par Chloé Pilorget-Rezzouk publié le 24 août 2021
«Délocaliser [son] ministère» le temps d’une journée, pour présenter aux professionnels du secteur le code de la justice pénale des mineurs (CJPM). C’était l’objectif d’Eric Dupond-Moretti en visite mardi au tribunal judiciaire de Marseille, le troisième du pays. Une visite prévue de longue date, mais qui survient alors que la ville traverse «une période extrêmement compliquée», de l’aveu de sa procureure Dominique Laurens, après une série noire de règlements de compte sur fond de trafic de drogue. «Cent personnes seront dédiées à cette réforme fondamentale», a fait savoir le garde des Sceaux dans la Provence, alors que le CJPM entrera en vigueur le 30 septembre. Et sonnera la fin de l’ordonnance du 2 février 1945 sur «l’enfance délinquante», devenue inintelligible et obsolète à force de modifications.
«Le système actuel n’était plus satisfaisant»
Prévue en mars, l’application de la réforme avait été repoussée pour laisser le temps à une justice des mineurs débordée d’écouler les stocks de dossiers et d’anticiper son arrivée. Largement adopté par le Parlement en février, le texte a l’ambition de créer une réponse pénale et éducative «plus efficace, plus lisible, plus rapide», avait défendu Eric Dupond-Moretti, dans les pas de sa prédécesseure Nicole Belloubet. «S’agissant des mineurs, la sanction sans éducation n’est qu’une machine à récidive», avait-il plaidé quand, dans l’hémicycle, les uns jugeaient le texte trop répressif, les autres trop laxiste.
Alors, quels changements dans les tribunaux pour enfants et les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ? S’il ne fallait retenir qu’une mesure, ce serait «la césure» du procès. Une première audience portant sur l’examen de la culpabilité du mineur devra intervenir entre dix jours et trois mois après la commission des faits. Puis une seconde, sur la sanction, devra avoir lieu six à neuf mois plus tard. Entre-temps, le jeune aura fait l’objet d’une «mise à l’épreuve éducative». La sanction prononcée tiendra compte de la gravité de l’infraction, mais aussi de l’évolution de son comportement, de ses efforts, de son adhésion aux mesures, de sa réflexion sur les actes commis, etc.
«Cette césure est une innovation très importante», salue le président de l’Association des magistrats de la jeunesse et de la famille (AMJF), Laurent Gebler, pour qui «le système actuel n’était plus satisfaisant». L’audience de culpabilité devrait aussi offrir une réponse plus prompte aux victimes, qui «peuvent attendre deux ou trois ans pour pouvoir être indemnisées», poursuit le vice-président du tribunal pour enfants de Bordeaux. En fixant ainsi un cadre temporel – une première – le gouvernement s’attaque aux délais à rallonge. Aujourd’hui, un jeune doit attendre en moyenne dix-huit mois pour être jugé. Résultat : dans 45 % des affaires, celui-ci a fêté ses 18 ans lorsqu’il passe devant la justice.
«En accélérant les réponses on ne prend plus le temps d’analyser»
Mais ces délais imposés inquiètent les acteurs judiciaires. Comment absorber la création de ces audiences ? «Dans certaines grosses juridictions [comme Paris, Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, ndlr], cela risque d’être compliqué. Il faudra qu’il y ait un vrai dialogue entre le parquet et les juges des enfants pour définir des priorités, prévient le magistrat. Il ne faudra pas sacrifier les convocations d’assistance éducative et mettre de côté la protection de l’enfance pour pouvoir juger des mineurs délinquants plus vite.» Pour la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (classé à gauche), Sophie Legrand, «on ne cherche pas à faire un suivi de qualité des enfants délinquants, mais à gérer des stocks avec une accélération de la réponse pénale en dépit d’une amélioration du fond». Cette juge des enfants à Tours estime qu’«en accélérant les réponses, on ne prend plus le temps d’analyser les conditions de vie de ces enfants et les causes du passage à l’acte délinquant».
Autre changement notable : la présomption d’irresponsabilité pénale pour les mineurs de moins de 13 ans. Ces derniers «sont présumés ne pas être capables de discernement», dispose ainsi le texte. Un «progrès symbolique», permettant à la France de se mettre en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant, mais qui «ne changera pas la face de la justice des mineurs, car ce n’est pas une présomption irréfragable», explique Laurent Gebler. Dans les faits, il reviendra toujours au magistrat de trancher. En outre, le nombre d’enfants concernés reste faible (seuls 3 % des mineurs délinquants ont moins de 13 ans, selon les données de l’année 2019 du service statistique ministériel de la justice) et ceux-ci n’encourent que des mesures éducatives. Soucieux de «réparer la justice», le ministre a confirmé qu’un rapport serait mené d’ici à deux ans pour mesurer l’efficacité de cette réforme.
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