Avec des contributions de psychiatres de Christchurch (Nouvelle-Zélande), Boston (États-Unis) et Kyoto (Japon), The Australian & New Zealand Journal of Psychiatry évoque cette intéressante question : « pourquoi les progrès de la psychiatrie ne se traduisent-ils pas par une réduction massive de la prévalence des maladies mentales ? » Concrètement, la psychiatrie des pays développés est « face à un dilemme » : malgré des « efforts accrus » et des ressources importantes pour contenir les problèmes psychiatriques, les indicateurs de la détresse psychologique ne montrent aucun déclin. Au contraire, en Nouvelle Zélande, malgré une multiplication par quatre des moyens financiers en sept ans (quatre milliards de dollars consacrés en 2015–2016, contre un milliard en 2008–2009) et un « doublement du nombre de psychiatres et de psychologues » en parallèle, un nombre plus élevé que jamais de sujets y reçoivent un traitement psychiatrique : 13,7 % des Néo-Zélandais ont une ordonnance d’antidépresseurs et 3,1 % une prescription de neuroleptiques, avec surtout une augmentation de plus de 50 % de ces proportions durant la décennie écoulée.
Les auteurs proposent plusieurs hypothèses explicatives. Par exemple, les efforts déployés dans le traitement des troubles mentaux n’auraient pas été accompagnés d’efforts similaires pour leur prévention, et il faudrait sans doute aller plus loin dans ce domaine.
Autre facteur (médical, politique ou sociologique ?) : les psychiatres doivent-ils cibler de préférence leurs efforts sur les patients les plus susceptibles de bénéficier de leurs interventions, ou répartir plutôt globalement ces efforts sur toute la société, pour réduire l’incidence fâcheuse des inégalités et des discriminations, en s’attaquant notamment à la stigmatisation à l’encontre des malades mentaux ?
Les auteurs font un parallèle intéressant avec les maladies cardiovasculaires et métaboliques : alors que les prescriptions d’antihypertenseurs ont doublé et celles d’hypolipidémiants ont quadruplé dans les « pays riches » entre 2000 et 2015, les décès liés à ces maladies cardiovasculaires et métaboliques ont augmenté de 49 % en un siècle.
En d’autres termes, il ne semble pas exister une efficacité mécanique de nos thérapeutiques modernes sur la prévalence (croissante) de certaines maladies, et peut-être ce phénomène serait-il en partie inhérent à un type de civilisation ? Ce constat (d’échec relatif) signifie-t-il qu’il faudrait réaffecter plus de moyens humains et matériels à la prévention et à la maîtrise des cofacteurs, au lieu de se focaliser sur le traitement d’une affection précise et identifiée, comme la dépression ? Un auteur évoque ainsi l’intérêt de « développer des stratégies destinées à améliorer les besoins basiques », nécessaires au quotidien des patients. Cette suggestion pragmatique m’évoque une boutade de mon maître, le Pr Jacques Barbizet (1919–1982) proposant d’alléger le fardeau financier des soins psychiatriques en mettant à disposition de certains patients des « yes cards », ces cartes bancaires acceptant systématiquement de délivrer une somme d’argent au distributeur automatique de billets !
Dr Alain Cohen
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