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mercredi 25 août 2021

Madeleine Riffaud, ultra-résistante

par Quentin Girard et photo Albert Facelly

publié le 26 août 2021
L’une des dernières résistantes vivantes, qui fut aussi journaliste anticolonialiste, a toujours du répondant, de l’aplomb et le goût des plaisirs. 

Une minute suffit pour comprendre pourquoi Madeleine Riffaud a été résistante. Et pourquoi elle a été capable de tuer un officier allemand, à Paris, de deux balles dans la tête, le 20 juillet 1944, outrée par l’annonce du massacre d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) et par la mort d’un proche résistant.

A 97 ans, elle les a eus lundi, elle accueille sans s’en laisser conter dans son appartement du IIIe arrondissement où de jolis oiseaux chantonnent dans une cage. Elle n’en sort presque plus, faute d’ascenseur. Madeleine Riffaud râle parce qu’elle n’a pas envie d’être photographiée. Contre nous aussi : encore un jeune blanc-bec qui passe sa vie derrière un bureau, au lieu de parcourir le monde, comme elle l’a fait. D’un mot, elle vous rhabille pour la semaine. D’un geste, elle prend le contrôle de la pièce, malgré sa petite taille. Le caractère est bien trempé.

Assise dans son canapé, elle allume un cigarillo, sirote un verre de whisky japonais, nous en propose un, et ce n’est pas vraiment une proposition, il serait indélicat de ne pas boire avec elle. Il est 14 heures. Allez va, posez vos questions, elle consent, mais «ar-ti-cu-lez !»

Madeleine Riffaud publie une BD sur sa vie de résistante pendant la Seconde Guerre mondiale. L’ouvrage admirable, coscénarisé avec Jean-David Morvan et dessiné par Dominique Bertail, sort ces jours-ci.

On aurait pu la rencontrer pour mille autres raisons tant Madeleine Riffaud a eu plus de vies qu’un chat. Jusque dans les années 90, elle était plus connue comme reporter en Indochine, Algérie ou au Vietnam, que pour son action clandestine.

Ce n’est qu’à la demande du couple Aubrac qu’elle a fini, en 1994, par révéler son rôle. Avant, il ne fallait pas s’épancher, ça ne se faisait pas. Depuis, elle témoigne sur l’esprit de résistance : «Ne jamais pleurer sur l’état de son pays ou sur son propre sort. Aucune cause n’est jamais perdue, sauf si on abandonne.»

Ça la fait bien rire d’ailleurs : l’autre jour, on l’appelle, comme souvent, pour lui demander un conseil. Elle imite un jeune, c’est une conteuse naturelle : «Il me dit : “Madame, j’ai fait mon premier acte de résistance, j’ai fait la fête avec des copains sans masque, sans rien.” Je lui ai répondu : “Dis donc mon petit, ce n’est pas un acte de résistance, ça. C’est suicidaire et même méchant pour les autres qui n’y sont pour rien.”»

Elle est double vaccinée, aurait préféré qu’on laisse à chacun le choix mais se méfie de ceux qui manipulent les manifestants contre le pass sanitaire, «des gens de droite et des racistes qui veulent se refaire une santé». Elle ajoute : «L’étoile jaune, on ne rigole pas avec ça.»

Et puis, presque naturellement, comme elle aurait proposé de nous resservir en whisky (ce qu’elle fait aussi) : «Je préfère mourir du vaccin que de la pandémie. Avec le Covid, on meurt étouffée, et je déteste cette sensation. Je l’ai été quand j’étais jeune dans la baignoire de la Gestapo, j’en ai gardé un souvenir affreux.»

Fille d’instituteurs, qui a grandi en Picardie dans les souvenirs de 1914-1918, entre son père socialiste à la jambe gauche déchiquetée dans les tranchées et les cimetières militaires de la région, Madeleine Riffaud garde les stigmates de ses combats. Les Allemands lui ont cassé le nez et démis la mâchoire. «C’était pas bien grave, ça s’appelle un “passage à tabac”.» L’OAS, lors d’un attentat contre elle en 1962, l’envoie plusieurs mois à l’hôpital. Résultat : une grosse cicatrice au genou, une main foutue et une vue abîmée. Mais ne lui parlez pas d’infirmité, ça l’agace : si elle pouvait, et s’il le fallait, elle prendrait à nouveau les armes, Madeleine Riffaud.

La mort a été son quotidien pendant de longues années, entre les proches reporters tués pendant les conflits coloniaux et les camarades résistants qui tombent sous les balles. Elle-même a failli y passer, au moment de la libération de Paris, deux fois condamnée à mort, réussissant à s’échapper, puis étant échangée avec d’autres prisonniers. A tel point que Radio Londres annonça son exécution par erreur.

La tuberculose l’a suivie aussi une bonne partie de sa vie. En 1941, dans un sanatorium, elle rencontre son premier amour, Marcel Gagliardi, étudiant en médecine et communiste. Ils se fiancent, ils montent à Paris, elle commence des études de sage-femme et entre, à sa suite, dans la Résistance, sous le nom de «Rainer». Comme le prénom du poète allemand Rilke, ce qui lui vaut encore aujourd’hui une certaine célébrité outre-Rhin.

De la poésie, elle en publie dans la revue de Paul Eluard, dès 1944. Le surréaliste lui présente Picasso qui dessine son portrait. Ils sont restés amis jusqu’au décès du peintre, «mais il ne [lui] a jamais fait la cour», précise-t-elle. Non, elle n’a eu que deux amours, Marcel, qui décède de la tuberculose en 1944 et Nguyen Dinh Thi, artiste vietnamien proche de Hô Chi Minh. Entre-temps, elle a eu une fille à la fin de la guerre avec le futur historien et journaliste Pierre Daix, revenu de déportation. Elle s’en excuse presque, dit que ce n’était pas une bonne idée cette union entre deux traumatisés. Son enfant en a pâti. «Je n’ai pas eu le temps d’être mère de famille, j’avais autre chose à faire. Les filles d’aujourd’hui me disent que je suis une féministe qui les inspire. Tant mieux. Mais moi, j’ai d’abord pensé à faire ce qui me plaisait. Je suis une femme libre et je l’ai toujours été.»

Elle a travaillé toute sa carrière dans des publications communistes, même si elle a fini, comme beaucoup, par s’éloigner du Parti. Elle dit : «J’ai été une journaliste anticoloniale. J’aime la France, et c’est une forme de patriotisme de ne pas vouloir que la France fasse chez les autres ce que les nazis ont fait chez nous.»

Après l’attentat de l’OAS et une énième rechute de tuberculose, elle finit par se fixer à Paris. Infiltrée dans un hôpital, elle y écrit son plus grand succès les Linges de la nuit. «Les problèmes d’hier sont les mêmes qu’aujourd’hui. Pas d’argent, pas de personnels. Tous les présidents de la République passent et aucun n’agit.»

Madeleine Riffaud n’a plus de famille. Ces dernières années, une profonde amitié s’est nouée entre elle et Jean-David Morvan. Quand il l’a contactée, elle l’a envoyé promener. Une BD ? Hors de question, c’est pour les enfants. Elle a fini par comprendre qu’elle pourrait toucher un nouveau public. Il l’écoute parler pendant des heures, de l’attaque d’un train allemand aux Buttes-Chaumont le jour de ses 20 ans, «avec une traction avant, vous savez la voiture de gangster, elle est très bien pour les combats de rue» ou des bombardements à Haiphong. Elle fouille dans sa mémoire, raconte ce qu’elle n’avait jamais encore écrit, comme ce viol en 1941. Elle sait qu’après son départ, il continuera de préserver sa mémoire. «L’idée de son décès la fait un peu chier mais en même temps elle a failli mourir tellement de fois… Tant qu’elle est vivante, elle résiste», résume Jean-David Morvan. En attendant, Madeleine Riffaud rallume un cigarillo.

23 août 1924 Naissance. 1942 S’engage dans la Résistance. 1974 Les Linges de la nuit, réédités en août 2021 (Michel Lafon). Août 2021Madeleine, résistante. (Dupuis).


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