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mardi 16 avril 2019

Le déséquilibre démographique se chiffre à 23 millions de femmes manquantes depuis 1970

Une étude publiée dans la revue « PNAS » a calculé précisément le déséquilibre entre filles et garçons à la naissance depuis 1970. Chine et Inde sont les principales responsables
Par Martine Valo Publié le 16 avril 2019
A  New Delhi en Inde, en novembre 2015.
A  New Delhi en Inde, en novembre 2015. ROBERTO SCHMIDT / AFP
Un garçon à tout prix : une partie de l’humanité refuse de s’en remettre au hasard de la conception et s’efforce de mettre au monde des descendants mâles avant tout. Les filles qui auraient dû naître sans cette sélection délibérée en fonction des sexes se comptent par millions. Elles seraient même 23,1 millions à manquer à l’appel depuis 1970 dans douze pays qui présentent « des preuves statistiques solides d’un déséquilibre », selon une étude publiée dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), lundi 15 avril.

Celle-ci rappelle que la tendance ne touche pas seulement quelques régions reculées, mais pèse sur la démographie d’un continent comme l’Asie, voire au-delà. Car la Chine et l’Inde sont de très loin les principales responsables de ce dérèglement avec respectivement un total cumulé de 11,9 millions et de 10,6 millions de filles en moins durant la période 1970-2017. Or, à elles deux, elles représentent 38 % de la population mondiale et le tiers des naissances. Sept autres des pays repérés comme penchant clairement pour les nouveau-nés masculins se trouvent aussi en Asie (Arménie, Azerbaïdjan, Corée du Sud, Géorgie, Hongkong, Taïwan, Vietnam), cependant la tendance est aussi perceptible en Tunisie, en Albanie et au Monténégro…
LE MONDE
Une équipe internationale de chercheurs s’est penchée, sous la direction de Fengqing Chao, de l’université de Singapour, sur la diminution relative du nombre de filles, non pas pour l’analyser sous l’angle des pratiques sociales ou culturelles, mais pour chercher à quantifier précisément les distorsions démographiques qui en découlent. Leur travail a consisté à mesurer les différences entre le nombre de naissances vivantes des hommes par rapport à celui des femmes comparées au ratio naturel moyen de référence. A l’échelle mondiale, dans des circonstances habituelles, hors guerres, famines, crises sévères, il naît autour de 105 garçons pour 100 filles selon les années. En 2017, sont arrivés en moyenne 106,8 Terriens pour 100 Terriennes, soit un ratio de 1,068.

Le tournant après la généralisation des échographies

Les démographes montrent que les distorsions nettes apparaissent à partir des années 1970, lorsque les technologies de détermination prénatale du sexe de l’enfant commencent à devenir facilement accessibles. La généralisation de l’échographie va se traduire par le développement des avortements sélectifs, plusieurs au besoin, jusqu’à obtenir l’héritier tant désiré. Les auteurs de cette recherche soulignent que la surreprésentation masculine correspond aussi au déclin des taux de fertilité : quand les parents ont moins d’enfants, les chances de voir le jour se restreignent pour les filles.
Au Vietnam, le phénomène s’accentue à partir de 2001, lorsque la moyenne s’est réduite à deux enfants par femme en âge de procréer ; à Hongkong, il débute en 2004, quand le taux de fertilité se réduit à un enfant. En Inde, il survient dès 1975, alors que l’écart moyen est encore de 5,2 enfants mais atteint son maximum vingt ans plus tard (avec 111,3 garçons pour 100 filles) malgré une forte baisse de la fertilité moyenne. Les chercheurs observent au demeurant que dans les douze pays où les dérèglements sont patents, les maximums d’écarts entre les sexes semblent actuellement dépassés, depuis 1990 en Corée du Sud et 2012 au Vietnam.
En Chine, « dans un contexte socioculturel de préférence pour les fils », écrivait Isabelle Attané, directrice de recherche, démographe et sinologue à l’Institut national d’études démographiques, dans la revue Population & Sociétés de juillet-août 2016, les avortements sélectifs se sont massivement développés à partir de la fin des années 1980. En 1981, le rapport de masculinité était encore de 107, 2 garçons pour 100 filles, proche de la norme. Puis il a atteint un pic de 120,6 en 2008, avant de redescendre lentement à 113,5 en 2015. A cela s’ajoute un autre déséquilibre, celui de la surmortalité des filles avant leur premier anniversaire.
« La préférence envers les garçons a toujours existé, dans tout le pays, résume aujourd’hui la spécialiste de la Chine. On y pratiquait des infanticides de filles, il y avait aussi des surmortalités des femmes, au moment de devenir mère en particulier. La question n’est pas occultée, elle préoccupe les Chinois car nombre d’hommes ne vont pas pouvoir trouver d’épouses. Le problème existe depuis longtemps mais va s’aggraver pour les cohortes nées depuis les années 1980. »
Dans son Atlas de la population mondiale (publié aux éditions Autrement en février 2019), Gilles Pison s’est penché pour sa part sur la fameuse politique de l’enfant unique imposée par les autorités de façon stricte de 1979 à 1984, avant d’être assouplie et officiellement abandonnée en 2016. Celle-ci n’explique pas tout, note-t-il. Au demeurant « un déséquilibre des sexes est apparu à la même époque en Corée du Sud et à Taïwan ». Chez les couples ayant plus d’un nourrisson, les filles retrouvent dans les faits le droit d’exister lorsqu’elles arrivent en deuxième, après un frère aîné.
Dans l’estimation publiée par les PNAS, les démographes ont d’abord cherché à déterminer des indices moyens par grandes régions du monde, afin de déceler les principaux centres de déséquilibre entre les genres à la naissance. Ils ont travaillé à partir de copieuses bases de données, à la fois celles de la division de la population de l’ONU, mais aussi de très nombreux extraits d’enregistrements d’état civil, de recensements, d’enquêtes nationales et internationales à partir de 1950.
Ils constatent des différences notables : en Afrique subsaharienne, le ratio est de 1,032, inférieur donc au 1,068 mondial. Tandis qu’il atteint 1,044 en Amérique latine ; 1,053 dans l’ouest de l’Asie ; 1,054 dans les pays avec une majorité de population de type caucasien (Europe, Amérique du Nord, Australie et Nouvelle-Zélande) ; 1,056 en Afrique du Nord ; 1,067 en Océanie.
Dans les régions où le rapport penche au détriment des filles, il atteint 1,073 en Asie du Sud-Est ; 1,075 dans le Caucase et en Asie centrale ; 1,086 dans le sud de l’Asie ; enfin 1,133 en Asie orientale, autrement dit en Chine.



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