par Chloé Pilorget-Rezzouk publié le 14 septembre 2023
Les constats accablants et récurrents sur les prisons françaises trouveront-ils un jour un écho politique à la hauteur ? Avec plus de 74 000 détenus au 1er août pour un peu plus de 60 000 places disponibles, la densité carcérale a connu une progression proche de 3 % en un an. Malgré sa condamnation le 6 juillet par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour des conditions de détention indigne, deux ans et demi après un premier camouflet historique, la France n’en finit pas de remplir ses prisons. Parmi les nombreuses maisons d’arrêt (qui accueillent les personnes en attente de leur procès, donc présumées innocentes, et celles condamnées à deux ans de prison maximum) pleines à craquer, dix affichent même un taux au-dessus des 200 %, selon les dernières statistiques de la chancellerie.
«Les constats effectués dès 2012 […] sur la surpopulation carcérale et plus encore après la fin de la crise sanitaire, montrent que les conditions de détention se dégradent dans toutes leurs dimensions, en même temps que les conditions de travail du personnel pénitentiaire», alerte la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans un avis publié au Journal officiel, ce jeudi 14 septembre. Une fois encore, Dominique Simonnot prône l’inscription dans la loi d’un mécanisme de régulation carcérale, lequel permettrait de «résorber la surpopulation des maisons d’arrêt et de respecter le droit à l’encellulement individuel».
Depuis plus de dix ans, l’autorité administrative indépendante défend, avec d’autres acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire, la nécessité d’un tel dispositif avec «l’objectif qu’aucun établissement ne dépasse un taux d’occupation de 100 %». Récemment, rappelle la contrôleuse générale, le rapport des Etats généraux de la justice recommandait la mise en place «d’un seuil de criticité pour chaque établissement pénitentiaire». Mais le projet de loi ayant suivi cette vaste concertation des professionnels du milieu, adopté à l’Assemblée nationale en première lecture en juillet, «ne comporte aucune disposition relative à la régulation carcérale et fort peu de mesures concernant l’administration pénitentiaire, à l’exception de promesses de constructions immobilières aussi irréalistes que celles qui les ont précédées».
Murs «lépreux», surveillants «trop peu nombreux»
Car «la surpopulation gangrène toute la vie de la prison», peut-on lire dans l’avis, qui en énumère les graves conséquences : «Elle impose une promiscuité portant atteinte à la dignité des personnes détenues, mettant à mal leur intimité, entravant leur accès à l’hygiène et, plus grave, aux soins. Elle rend inopérants les objectifs de réinsertion assignés par la loi à l’administration pénitentiaire, […] l’enseignement et la formation professionnelle sont trop rares, les activités insuffisantes, en particulier l’offre de travail rémunéré. […] Ces circonstances sont susceptibles d’accroître le risque de récidive et donc la défiance des citoyens envers la justice.»
En dépit du dévouement du personnel pénitentiaire – confronté à une pénurie de recrues, faute d’attractivité – «un fonctionnement dégradé se pérennise et finit par devenir la norme» dans beaucoup d’établissements. Depuis la fin du confinement, cinq visites du CGLPL ont même abouti à des recommandations en urgence comme au centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy (Yvelines) avec son taux d’occupation de 165 %, ses cellules sans frigo ni plaques chauffantes et ses fouilles intégrales «nombreuses», ou à celui «particulièrement dysfonctionnel» de Bordeaux Gradignan (Gironde) avec ses murs «lépreux», ses cellules «triplées avec matelas au sol», ses douches collectives «insalubres» et ses surveillants «trop peu nombreux».
Si «certains divergent sur les solutions à mettre en place, tous les participants s’accordent sur l’impossibilité de laisser se poursuivre une telle dégradation d’un service public», insiste Dominique Simonnot, qui souligne que depuis la sanction de la France par la CEDH, en janvier 2020, «une obligation pèse sur l’Etat français». Et pourtant, «aucune mesure d’envergure nationale n’a été prise dans ce domaine, même si plusieurs évolutions normatives récentes ont pu être présentées comme des solutions de nature à améliorer la situation».
«Inertie des pouvoirs publics»
Le plan «15 000 places» d’ici à 2027 est avancé par le gouvernement comme une de ces «solutions». Dans un courrier de réponse à cet avis, en date du 11 septembre, le garde des Sceaux assure que «l’augmentation du taux d’occupation dans les établissements pénitentiaires fait l’objet de toute [son] attention». «Nous partageons le même objectif, je diverge sur les solutions pour y parvenir», écrit Eric Dupond-Moretti, pour qui «la livraison de 15 000 nouvelles places de prison» représente un «levier essentiel» dans la lutte contre la surpopulation carcérale. «Une fuite en avant», selon la CGLPL, qui rappelle qu’en trente ans, «le nombre de places dont dispose l’administration pénitentiaire a doublé, passant d’environ 30 000 aux 60 500 actuelles ; pour autant, la surpopulation carcérale n’a cessé de progresser, et de plus en plus vite».
Pour Dominique Simonnot, la crise sanitaire du Covid – qui avait fortement ralenti l’activité des tribunaux – a montré au contraire qu’il était possible de faire décroître la population derrière les barreaux : plus de 12 000 détenus en fin de peine avaient alors été remis en liberté de façon inédite. «L’argument du «coût politique» de cette approche n’est pas fondé, puisqu’il n’y a eu ni recrudescence de la délinquance, ni rejet de la part de l’opinion publique», fait valoir l’avis. L’institution considère qu’à l’aune de cet épisode, «l’inertie des pouvoirs publics est d’autant plus inacceptable».
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