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mardi 24 août 2021

En Suède, les médecins d’origine étrangère dénoncent le racisme

Par   Publié le 24 août 2021

Selon une enquête menée par des journalistes du quotidien « Dagens Nyheter », des cabinets dentaires et centres de soins suédois acceptent d’accommoder les patients qui refusent d’être soignés par des médecins d’origine étrangère.

Une infirmière et un médecin réalisent des tests Covid dans l’hôpital de Sophiahemmet, à Stockholm, le 22 avril 2021.

Jalal El Ali est médecin urgentiste à l’hôpital de Malmö. Agé de 32 ans, il est né en Suède et y a fait ses études de médecine. Mais comme son nom l’indique, ainsi que la couleur mate de sa peau et ses yeux sombres, Jalal a des origines étrangères, ce qui, apparemment, le disqualifie immédiatement aux yeux de certains patients. Dans un article publié le 26 juillet par le journal Dagens Nyheter, le jeune médecin raconte comment un homme, arrivé avec de graves symptômes aux urgences, a refusé qu’il s’occupe de lui, le traitant de « docteur arabe » et exigeant un médecin « ethniquement » suédois.

Ce genre de témoignages n’est pas nouveau. Déjà en 2018, la chaîne de télévision SVT avait mené une enquête, en collaboration avec le syndicat des praticiens Läkarförbundet, pour faire le point sur la discrimination ethnique et religieuse dont les médecins faisaient l’objet de la part de leurs patients. Sur les 2 266 qui avaient répondu, un quart affirmaient avoir subi des insultes en raison de leur origine ethnique ou religieuse.

A l’époque, l’enquête avait fait scandale, d’autant qu’elle avait été publiée avec de nombreux récits de personnels de santé, qui racontaient le racisme au quotidien. En charge de la santé, certaines régions avaient adopté des directives interdisant aux patients le droit de choisir leurs médecins, sur la base de l’ethnicité notamment.

« Trois dames à la peau claire »

L’article publié fin juillet par Dagens Nyheter a révélé que le problème n’avait pas disparu. Au contraire. Sur la base de témoignages comme celui de Jalal El Ali à Malmö et d’autres médecins, affirmant que, dans certains établissements, les patients obtenaient gain de cause quand ils refusaient d’être traités par des personnels d’origine étrangère, les journalistes ont contacté une centaine de centres de soins et cabinets dentaires dans tout le pays, se faisant passer pour des patients.

Chaque fois, ils ont demandé à être traités par un médecin « ethniquement » suédois. Et surprise : dans la moitié des cas, leurs interlocuteurs ont accepté leurs exigences. Certains ont tout de même cherché à savoir s’il s’agissait d’une inquiétude liée à la maîtrise de la langue, mais quand les journalistes ont démenti et mentionné l’ethnicité du médecin, cela n’a pas semblé poser problème.

Exemple de réponse : « Nous avons Maria, Sanna et Elsa. Trois dames à la peau claire », précise-t-on au secrétariat d’un cabinet médical. Dans une clinique dentaire privée du comté de Kronoberg, l’employé propose : « Stina qui est suédoise. Moa a grandi ici, mais elle est adoptée. » Et de préciser : « Je peux vous inscrire chez Stina si vous voulez. Ou bien juste écrire que vous ne voulez voir qu’un dentiste suédois. »

Un cabinet dentaire de la ville d’Ostersund donne des instructions précises : quand le patient recevra une convocation pour son rendez-vous annuel, il n’aura qu’à téléphoner à la réception pour se faire préciser l’identité du dentiste. S’il n’est pas satisfait, il peut demander à changer.

« Discrimination statistique »

Publié en plein été, l’article a fait grand bruit. Le syndicat des médecins et celui des dentistes ont fait part de leur « surprise » et appelé les directions des établissements à réagir, tandis que le médiateur contre les discriminations a fait savoir qu’il allait ouvrir une enquête. En vacances, le premier ministre social-démocrate, Stefan Löfven, n’a pas mâché ses mots : « Je suis tellement en colère, c’est dégoûtant, j’ai eu mal au ventre à la lecture [de cet article]. Nous ne devons jamais arrêter de combattre le racisme et la xénophobie », a-t-il réagi dans un journal local.

Toutefois, il n’a pas fallu très longtemps avant que le débat dévie, illustrant à quel point il est difficile, en Suède, de parler du racisme autrement que comme un phénomène individuel. Très vite, il n’était plus question des discriminations dont les médecins peuvent faire l’objet en raison de leur origine ethnique ou religieuse, mais du droit des patients à exiger d’être soigné par des personnels de santé parlant le suédois.

Dans son éditorial, publié le 27 juillet, le journal libéral Expressenconstate ainsi : « Exiger un Dr Svensson [patronyme suédois le plus commun] n’est pas forcément dû au racisme. Ce peut être de la discrimination statistique : vous minimisez le risque d’avoir un médecin qui parle mal suédois ou a une formation étrangère qui n’est pas à la hauteur des exigences suédoises. »

Un système de santé dépendant

Peu importe que les médecins, qui témoignent dans Dagens Nyheter, soient nés en Suède et parlent donc parfaitement la langue, ou que les journalistes aient bien précisé dans leur communication avec les secrétaires médicales que c’était l’ethnicité du praticien qui leur importait. Peu importe aussi que les critères pour obtenir le permis d’exercer en Suède soient tellement restrictifs qu’une minorité seulement de médecins formés à l’étranger réussit les tests chaque année, ce qui fait d’ailleurs débat dans la profession.

Le fait est que le système de santé suédois est aujourd’hui totalement dépendant de ces médecins. En 2015, un quart des praticiens exerçant en Suède étaient nés à l’étranger. En 2019, sur 2 332 médecins autorisés à pratiquer la médecine, 53 % avaient été formés en Suède, 37 % dans l’UE et 11 % dans un pays tiers.

En mars, un millier d’étudiants en médecine ont signé une pétition pour dénoncer les discriminations à l’hôpital, pas seulement contre leurs collègues d’ailleurs, mais aussi à l’égard des patients. Une infirmière ambulancière était alors jugée pour avoir diagnostiqué un « évanouissement culturel » chez un homme qui disait avoir perdu conscience et souffrait en fait d’une hémorragie cérébrale.


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