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vendredi 15 septembre 2023

Services publics : un collectif alerte sur un secteur de plus en plus en décalage avec les besoins des usagers

Par    Publié le 14 septembre 2023

Santé, éducation, justice… Le collectif transpartisan Nos services publics livre, dans un rapport auquel ont collaboré plus de 100 experts et agents de terrain, un diagnostic sans appel : alors que les besoins de la population ont évolué et vont continuer de changer, l’Etat n’a, selon lui, pas su s’adapter.

Dans les locaux d’un comité de vigilance pour le maintien des services publics de proximité, à Lure (Haute-Saône), le 7 septembre 2023.

Des services d’urgence fermés certains soirs, des enseignants qui manquent à l’appel, des magistrats qui alertent sur leurs conditions de travail… Comment expliquer que les services publics« craquent » alors que la dépense publique augmente ? Ce paradoxe fait l’objet de nombreux débats, qui ont souvent pour point commun de se concentrer sur la question des moyens : les services publics coûteraient « trop cher » ou seraient à l’inverse « sous-financés », il y aurait « trop » ou au contraire « pas assez » d’agents publics.

Or, « débattre de l’évolution des services publics n’a de sens qu’au regard des évolutions sociales auxquelles ils répondent », écrit le collectif transpartisan Nos services publics dans son « Rapport sur l’état des services publics », diffusé le 14 septembre. Ce texte de 160 pages, organisé autour de cinq thématiques (santé, école, transports, justice et sécurité, financement des services publics), propose de changer de prisme et de comparer l’évolution des besoins avec l’investissement dans les services publics.

« A l’arrivée, dans tous les domaines, on retrouve une courbe des besoins qui augmente et une courbe des dépenses qui progresse beaucoup moins vite », résume Arnaud Bontemps, magistrat financier, un des porte-parole du collectif. Il s’agit du premier rapport de synthèse réalisé autour de ce collectif plutôt marqué à gauche, fondé en 2021, avec la contribution d’une centaine de chercheurs, de hauts fonctionnaires et d’agents publics. Si les constats ne surprendront pas les spécialistes de chaque secteur, la démarche a le mérite de poser de manière transversale la question de l’adaptation des services publics aux évolutions sociales.

Pour ce faire, le collectif a cumulé des indicateurs de nature très variables : les dynamiques démographiques (comme le vieillissement de la population ou la hausse de l’accès aux études supérieures), les progrès sociaux (dont la lutte contre les violences faites aux femmes) et les transformations des modes de vie. Ces paramètres « modifient les attentes de la population et le niveau de référence de prise en charge de ces attentes », expliquent les rapporteurs. Ils permettent de constater une attrition de la dépense publique en regard des besoins, alors même qu’elle a augmenté de manière quasi continue depuis quarante ans – elle représentait moins de 50 % du produit intérieur brut (PIB) au début des années 1980 et 58 % en 2022 – et que le nombre d’agents publics est passé de 4,8 millions à 5,4 millions en vingt ans.

Persistance des inégalités

Dans le chapitre consacré à la santé, les rapporteurs étudient par exemple l’évolution des affections longue durée (ALD), comme les diabètes ou les cancers, dans la population française – des maladies « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessite un traitement prolongé et coûteux ». D’après les données de l’Assurance-maladie, le nombre de patients en ALD est passé d’environ 9 millions à 12 millions entre 2010 et 2020, soit une augmentation de 34 %. Or le financement du système de soins est de moins en moins adapté à ces pathologies : l’hôpital public, sur lequel repose en grande partie la prise en charge des maladies chroniques, souffre selon le rapport de la « tarification à l’activité », qui ne rémunère pas les tâches de coordination entre l’hôpital et la médecine de ville, pourtant essentielles aux patients qui souffrent d’ALD.

Les besoins ont également fortement évolué dans le domaine éducatif. Depuis les années 1980, le taux de bacheliers pour une génération a été multiplié par quatre, et l’école accueille depuis 2005 les enfants en situation de handicap – leur nombre a été multiplié par trois en quinze ans, soit 400 000 élèves.

Face à ce phénomène de massification scolaire, l’école peine à s’adapter à un public plus hétérogène. Elle rémunère mal les accompagnants d’enfants en situation de handicap, professionnels qui manquent à l’appel. De même, si 80 % d’une classe d’âge parvient au baccalauréat, c’est au prix d’une stratification sociale très forte au sein des filières du lycée, les enfants d’ouvrier composant 34 % des bacheliers professionnels, contre 8 % pour les enfants de cadres supérieurs. Ainsi, les rapporteurs notent, du fait de l’inadaptation du système, une persistance des inégalités.

« Marchandisation » protéiforme

Dans les domaines de la sécurité et de la justice, ils notent un paradoxe : malgré une décrue continue des faits de violence et l’augmentation des effectifs de police et de gendarmerie, le sentiment d’insécurité persiste dans l’opinion. Dans l’enquête « Cadre de vie et sécurité » rendue publique en 2021, dernière source disponible citée par le rapport, 11 % des Français déclaraient se sentir en insécurité, tandis que 20 % d’entre eux considéraient la délinquance comme leur préoccupation majeure. Mais la répartition des ressources est décorrélée des besoins exprimés. La lutte contre le trafic de stupéfiants ou l’immigration irrégulière bénéficient ainsi de moyens considérables et « en augmentation constante ». En revanche ceux « consacrés à la lutte contre les violences familiales, les accidents mortels du travail ou encore la délinquance économique et financière sont insuffisants au regard des besoins ».

L’écart entre les besoins de la population et l’offre de services publics a plusieurs conséquences. Avant tout, il libère un « espace croissant » pour le développement d’une « offre privée lucrative » qui prend la place de services publics défaillants. Celle-ci représente un coût supérieur, dans des structures qui n’accueillent pas inconditionnellement les usagers, par opposition au secteur public universel. Pourtant, le privé prospère largement sur des fonds publics. Dans le domaine scolaire, par exemple, la dépense est équivalente pour les élèves de l’enseignement privé que pour ceux de l’école publique.

Cette « marchandisation » prend cependant des formes différentes selon les secteurs, relève Arnaud Bontemps. « Dans la santé, il n’y a pas vraiment de concurrence mais plutôt une spécialisation des cliniques privées sur les actes les plus rentables et les plus faciles à programmer, analyse-t-il. A l’école, on observe plutôt une concentration des enfants de familles à fort capital culturel dans le privé sous contrat. » Une forme d’externalisation est cependant commune à de nombreux domaines : le recours aux cabinets de conseil, pour lequel la Cour des comptes a confirmé en juillet que la dépense de l’Etat augmentait fortement.

Dans tous les secteurs, le recul de l’offre publique en proportion des besoins est également générateur d’inégalités, entre les individus mais aussi entre les territoires. Les Français les plus fragiles, qui ne peuvent compter que sur les services publics, sont les premiers percutés par la détérioration de l’offre. Un chapitre est ainsi consacré au domaine des transports, où les besoins ont explosé : les distances journalières moyennes ont été multipliées par 4,7 entre 1960 et 2020. Une hausse « portée par la voiture individuelle », alors même que les transports, en particulier la voiture, sont prépondérants dans les émissions de gaz à effet de serre de la France.

Indispensable aménagement du territoire

L’étalement de l’habitat dans les zones périurbaines a engendré une situation bloquée, plaident les rapporteurs : les solutions alternatives à la voiture étant quasi inexistantes pour les habitants les plus éloignés des centres-villes, ceux-ci sont condamnés à subir un mode de transport fortement carboné, en contradiction directe avec l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ils ne bénéficient pas de l’offre publique de transports collectifs, réservée aux habitants des centres urbains.

Les besoins de mobilité du quotidien doivent donc être intégrés à une réflexion générale, située au croisement de nombreuses politiques publiques, sur l’aménagement du territoire. La conversion à la voiture électrique et les investissements dans les transports en commun ne suffiront pas. « Il faut désormais parler d’accessibilité, de relocalisation des emplois, des commerces et des services publics, au cœur des petites villes », plaide Arnaud Bontemps.

L’enjeu écologique, qui pèse fortement sur la question des transports, permet également aux rapporteurs d’entrer dans la question du financement, qu’ils choisissent de traiter en dernier – sans doute pour marquer leur prise de distance avec un prisme financier hégémonique dans les débats sur l’efficacité des services publics. Le coût de la transition écologique est estimé à 2,5 points de PIB annuel, soit 70 milliards d’euros par an, dont 25 milliards à 35 milliards d’investissement publics, rappelle le collectif, citant une étude des économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz.

« Les solutions sont complexes »

Or la tendance actuelle est plutôt celle d’une diminution des recettes, liée à des choix politiques de suppressions d’impôts et de cotisations sociales. Pourtant, de même que l’attachement des Français au service public est fort, leur consentement à un impôt lisible et redistributif l’est également. Selon le baromètre des prélèvements obligatoires de la Cour des comptes de 2021, la majorité des Français trouve la redistribution des richesses insuffisante.

Enfin, le rapport souligne que le creusement du fossé entre les besoins des Français et l’offre de services publics à laquelle ils ont accès crée une tension entre les agents et les usagers et une perte de confiance de ces derniers, qui ont des conséquences, par ricochet, sur l’attractivité des métiers de la fonction publique et le bien-être de ses agents. Depuis vingt-cinq ans, le nombre de candidats aux concours de la fonction publique d’Etat a été divisé par quatre. « Le nombre de jours d’absence pour raison de santé progresse de plus 20 % entre 2014 et 2019, pour l’ensemble de la fonction publique », ajoutent les auteurs. Ces « moyens humains » sont pourtant la première richesse du service public.

Au fil de ce diagnostic détaillé, les rapporteurs formulent très peu de propositions. Un choix assumé : « En tant que praticiens des services publics, nous savons que les solutions sont complexes, assure M. Bontemps. L’exercice du diagnostic doit d’abord être réalisé avec soin, et s’il ne suffit pas à fournir des solutions opérationnelles, il propose déjà de facto des pistes pour mieux répondre aux besoins de la population. » Le collectif espère en revanche ouvrir le débat.


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