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mardi 17 décembre 2019

Les neurosciences montrent comment la mémoire collective façonne les souvenirs individuels

PAR 
COLINE GARRÉ
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PUBLIÉ LE 17/12/2019

Crédit photo : PHANIE
Les sciences humaines et sociales enseignent depuis le début du XXe siècle que la mémoire individuelle est modelée selon les schémas collectifs. Une étude publiée dans la revue « Nature Human Behaviour » met pour la première fois en lumière ce lien du point de vue des neurosciences, en s'appuyant sur des techniques d'imagerie cérébrale et des algorithmes d'intelligence artificielle.

« Jusqu'à présent, les recherches en psychologie et en sciences cognitives cherchaient à comprendre comment se construit un souvenir partagé, collectif. Nous avons inversé la perspective en étudiant comment la mémoire collective peut influencer, organiser, façonner, la mémoire individuelle », explique au « Quotidien » Pierre Gagnepain, chercheur à l'INSERM, École pratique des Hautes Études, Université de Caen, centre Cyceron.
Pour ce faire, l'équipe de neuroscientifiques de Pierre Gagnepain et Francis Eustache s'est associée à celle du programme transdisciplinaire Matrice piloté par l'historien Denis Peschansky. Si, depuis, le tandem s'est fait connaître en lançant plusieurs projets autour des attentats du 13 novembre, ses recherches portant sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ont commencé avant 2010.
Cartographie de mots et IRM
Dans un premier temps, l'équipe Matrice s'est penchée sur la couverture médiatique de la Seconde Guerre, en particulier, quelque 3 766 reportages et documentaires diffusés à la télévision française entre 1980 et 2010. À l’aide d'un algorithme, ils ont identifié des groupes de mots qui, de proches en proches, forment des thématiques. « Par exemple : Résistance, De Gaulle, train, sabotage, explique Pierre Gagnepain. Cela aboutit à une cartographie de mots qui font sens dans la mémoire collective. »
Dans un deuxième temps, 24 volontaires sains, âgés de 22 à 39 ans, ont été invités à visiter le Mémorial de Caen, et à y observer 119 photos, assorties de légendes.
Enfin, les volontaires, le lendemain, sous IRM, se sont vus proposer plusieurs courtes descriptions, certaines faisant référence à des photographies observées au mémorial, d'autres à des images réelles, mais qu'ils n'avaient pas vues (afin de s'assurer qu'il y a un vrai effort de remémoration de la part des participants). Les chercheurs ont alors observé l'activité du cortex préfrontal médial lors du travail de remémoration effectué par les volontaires.
« Nous obtenons ainsi une cartographie des souvenirs associés à l'activité cérébrale que nous comparons avec la cartographie de la mémoire collective, poursuit Pierre Gagnepain, avec l'idée que si l'on a une organisation similaire, cela signifie que les souvenirs individuels sont organisés en adéquation avec la mémoire collective. »
Partie dorsale du cortex préfrontal sensible
Et de fait, l'expérience montre que le cortex préfrontal médial est sensible à l'organisation de la mémoire collective. En particulier, sa partie dorsale, et non ventrale, ce qui n'est pas anodin soulignent les chercheurs. La partie dorsale est en effet mobilisée pour se représenter des situations sociales ou adopter le point de vue d'autrui, tandis que la partie ventrale permet de résumer des expériences et de leur attribuer une valeur affective. « Comme si l'on réactivait la pensée collective, plutôt que sa propre vision individuelle au moment où l'on se remémore quelque chose », commente Pierre Gagnepain.
Autre observation : les participants les plus âgés de l'expérience (nés vers 1980) étaient ceux chez qui l'on observait la plus grande cohérence avec la mémoire collective. « Sûrement car ils ont été plus exposés aux images des journaux télévisés que les plus jeunes, avance le chercheur. Cela confirme l'hypothèse que nous stockons nos souvenirs sur la base d'une narration collective préexistante. »
« Il est donc crucial de prendre en compte les dynamiques collectives pour comprendre les mémoires individuelles », considère-t-il.
Plus largement, ces travaux ouvrent des perspectives en matière de santé mentale. Notamment sur le rôle positif ou négatif que pourrait avoir l'inscription dans un vécu collectif d'un traumatisme individuel.

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