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vendredi 29 septembre 2017

« La stigmatisation de la schizophrénie est une double peine pour les malades »

Dans une tribune au « Monde », Nicolas Rainteau, interne en psychiatrie, estime qu’il est urgent de lutter collectivement contre les stéréotypes associés à cette maladie, qui empoisonnent les patients et leur famille.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Par 

«  Cette maladie se caractérise par un ensemble de symptômes fluctuants et rarement présents de façon simultanée (comme des idées délirantes, une désorganisation de la pensée, un manque d’énergie) » (Illustration: « Le Cri », d’Edvard Munch).
«  Cette maladie se caractérise par un ensemble de symptômes fluctuants et rarement présents de façon simultanée (comme des idées délirantes, une désorganisation de la pensée, un manque d’énergie) » (Illustration: « Le Cri », d’Edvard Munch). © THE MUNCH MUSEUM

Tribune. Le philosophe américain Henry David Thoreau a écrit : « Peut-il exister de plus grand miracle que celui qui nous permettrait, l’espace d’un instant, de nous regarder avec les yeux d’un autre ? » Pour les patients atteints de schizophrénie, se regarder à travers les yeux de la société relève plutôt du cauchemar. De nombreuses études se sont intéressées aux représentations dans la population en général des personnes atteintes de schizophrénie.

De manière désastreuse, elles sont associées aux stéréotypes les plus négatifs, sont considérées comme moins susceptibles d’évoluer vers la guérison et comme plus dangereuses et imprévisibles en comparaison des patients souffrant d’autres troubles mentaux. La majorité des individus interrogés persiste à penser que les personnes schizophrènes souffrent d’un dédoublement de la personnalité ou de personnalités multiples. En réalité, cette maladie se caractérise par un ensemble de symptômes fluctuants et rarement présents de façon simultanée (comme des idées délirantes, une désorganisation de la pensée, un manque d’énergie).


Voilà les conséquences directes d’années d’informations partielles, tronquées, voire fausses, de « unes » racoleuses et d’utilisation du mot schizophrénie à tort et à travers jusque dans les plus hautes sphères de notre société. Et il faut bien l’admettre, une certaine frilosité de nous, psychiatres, à exporter des informations claires et précises au-delà des murs des hôpitaux.


« Un barjot, un terroriste, un assassin »


En pratique, ces croyances erronées ont de multiples répercussions au quotidien. Tout d’abord, on note une volonté de la part de la société de mettre à distance sociale des patients atteints de schizophrénie. Ce que l’on appelle « stigmatisation publique » engendre d’énormes difficultés pour les patients pour trouver un travail ou un logement, pour créer des relations amicales ou amoureuses, ou encore pour accéder aux soins somatiques mais aussi psychiatriques. Par exemple, quand un psychiatre pose le diagnostic de schizophrénie, il n’est pas rare qu’un patient qui a lu ou entendu qu’être schizophrène c’est être « un barjot, un terroriste, un assassin » réponde : « Je ne peux pas être schizophrène, je ne veux tuer personne et je ne me dédouble pas. »

La puissance des stéréotypes prend alors le dessus sur les explications médicales et éloigne le patient des soins. Cette stigmatisation publique ajoute véritablement de l’isolement à l’isolement. Ensuite vient l’« autostigmatisation », qui est l’internalisation de la stigmatisation publique par les patients. En d’autres termes, ce que la société pense d’eux, les patients finissent par le penser aussi. Il existe par exemple la croyance forte (et fausse) que les personnes atteintes d’un trouble mental sont incompétentes. Et de ce fait il arrive que les patients finissent par vraiment penser qu’ils sont incompétents et n’envisagent plus de travailler. Ici, des limites s’ajoutent à d’autres limites.

Pour les personnes atteintes de schizophrénie, la stigmatisation est presque une deuxième maladie dont les conséquences pourraient dépasser celles des symptômes de la maladie elle-même. Les familles et les proches des patients ne sont eux aussi pas épargnés par la stigmatisation. On appelle « stigmatisation de courtoisie » les attitudes négatives vécues par l’entourage des personnes présentant une maladie mentale.

En effet, il arrive que les familles ayant un membre atteint de schizophrénie soient rejetées par leur entourage et souffrent de cet isolement, ce qui entraîne parfois une attitude d’évitement des relations sociales, l’apparition de perturbations psychiques voire organiques chez les membres de la famille, ou encore l’émergence de conflits intrafamiliaux. Afin d’illustrer cette stigmatisation de courtoisie, on pourra décrire cette « fameuse » invitation qui s’annule mystérieusement quand les parents précisent qu’ils viendront avec leur enfant atteint de schizophrénie.

« Ce combat contre l’utilisation erronée du mot schizophrénie, c’est un soin, comme l’est un médicament ou une consultation »
Ce combat contre l’utilisation erronée du mot schizophrénie n’est pas un effet de style ou une recherche du politiquement correct. Ce combat, c’est un soin, c’est une prise en charge, au même titre que peut l’être un médicament ou une consultation. Une étude menée dans notre service souligne l’urgence de la ­situation. En effet, à travers un protocole expérimental, nous avons montré que le simple fait de lire le mot schizophrénie sur un écran d’ordinateur modifiait de manière négative le comportement d’un individu. Pis encore, cette modification de comportement semble complètement inconsciente, et donc de ce fait non maîtrisable. Voilà comment des années de mésusage du mot schizophrénie ont engendré des réactions de rejet à sa simple évocation.

Le mot « schizophrénie » est dérivé du grec skhizein (« scinder ou fendre ») et phrên (« esprit ou âme »). Certains pays ont fait le choix de le modifier : ainsi, au Japon, au lieu de parler de seishin bunretsu byo (« esprit divisé »), on dit maintenant qu’une personne est atteinte de togo-shitcho sho (« trouble de l’intégration »). Mais le combat contre la stigmatisation va bien au-delà.

Une prise de conscience générale est donc nécessaire. Elle s’applique tout d’abord à nous, psychiatres. Il est primordial que nous soyons en première ligne dans ce combat, que ce soit dans nos pratiques ou dans notre investissement aux côtés de ceux qui luttent déjà avec acharnement. C’est aussi le combat des médias car dans ce monde qui est le nôtre, nos explications médicales et scientifiques ne sont qu’un murmure face à la multiplication des moyens de communication. Travaillons ensemble, car, comme le disait Albert Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

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