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Dessin Benjamin Tejero
La planétologue remonte aux origines de notre planète en étudiant les pierres tombées du ciel que sont les météorites. Et compare son métier à celui d’un psychanalyste : décrypter l’histoire accumulative de la Terre, qui ne cesse d’évoluer.
Des profondeurs de la Terre à Mars en passant par la ceinture d’astéroïdes, la géologue et planétologue Violaine Sautter explore la mémoire de notre planète et du système solaire. Médaillée de bronze et d’argent du CNRS, cette spécialiste des roches martiennes analyse entre autres les données recueillies par le robot de la Nasa Curiosity. Ces observations venues de loin lui servent à remonter le temps géologique de notre planète et à en savoir plus sur ses premiers instants, dont les traces ont aujourd’hui disparu de la surface.
Comment passe-t-on de la géologie terrestre à la géologie extraterrestre ?
J’étudiais déjà les profondeurs terrestres et notamment les diamants, et en arrivant au Muséum d’histoire naturelle, on m’a proposé de travailler sur les météorites : le Muséum possède l’une des plus importantes collections de météorites du monde. Cette richesse ne tient pas aux moyens mais à la durée : nous collectons des pierres depuis la Révolution française. Dès qu’un Français trouve une pierre un peu curieuse, il l’apporte ici. Surtout les pierres tombées du ciel ! Il y a plus de deux siècles d’accumulation.
D’où viennent ces météorites ?
Elles proviennent essentiellement de la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. Jupiter est si massive qu’elle a empêché l’apparition d’une nouvelle planète. Et au lieu de cette planète manquante, il y a un amas d’astéroïdes datant de la formation du système solaire. Ce sont de petits corps célestes de quelques centimètres à plusieurs kilomètres faits de roche, de métal et de glace qui ne cessent de s’entrechoquer. C’est ce qui provoque les pluies de météores et constitue à terme 80 % des météorites trouvées à la surface de la Terre. On peut y lire l’histoire ancienne de notre système solaire.
Quelle histoire révèlent ces astéroïdes ?
Ils renseignent sur la façon dont on passe des poussières du disque de débris autour du jeune soleil aux planètes. Ces poussières, ces «moutons cosmiques», s’agglomèrent et, à force de s’entrechoquer, finissent par constituer des astéroïdes, des embryons de planète qui vont grossir. Seuls les plus gros d’entre eux accèdent au statut de planète, comme Mercure, Vénus, la Terre ou Mars, où la chaleur accumulée a été tellement grande qu’elles ont fini par se comporter comme de gros chaudrons, des hauts-fourneaux. Les éléments les plus denses sont allés au cœur et ont constitué un noyau métallique, et les plus légers ont flotté autour, puis constitué le manteau silicaté. Le manteau de la Terre est constitué à 80 % d’olivine, un silicate de magnésium, plus connu des amateurs de pierres précieuses sous le nom de «péridot». La coquille de la Terre, sur laquelle nous vivons, possède une diversité minéralogique incroyable : près de 4 500 espèces de minéraux différents. Cette diversité n’existe nulle part ailleurs dans le système solaire.
La Terre est donc l’aboutissement de cette histoire…
Oui, c’est la fin de la chaîne. Et notre travail de planétologue s’apparente à celui du psychanalyste ou de l’archéologue. Nous devons décrypter cette histoire accumulative. Nous sommes devant un état final et nous devons remonter à l’état initial. C’est pour cette raison que je m’intéresse aux profondeurs de la Terre. Parce que regarder profond, c’est regarder ancien. En plongeant dans les profondeurs, je retrouve des éléments qui n’ont pas été impactés par des événements récents, géologiquement parlant. Comme l’apparition de l’eau liquide, puis de la vie. Il existe une «vie minérale» bien antérieure, bien avant la grande oxygénation qui a provoqué un foisonnement de nouvelles espèces minérales en surface.
On pense souvent à la Terre comme berceau du vivant, mais elle est aussi unique au niveau de sa minéralité…
Oui. Les gens pensent que l’univers minéral est un univers figé. Or c’est un univers qui se transforme, et ces transformations nous racontent quelque chose sur les conditions ambiantes, sur l’évolution de la pression, de la température, sur les grands mouvements tectoniques qui ont modelé le visage de la Terre au cours des temps géologiques. Le minéral est un traceur sur une échelle de temps très longue. Lorsqu’on est dans un TGV, les voitures nous semblent à l’arrêt. L’être humain, c’est un TGV, il va très vite et il voit la Terre à l’arrêt. La Terre ne cesse pourtant d’évoluer.
Finalement, la surface dissimule, efface des informations qu’on ne trouve plus qu’en profondeur ?
Cette complexité de la «coquille» cache des origines primitives qui sont «enterrées». La Terre ne fait que 6 400 kilomètres de rayon, et je travaille sur la surface minérale martienne située à plus de 45 millions de kilomètres de nous. Nous explorons plus facilement l’espace que les entrailles de notre planète. La pression nous empêche de descendre à plus de 10 kilomètres : notre capacité maximum de forage, soit à peine une égratignure, la croûte terrestre faisant elle-même plusieurs dizaines de kilomètres d’épaisseur. Le voyage au centre de la Terre de Jules Vernes reste une aventure impossible.
Il y a une continuité entre la minéralogie extraterrestre et la recherche sur les minéraux terriens ?
La continuité existe. La première partie de ma carrière portait sur l’intérieur de la Terre. Et au tournant des années 2000, on a voulu que la France participe à un programme de retour d’échantillons de Mars. On ne l’a toujours pas réalisé. Il faudra sans doute attendre l’horizon 2030. En attendant, Curiosity nous envoie beaucoup d’informations, que nous pouvons recouper avec nos recherches sur les météorites dites martiennes du Muséum. J’ai d’abord repéré qu’elles contenaient du basalte, roche très abondante à la surface de la Terre puisqu’elle constitue la matière même du plancher des océans. Je me suis mise à les étudier et à y trouver plein de choses. Quand la mission Curiosity est partie pour analyser les roches à la surface de Mars, on avait besoin d’une géologue capable d’avoir une expertise sur les roches martiennes. C’est comme ça, que «je suis allée sur Mars». Mais j’y suis allée en sachant bien qu’il n’y a pas cette diversité qu’on trouve sur Terre. Il n’y a ni biosphère, donc pas de grande oxygénation liée à l’apparition du vivant, ni tectonique des plaques. C’est donc beaucoup plus simple.
Qu’a-t-on finalement trouvé sur Mars ?
On s’attendait à ne voir que des basaltes, et on a aussi trouvé des roches granitiques. La géodiversité sur Mars est donc un peu plus compliquée qu’on ne le pensait. Croire qu’on va trouver de nouveaux minerais en allant sur d’autres planètes est illusoire. Quand on se souvient des astronautes qui sont allés sur la Lune, on pense souvent à la phrase sur «un grand pas pour l’humanité», mais je préfère cette autre phrase : «On croyait découvrir la Lune, on a découvert la Terre.» Sur Mars, c’est la même chose. On croyait découvrir Mars et en fait, on découvre la Terre dans ses premiers instants. Ce qui m’intéresse, c’est de déconvoluer, de remonter dans le temps, soit en explorant à l’intérieur de la planète, soit en regardant les planètes autour qui sont dans un état plus primitif. Ces missions ne sont pas de l’ordre de la conquête, elles permettent juste de mieux comprendre. Il faut prendre de la hauteur pour savoir ce qu’on est et d’où on vient.
Qu’avez-vous appris de Mars ?
C’est une planète double, dichotomique. Au nord, c’est une plaine basaltique extrêmement profonde, et au sud, ce sont des hauts plateaux de plus de 4 000 mètres d’altitude. La Terre, entre les continents, les reliefs émergés en hauteur et les bassins des océans, est une espèce de mosaïque, à cause de la tectonique des plaques. Mon pari, ça a été de dire que, comme sur Terre, les parties hautes pourraient être moins denses que les parties basses. Curiosity a finalement atterri au fond d’un cratère, et les parois de ce cratère sont de véritables coupes géologiques. A côté du robot, nous avons découvert, tout au début de la mission il y a près de sept ans, le débouché d’un torrent fossile. Et quand on a regardé les gros galets que le torrent avait échantillonnés, on a trouvé plein de cailloux blancs, acides comme le granit. On se demande maintenant si l’hémisphère Sud de Mars n’est pas en réalité fait pour partie de ces roches continentales d’affinité granitique. Mars, c’est un livre ouvert, comme des archives sur le passé perdu de notre planète. Car sur Terre, la restructuration est permanente. La planète a 4,5 milliards d’années, mais seuls 2 % ou 3 % de sa surface ont plus de 3 milliards d’années. Alors que c’est le cas pour tout l’hémisphère Sud de Mars.
Qu’en est-il de la recherche de trace de vie sur Mars ?
Mars est dans la zone habitable. C’est la seule autre planète dans le système solaire qui soit à la bonne distance pour qu’il y ait de l’eau liquide. Il y en a eu quand il y avait de l’atmosphère, qui a disparu avec la disparition de son champ magnétique. On recherche donc des molécules qui seraient les précurseures du vivant. Les conditions nécessaires pour que la vie se développe sur Mars ont existé. Est-ce qu’elles ont été suffisantes ? Pour qu’il y ait de la vie, il faut qu’il y ait de l’eau, donc la bonne température, des sources d’énergie il faut qu’il y ait du carbone. Il y a eu du carbone sur Mars. Mais pour que ce simple élément évolue vers des molécules organiques, à la base du vivant, il y a tout un cheminement. Le problème, c’est que Mars est irradiée par les UV depuis trois milliards d’années. On trouve à sa surface des perchlorates hautement explosifs qui nettoient tout. Cette recherche n’est pas simple mais on la continue car 60 % des territoires de Mars ont l’âge des terrains qui, sur Terre, étaient contemporains de l’apparition du vivant.
Y a-t-il un intérêt à envoyer des humains sur Mars ?
De mon point de vue, aucun. Tout est compliqué pour y aller : les six mois de voyage, la promiscuité des voyageurs, les contraintes du décollage, les radiations cosmiques et solaires, de 60 à 100 fois ce qui est autorisé dans une centrale nucléaire, la nécessité de tout recycler, l’arrivée sur le sol martien, le retour de la gravité après six mois en apesanteur, les conditions sur la planète en termes de radiations, de nourriture, d’oxygène, de température, etc. Ce n’est pas techniquement impossible, ces difficultés se surmontent. La seule plus-value scientifique à y aller serait la rapidité : les robots sont lents, Curiosity n’a fait que 20 kilomètres en sept ans. Mais l’homme sur Mars, c’est avant tout une vision de colonisation qui me dérange, parce qu’on veut y aller dans l’idée qu’un jour on aura foutu en l’air tout ce qu’on trouve ici. Je préfère un autre message : on va sur Mars pour comprendre qui on est, dans la pluralité des mondes, sur une planète fragile et rare, qu’il s’agit de préserver.
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