L’image a fait le tour du monde. Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, se tient debout, doigt levé, face à un Donald Trump menacé de destitution. Peu après cette réunion houleuse, le président américain poste sur Twitter la photo, accompagnée de cette légende: «Elle a totalement craqué à la Maison Blanche aujourd’hui. C’était très triste à voir. Priez pour elle, c’est une personne très dérangée!» Ainsi, la colère de Nancy Pelosi, 79 ans, représentante démocrate des Etats-Unis depuis 1987, ne serait pas causée par un désaccord politique, mais bien par un pétage de plombs, sinon le symptôme d’un mal-être psychologique plus profond. Le procédé est courant. Perçue au mieux comme un manque de maîtrise de soi, souvent preuve d’hystérie, la colère des femmes est signe de leur folie.
Dans le Pouvoir de la colère des femmes,l’essayiste féministe américaine Soraya Chemaly, directrice de mission au Women’s Media Center, revient sur cette disqualification de la colère féminine et ses conséquences psychosociales. Structurellement victimes d’injustice et de discrimination, les femmes ont de nombreuses raisons d’être en colère, et pourtant elles sont fortement incitées à maîtriser leurs émotions. Dissimulée sous le masque de la docilité, la colère systématiquement réprimée se transforme en un «ressentiment sourd, voire une haine de soi». La colère rentrée «ronge nos corps et nos esprits» et nous «freine sur tous les plans», écrit Soraya Chemaly. Comme l’explique l’actrice Adèle Haenel à Mediapart, sa fureur envers son agresseur sexuel s’est transformée à la faveur de son silence en une «colère qui part un peu dans tous les sens, y compris contre soi-même».
Si, chez les garçons, la colère est souvent perçue comme une preuve de vigueur, elle est d’autant moins acceptable chez les filles qu’elle représente la première défense contre l’injustice. La colère des femmes transgresse les normes de genre parce qu’elle est puissante et dangereuse. Loin d’être un obstacle, elle est un moyen de renverser l’ordre des choses, note Chemaly. La colère est une menace: elle porte en elle le germe de l’audace et du changement. La colère, écrivait la théoricienne féministe afro-américaine Audre Lorde, est chargée d’information et d’énergie, pour peu que l’on ne soit pas effrayé par sa charge subversive et son pouvoir destructeur. Correctement exprimée, structurée par l’action collective, elle permettrait, juge Soraya Chemaly, une «remise en cause du confort de l’ordre établi».
L.M-C.
► A lire Le Pouvoir de la colère des femmes, de Soraya Chemaly,
éd. Albin Michel, 340 pp., 21,90 €.
«De l’usage de la colère: la réponse des femmes au racisme» in Sister Outsider. Essais et propos d’Audre Lorde sur la poésie, l’érotisme, le racisme, le sexisme… d’Audre Lorde, éd. Mamamélis (Genève), 2003, 212 pp., 16 €.
Photo Twitter The White House
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