Harley, une détenue habituée de l’atelier de médiation animale, et le chien Gandhi. Photo Théophile Trossat pour Libération
Depuis trois ans, Aurélie Vinceneux, psychopraticienne, et ses deux bêtes, Gandhi et Lutine, rendent visite à des détenues de la maison d’arrêt de Nantes pour des ateliers de «médiation animale». Une façon d’apaiser et d’adoucir la vie derrière les barreaux.
Lové sur une couverture verte déposée sur une table au centre de la pièce, Gandhi est au cœur de toutes les attentions. En baskets noires et jean troué assorti, Kelly, rousse au carré bouclé de 24 ans, tente d’apprendre au petit berger shetland à donner la patte et à rouler sur lui-même. «Moi, j’ai toujours joué avec mes chiens. J’ai jamais eu de problème», se félicite Priscilla, 37 ans. «C’est pour ça que tu es en prison !» plaisante Kelly. Depuis trois ans, la maison d’arrêt des femmes de Nantes organise chaque jeudi après-midi un atelier de médiation animale. Sur la base du volontariat, les participantes peuvent passer une heure trente avec Aurélie Vinceneux, psychopraticienne, et ses deux chiens, Gandhi, 8 ans, et Lutine, 18 mois. «On essaie d’accompagner ces femmes vers un mieux-être, malgré le contexte», explique la trentenaire. «Beaucoup d’entre elles sont propriétaires de chiens à l’extérieur. L’animal nous permet d’entrer en relation, de nous rejoindre en tant qu’humains autour d’une passion commune», poursuit Aurélie Vinceneux.
Aurélie Vinceneux, fondatrice de l’association «Cœur d’artichien». Photo Théophile Trossat pour Libération
Après des études de psychologie, la jeune femme s’est formée à la criminologie et à la victimologie avant de passer un diplôme universitaire de relation d’aide par la médiation animale. Il y a dix ans, elle a créé son association, «Cœur d’artichien», avec laquelle elle intervient en milieu carcéral, mais aussi auprès d’enfants hospitalisés. Quant à ses chiens, ils sont formés pendant environ un an et leur aptitude à jouer les médiateurs est évaluée par un éducateur canin avant leurs débuts.
Pioche
A la maison d’arrêt pour femmes de Nantes, qui compte une cinquantaine de détenues, l’idée de proposer des ateliers de médiation animale, parmi la myriade d’autres activités (yoga, cuisine, esthétique…), est née après une série de suicides et de tentatives de suicide. En individuel, l’activité se déroule dans les cellules.
Ce jeudi de novembre, c’est un petit groupe de trois détenues qui a rendez-vous dans une salle aux murs ornés de cadres fleuris et de photos, pour une séance collective. En temps normal, Aurélie Vinceneux est seule avec elles, et dispose d’un système d’alarme «au cas où». Elle ne veut pas connaître les raisons de leur présence ici. «Sauf pour les mères infanticides, parce que cela peut générer de la violence à leur égard», explique la jeune femme. Derrière les barreaux de la fenêtre apparaît la cour de promenade où, selon Kelly, «on entend trop de cancans». «Etre ici, ça apaise», estime-t-elle.
Kelly en compagnie de Lutine, à la maison d’arrêt de Nantes, le 28 novembre. Photo Théophile Trossat pour Libération
Outre des gamelles, jouets et autres harnais pour Gandhi et Lutine, Aurélie Vinceneux apporte aussi des jeux destinés aux participantes. Ce jour-là, à travers un jeu de cartes québécois, elles sont invitées à réaliser un totem des personnes en présence. Dans sa pioche, chacune choisit des qualités qui lui semblent correspondre à la personne désignée : érudit, vif, ingénieux, cultivé… En commençant par les chiens, pour se mettre en confiance, et délier les langues. Par ricochet, la «curiosité» du petit berger shetland conduit Priscilla, 37 ans, à évoquer ses souvenirs d’école : «Je n’aimais pas trop apprendre. Ma fille, c’est pareil», dit-elle. Progressivement, la conversation dévie sur les personnalités de chacune, et les amène à travailler sur l’estime de soi : Priscilla voit sa «persévérance» et sa «franchise» mises en avant, tandis que Kelly «défend ses idées avec vigueur». «Je suis aussi un peu maniaque : y a qu’à voir ma cellule, c’est carré», complète Kelly. Aurélie Vinceneux, l’intervenante, se prête elle aussi au jeu. «Quand j’étais ado, j’étais un bulldozer, toujours prête à foncer», lâche-t-elle tout sourire.
Jusque-là en retrait, plus occupée à jouer avec la jeune chienne qu’aux cartes, Harley (1), 27 ans, sort de sa réserve. Incarcérée depuis trois ans, la jeune femme, cheveux peroxydés et piercings, est la plus ancienne participante à ces ateliers. «Tu as toujours été présente, toutes les fois où je n’étais pas bien», dit-elle à l’intervenante. Harley dit «adorer les animaux depuis toute petite». A l’en croire, rats, serpent, perruche, ou encore caméléon lui ont par le passé servi de compagnon. Et d’analyser : «En fait, j’aime les voir vivre. Le simple fait de caresser un animal, ça enlève la tristesse.» «On constate un apaisement phénoménal», appuie Christelle Dubergey, surveillante au sein de l’établissement, qui dit volontiers être «gaga des animaux». «En vingt-quatre ans de pénitentiaire, je n’avais jamais vu ça. Même pour nous, les personnels, faire entrer des animaux apporte de la joie», constate-t-elle. «Je me souviens d’une dame en très grande détresse. J’étais assez impuissante. Gandhi a sauté sur son ventre et a léché ses larmes», raconte Aurélie Vinceneux.
Poussette
Les premières expériences de médiation animale en milieu carcéral ont été menées à la fin des années 70 aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, les bienfaits de l’animal auprès de publics en difficulté ont été théorisés dès les années 60, par le Dr Boris Levinson, pédopsychiatre qui exerçait auprès d’enfants autistes. Une trentaine de projets sont en cours dans les prisons françaises, à Strasbourg, Angoulême, Alençon ou encore Rennes. A Nantes, Kelly aimerait avoir parfois Lutine pour elle toute seule dans sa cellule. Et promet de lui «apprendre encore plus de tours». Cet après-midi-là, Aurélie Vinceneux et ses chiens iront aussi à la rencontre d’une jeune femme incarcérée et de son bébé de 5 mois. Ici, les mères peuvent rester au côté de leur progéniture jusqu’à dix-huit mois, au sein d’une cellule spécialement aménagée. Depuis sa poussette, le nourrisson tend le bras pour toucher le pelage de Lutine. Sa mère s’émeut : «Elle n’avait jamais vu de chien en vrai, juste sur des cartes postales.»
(1) Le prénom a été modifié.
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