Par Florence Rosier Publié le 24 août 2021
A poids égal, les espèces dotées de ce diverticule suspendu au côlon ont une longévité accrue de 60 % par rapport à celles qui en sont dépourvues.
A quoi peut donc servir l’appendice, cet étrange diverticule suspendu à l’entrée du gros intestin ? La question intrigue de longue date. Darwin lui-même (1809-1882), le très fameux père de la théorie de l’évolution des espèces, s’y est fourvoyé. Pour lui, cet organe n’aurait été qu’un vestige inutile, résultant d’un changement de régime alimentaire de nos ancêtres singes. Fausse piste, en vérité.
« C’est bien la seule fois de ma carrière où il m’a été donné de contredire ce génial naturaliste », s’amuse Michel Laurin, directeur de recherche CNRS au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) à Paris. L’étude qu’il cosigne le 3 août, dans le Journal of Anatomy, suggère que l’appendice, loin d’être un organe superflu, conférerait un avantage sélectif. Sa présence, en effet, semble corrélée à une longévité accrue.
Ce sont les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) qui ont mis les chercheurs sur cette voie. « L’appendicite, une inflammation de l’appendice, diminue de 75 % le risque de survenue de la rectocolite hémorragique, une MICI », relève Eric Ogier-Denis, de l’Inserm à Rennes, qui a coordonné cette étude. Cette inflammation va renforcer le système immunitaire, d’où son action protectrice.
Ni les habitats, ni les régimes alimentaires, ni les organisations sociales des différents mammifères n’apparaissent corrélés à leur possession d’un appendice
L’appendice est un organe lymphoïde : il héberge de nombreuses cellules immunitaires, des lymphocytes B et T. « Là, ces cellules sont éduquées à reconnaître le microbiote intestinal, les antigènes de l’alimentation, les polluants… Elles acquièrent ainsi une mémoire des substances à tolérer ou à éliminer », explique Eric Ogier-Denis.
Après l’âge de 25 ou 30 ans, cependant, l’appendice involue et perd cette fonction éducative. L’immunologiste s’est interrogé : se pourrait-il que cet organe ait un impact sur la longévité ? Il contacte alors Michel Laurin qui, depuis plus de dix ans, compare de nombreuses espèces selon qu’elles possèdent, ou non, un appendice.
Ce diverticule est apparu pour la première fois chez les mammifères il y a au moins 80 millions d’années. Puis, au cours de l’histoire évolutive, il a fait au moins seize apparitions indépendantes chez diverses lignées de mammifères, mais il n’a disparu qu’une seule fois. « Cette asymétrie prononcée suggérait que l’appendice confère un avantage sélectif », souligne Michel Laurin. Au bout du compte, il est présent chez une minorité d’espèces assez éloignées : koala, castor, lamantin, ornithorynque… et grands singes. Mais ni les habitats, ni les régimes alimentaires, ni les organisations sociales n’apparaissent corrélés à sa possession.
Les auteurs ont examiné les données de 258 espèces de mammifères, dont trente-neuf avec et 219 sans appendice. Puis ils ont regardé, à l’aide de modèles statistiques conçus par Jérémie Bardin, si la présence d’un appendice était corrélée à la longévité maximale réelle des espèces considérées, rapportée à leur longévité maximale théorique – qui dépend à 80 % de la masse corporelle (un éléphant vit plus longtemps qu’une souris, par exemple).
Une réserve bactérienne
Verdict : « A masse égale, les mammifères dotés d’un appendice ont une longévité accrue de 60 %, en moyenne, par rapport aux mammifères sans appendice », résume Maxime Collard, premier auteur, interne des Hôpitaux de Paris en chirurgie digestive.
Prenons deux espèces de masse équivalente. La chèvre, qui n’a pas d’appendice, a une longévité maximale de 22 ans, contre 59 ans pour le chimpanzé qui en est doté. Ou encore, l’ours noir, qui n’en a pas, a une longévité maximale de 34 ans, contre 60 ans pour le gorille qui en possède un.
Comment expliquer ce gain de longévité ? Deux hypothèses. L’appendice favoriserait, on l’a vu, l’éducation du système immunitaire intestinal. Et puis, cette structure étroite et assez longue, dotée d’un col resserré, abrite une flore intestinale isolée du contenu du côlon. En cas de diarrhée infectieuse, ce « sanctuaire bactérien » permettrait la recolonisation rapide du gros intestin par des bactéries essentielles à l’hôte. D’où une diminution de la mortalité par diarrhée aux jeunes âges et, par contrecoup, un allongement de la durée de vie. Ou comment une petite poche biscornue, longtemps tenue pour une excentricité de la nature, s’avère finalement précieuse.
Reste une énigme : pourquoi aucun appendice n’a-t-il été trouvé au sein d’un super-ordre de mammifères placentaires, les Laurasiatheria, dont l’existence a été révélée par des analyses phylogénétiques récentes, et qui regroupe 40 % des espèces de mammifères : les chauves-souris, les chiens et les chats, les ours, les lapins et les belettes, les cétacés, les antilopes, les bovins et les ovins ? L’appendice n’a pas livré tous ses secrets.
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