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vendredi 27 août 2021

Déni de grossesse


 


Elselijn Kingma, propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron publié le  

© Meyer / Tendance Floue


La philosophie s’intéresse très peu à la naissance, et encore moins à la gestation. Elselijn Kingma a choisi d’en faire son objet d’étude. À la croisée des sciences, de la phénoménologie et de sa propre expérience, sa pensée définit le fœtus comme partie biologique de la mère. 

La naissance est la grande oubliée de la tradition philosophique occidentale, plus préoccupée par le départ vers l’au-delà que par l’entrée ici-bas, ainsi que l’affirme Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne(1958). Et si cet oubli, que la philosophe s’efforce de corriger, en cachait un autre qui s’enfonce dans l’ombre au moment même où la « natalité » entre dans la lumière : l’oubli de la grossesse ? De femme enceinte, il n’est jamais question ou presque. L’instant de la naissance oblitère les neuf mois qui le précèdent, le préparent et le rendent possible. La naissance est en effet « le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, “naturelle”, écrit Arendt. C’est la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau, l’action dont ils sont capables par droit de naissance. » Au sens littéral, la natalité est surnaturelle : inaugurant un nouveau commencement, elle rompt avec l’ordre naturel. Beau discours, qui n’est certainement pas sans vérité. Pourtant, la naissance n’est pas seulement placée sous le signe de la rupture. Elle ne sort pas de nulle part, pas plus qu’elle ne tombe du ciel : elle prolonge précisément le processus biologique de la grossesse. Sans intérêt, pour Arendt, qui perpétue le rejet de la philosophie pour les réalités de la zôè, de la vie un peu trop nue et un peu trop animale. 

Les choses sont en train de changer. Au Royaume-Uni, la philosophe d’origine néerlandaise Elselijn Kingma dirige au King’s College de Londres le programme de recherche Bump, « Better Understanding the Metaphysics of Pregnancy » [« Mieux comprendre la métaphysique de la grossesse »] – l’acronyme évoque le ventre rond des femmes enceintes. Après avoir obtenu un doctorat en 2008 dans cette même institution, elle a publié plusieurs articles où elle élabore une vision singulière du fœtus comme partie biologique du corps maternel : « Individualité biologique, grossesse et reproduction (chez les mammifères) », « Étiez-vous une partie de votre mère ? » ou encore « Neuf mois ». Son travail novateur, qui puise dans la philosophie de la biologie plus que dans la phénoménologie du corps féminin, a été récompensé en novembre dernier par le prix Philip-Leverhulme. Elle a accepté de nous présenter son travail à l’aune de sa propre et dernière grossesse. Sa quatrième. Les enfants font d’ailleurs partie de la discussion : l’un d’eux s’endort sur les genoux de Kingma, un autre demande de l’aide pour ses devoirs. L’ordinaire de la vie d’une mère côtoie la sophistication de la réflexion, par écrans interposés. 

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