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samedi 26 août 2017

Radicalisation et psychiatrie : les "protocoles" de Gérard Collomb sont-ils conformes à la loi ?

Paris, le samedi 26 aout 2017 - Les attaques survenues en Catalogne s’ajoutent désormais à la longue liste des villes victimes du terrorisme en 2017. Si les attaques les plus dévastatrices furent l’œuvre de cellules terroristes organisées (comme ce fut le cas à Londres, Manchester ou Barcelone) d’autres attaques furent l’œuvre d’individus isolés (comme à Notre-Dame de Paris ou à Orly).
Ces dernières semaines, d’autres faits divers troublants participent de manière insidieuse au climat ambiant comme ce fut le cas lors du drame de Sept-Sorts au cours duquel un "déséquilibré" a  imité les modes opératoires des terroristes pour tuer. 
Aujourd’hui, le nouveau Ministre de l’intérieur se voit confronté au même dilemme que ses prédécesseurs : que faire pour justifier au public que « tout est bien mis en œuvre » pour prévenir de nouvelles attaques ?

Interrogé au micro de la radio RTL, Gérard Collomb a indiqué travailler en collaboration avec le ministère de la santé et des psychiatres en vue de la mise en place d’un « protocole » permettant de renforcer la détection de profils à risque, c’est-à-dire, selon le Ministre, les personnes développant « des délires autour de la radicalisation islamique ».
Bien entendu, le lien effectué entre passage à l’acte et psychiatrie soulève un vif débat parmi les médecins, qui fut largement évoqué dans le JIM, et qui dépasse le cadre de cette chronique.
En outre, on peut s’interroger sur l’efficacité d’une mesure de signalement qui ne pourrait, tout au plus, que permettre de détecter un certain type d’individus. En effet, il semble peu probable que le membre d’une cellule organisée, pris d’un doute soudain sur sa santé mentale, consulte un psychiatre pour se livrer et dévoiler ses plans.

Enfin (et c’est là le cœur de cet article) il est possible de s’interroger sur les implications juridiques d’une telle mesure.

La mise en place de "protocoles" se heurte au secret médical

Que peut faire le médecin qui « détecte des profils dangereux»? En principe, le Code de la Santé Publique laisse peu de marge de manœuvre au médecin.
En effet, il reste lié par un secret médical qui s’étend à tout ce qui a été confié par le patient « mais aussi à ce qui a été vu, entendu ou compris ».
Faut-il comprendre par-là que le psychiatre, détectant des signaux de "radicalisation", ne peut procéder à aucun signalement ?
En 2016, l’Ordre National des Médecins avait tenté de répondre à cette question par la publication d’un « kit de formation à la prévention de la radicalisation » établi en lien avec le Ministère de l’Intérieur.
Pour l’Ordre, en présence d’individus présentant des signes de "radicalisation" « de nature à faire craindre un comportement dangereux de la part du patient » les médecins étaient invités à « se tourner vers les conseils départementaux pour solliciter avis et conseils ».
Certes, mais pourquoi faire ? En effet, le médecin ne peut transmettre au Conseil le nom du patient !

Une simple possibilité de signalement au Préfet ?

Il reste qu’à l’heure actuelle, un cas particulier permet au médecin de se délier de son secret médical en présence d’un majeur dangereux et radicalisé.
En effet, l’article 226-14 du Code Pénal autorise les médecin à informer le Préfet (ou à Paris, le Préfet de police) du «caractère dangereux » d’un patient « dont ils savent qu’il détient une arme ou qui a manifesté son intention d’en acquérir une ».
Le texte soulève toutefois une difficulté. En effet, les critères retenus pour permettre un signalement sont cumulatifs. Outre la "dangerosité" du patient (toujours délicate à évaluer), il est donc nécessaire que celui-ci possède une arme ou ait manifesté son intention d’en acquérir une. Reste à savoir ce qui peut être considéré comme une « arme »...
Bien entendu, la définition la plus évidente apportée par l’article 132-75 est celle de « l’objet conçu pour tuer » (fusil, pistolet…). Dans cette hypothèse, le signalement pourrait donc être possible. Mais qu’en est-il de la voiture utilisée comme une arme ?
En principe, l’article 132-75 du Code Pénal assimile à une arme « tout objet » dès lors qu’il est « utilisé pour tuer, blesser ou menacer ». Si la Cour de cassation a par le passé pu reconnaitre à une voiture le statut « d’arme par destination », il semble difficile de justifier le signalement d’un patient « dangereux » pour la simple raison qu’il possède une voiture (sauf dans l’hypothèse où il aurait manifesté son intention de l’utiliser comme une arme).

Quelle est la frontière ?

Sauf à imaginer une refonte du secret médical, la mise en place de ces « protocoles » semble se heurter à de nombreux obstacles juridiques.tout est bien mis en œuvre 
On peut s’interroger également sur les conséquences du débat d’un point de vue philosophique et juridique. En effet, intégrer une donnée psychiatrique dans le débat revient à remettre en cause la responsabilité des auteurs, aussi bien sur le plan pénal que sur le plan moral. En opérant ce lien périlleux, le ministre de l’intérieur risque de mettre le doigt dans un nouvel engrainage.

Charles Haroche (avocat à la Cour, charlesharoche@gmail.com)

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