son poste d’employée municipale. Comme les autres, elle a ses têtes (« Laurence Boccolini, plus jamais ! ») et ses chouchous (« Olivier Minne, je l’adore »). Aujourd’hui, elle est ravie, car elle va passer la journée avec Jarry. L’humoriste de 46 ans, nouvel animateur de « Tout le monde veut prendre sa place » sur France 2 depuis la rentrée, s’est vite installé comme l’un des favoris. Déjà, « il est précis et réglo », apprécie Marie. Quand on reste du matin au soir sur un plateau pour assister à six enregistrements consécutifs, on est reconnaissant quand l’animateur ne perd pas un temps fou à se changer dans sa loge entre chaque émission. En plus, « il est marrant, il met en confiance », et il est vrai qu’il échange souvent avec le public, que la caméra tourne ou non.

Dès que Jarry arrive sous les lumières, c’est l’excitation chez les têtes grises : les hommes rigolent déjà, et les dames, tirées à quatre épingles, s’enquièrent de sa santé (l’animateur s’est blessé récemment au genou). Thierry, le chauffeur de salle, n’a pas tout à fait fini son laïus (« … et des grands sourires en tranche de pastèque… »), mais on ne l’écoute déjà plus. De toute façon, ils l’ont déjà entendu cent fois. Un brouhaha enjoué s’échappe des rangs, les femmes rangent leur trousse de maquillage à leurs pieds pendant que les placeuses installent tranquillement les retardataires ; ici, l’ambiance est décontractée et tout le personnel est aussi patient que dans une maison de retraite qui aurait des moyens.

« Un planning très rempli »

Pendant le tournage, Marie a le sourire et ça n’est pas du chiqué. Elle aime cette ambiance showbiz, passer par les coulisses, croiser des techniciens affairés qui parlent dans leur casque-micro… « C’est cool, la télé, tout le monde se tutoie, ils ne se prennent pas la tête », soupire-t-elle. Cette « mamie active » qui n’est « pas du genre à rester tricoter sur son canapé » emmène toutes les semaines, parfois même tous les jours, deux ou trois amis dans sa voiture, direction les studios de La Plaine-Saint-Denis, à trente minutes de chez eux. « On rigole bien, ça nous détend, et on peut même apprendre des choses. » Mais pas que : ça peut aussi rapporter gros.

Les modalités diffèrent, mais, dans la plupart des jeux, les spectateurs sont remerciés avec des chèques cadeaux de 10 euros par journée ou demi-journée. « Je m’en suis acheté des choses, grâce à la télé ! », assure avec gourmandise Marie, qui cumule jusqu’à 200 euros les bons mois. De quoi s’offrir un home cinéma, des places à Eurodisney ou faire des cadeaux à ses petites-filles : « Je leur raconte parfois : mamie, elle a fait cinquante heures de télé pour ça ! »D’ailleurs, elle dit qu’elle « travaille » avec plusieurs agences et qu’elle a « un planning très rempli ».

Le jeu « Les Douze Coups de midi », présenté chaque jour sur TF1 par Jean-Luc Reichmann et enregistré au hangar d’à côté, n’est pas son préféré, mais il est le plus rémunérateur. Alors, Marie en fait « le plus possible ». Sans ça, elle n’aurait, par exemple, pas pu refaire sa chambre à coucher. Devant notre air impressionné, elle ajoute, en rigolant : « Eh oui, je dors dans la chambre de Jean-Luc ! » Elle a hâte que ses tournages reprennent, d’autant que le prochain sera un « spécial pyjama » où il faudra venir habillé de son plus beau pilou-pilou. Elle s’en amuse déjà. Pour elle, comme pour les autres habitués que nous avons rencontrés, pas question d’arrêter d’aller faire la claque pour le petit écran. « Tant que j’ai la santé, j’y vais ! »


Un procédé presque aussi vieux que la télévision

Alors que la toute première émission française est télédiffusée en 1935, le nouveau média s’inspire vite du music-hall et de ses codes pour proposer des programmes de divertissement. En 1948, la première émission de variété, « Le Cabaret de la plume d’autruche », est retransmise en direct du Théâtre de la Gaîté-Montparnasse.

Mais c’est surtout à partir de 1952 que l’on commence à entendre les applaudissements (et les rires) du public, dans deux grandes émissions de variétés, « 36 chandelles » et « La Joie de vivre ». Il faut attendre 1960 pour que le public sur les plateaux en studio, en l’occurrence pour applaudir les aspirants chanteurs du « Petit Conservatoire de la chanson », créé par Mireille. Du côté des jeux télévisés, le public fait son apparition dès 1957 dans « Gros lot », mais les messieurs en costume cravate que l’on voit applaudir sont, en fait, des concurrents qui viendront ensuite répondre à des questions.

Le public anonyme, tassé sur des bancs derrière les candidats, n’arrive qu’en 1970 dans « L’Avis à deux », présenté par Guy Lux, sorte d’ancêtre des « Z’amours ». C’est aussi à cette époque que les émissions de débat commencent à se décloisonner avec, notamment, « Apostrophes », qui, dès son lancement, en 1975, casse les codes dans son décor de fausse bibliothèque peuplée de silhouettes anonymes. Enfin, pas si anonymes que ça, car la plupart de ces spectateurs sont, en réalité, des proches (famille, attachés de presse, éditeurs…).

Une spécificité française s’installe avec le positionnement du public derrière les invités (à la différence des « late shows »américains où il est face à la scène). Dans les années 1980, il est désormais bien intégré, mais il n’est pas encore un acteur à part entière. Or, comme le fait remarquer le journaliste Jacques Siclier dès 1964 dans un article du Monde, il n’y a « rien de plus morne qu’une émission de variétés enregistrée en public lorsque le public ne réagit pas ».

C’est à partir des années 1990 que le procédé s’industrialise, avec l’apparition des chauffeurs de salle qui viennent ambiancer le « vrai » public désormais menacé par la concurrence des rires préenregistrés. Des agences d’événementiel spécialisées se créent, comme Clap Productions (aujourd’hui WeClap), fondée en 1996 par Kenty Blanc. Aujourd’hui, au moins six agences se partagent le marché de la « gestion de public sur les plateaux ».

Le Covid-19, en 2020, sera le grain de sable dans la machine : les spectateurs sont priés de rester chez eux, parfois « confinés » sur des écrans où on les voit réagir en visio depuis leur salon. Par la suite, certaines émissions ont fait le choix de ne pas revenir en arrière, comme « Questions pour un champion », qui se contente désormais d’applaudissements « en boîte ». Que des avantages pour la production : moins de lourdeur logistique, moins de pression pour les joueurs et un effet quasi nul sur les audiences.


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