Pour le psychiatre David Gourion, l’appel du ministre de l’intérieur aux médecins pour « identifier les individus radicalisés » est « aberrant ».
LE MONDE | | Propos recueillis par Henri Seckel
Lundi 14 août, un homme envoyait sa voiture contre une pizzeria de Sept-Sorts (Seine-et-Marne), faisant un mort. Une semaine plus tard, à Marseille, un autre homme tuait une femme en propulsant son véhicule sur des arrêts de bus. Dans les deux cas, les conducteurs présentaient des troubles psychologiques.
Vendredi 18 août, au lendemain des attentats à la voiture-bélier de Barcelone et de Cambrils (Espagne), Gérard Collomb disait vouloir « mobiliser les hôpitaux psychiatriques pour identifier les individus radicalisés » et « repérer l’ensemble de ces profils qui demain peuvent passer à l’acte ». Puis le ministre de l’intérieur pointait, mardi 22 août, les « esprits faibles pouvant se laisser aller à des actes de mimétisme ».
David Gourion, psychiatre libéral et ancien chef de clinique à l’hôpital Sainte-Anne, s’élève contre des mots qu’il juge « aberrants » et des propositions qu’il estime « inefficaces ».
Un psychiatre est-il capable de « repérer des profils qui peuvent passer à l’acte » ?
On voit à quel point c’est difficile puisque l’homme qui a foncé dans les arrêts de bus à Marseille avait passé récemment une visite psychiatrique et n’avait pas été signalé. Le psychiatre n’est pas infaillible, nous ne sommes pas de très bonnes machines à prévenir, d’autant qu’il n’y a pas de profil type du terroriste qui permettrait de prédire que telle personne a un risque important de commettre un acte, et telle autre n’en a aucun.
Existe-t-il des données sur un lien entre terrorisme et troubles psychologiques ?
La plus grosse étude sur le sujet, publiée en 2016 dans le British Journal of Psychiatry, a été menée auprès de 3 700 Anglais de 18 à 34 ans pour repérer ceux qui avaient un profil radicalisé, et voir quels éléments pouvaient être associés au risque de terrorisme, notamment en termes de troubles psychiatriques. Les résultats ont montré qu’au sein du sous-groupe le plus radicalisé, par rapport aux autres jeunes du même âge et de même niveau socio-économique, il n’apparaissait pas plus de pathologies psychiatriques. Cette étude a fait grand bruit, car ça faisait vingt ans qu’on nous disait « les terroristes sont des fous ».
L’homme à la camionnette à Marseille est-il un fou ou un terroriste ?
Quand on pose la question à M. Collomb, il dit que c’est un fou, pas un terroriste. Comment peut-il affirmer ça d’un côté, et dire de l’autre qu’il faut aller chercher les terroristes dans les hôpitaux psychiatriques ? Je voudrais comprendre la logique. Une étude américaine de 2014 distingue deux types de terroristes : ceux qui agissent au sein de filières organisées, et les « loups solitaires ». Chez ceux qui agissent en bande, il n’y a pas de troubles psychiatriques : pour commettre un attentat en bande, il faut des gens méticuleux, patients, attentifs, et pas des gens en grande détresse psychique. L’Etat islamique ne recrute pas dans les hôpitaux psychiatriques. A l’inverse, chez les personnes qui ont commis des actes comme à Marseille, on retrouve des taux de troubles psychiatriques plus importants.
Existe-t-il un effet de mimétisme chez les malades mentaux ?
Un rapport du Centre international de contre-terrorisme de La Haye datant de 2017 montre qu’il n’y a pas un effet d’entraînement de masse juste après un acte terroriste. Je ne suis pas en train de dire que le mimétisme n’existe pas : on vient de voir que si. Je dis juste que cette notion ne concerne pas les terroristes qui agissent en bande organisée, mais seulement des loups solitaires qui sont plutôt des personnes en grande fragilité psychique.
Certains terroristes sont des malades mentaux et peuvent commettre un acte isolé au nom de Dieu, mais dans une logique délirante plus qu’idéologique. M. Collomb est pris à la gorge par le contexte, alors il a tenu des propos aberrants sur un sujet qui n’est pas le sien, et proposé un peu vite des mesures qui seront inefficaces.
La proposition de M. Collomb pose également question sur le plan éthique, puisqu’elle remet en cause le principe du secret médical.
La loi nous délie du secret médical dans deux cas précis : quand on a affaire à quelqu’un de potentiellement dangereux et en cas de maltraitance d’enfant. Si j’ai un terroriste en face de moi, je suis obligé de le signaler, ça m’est régulièrement arrivé de faire des signalements, je n’ai pas de problème avec la transgression du secret médical pour une personne donnée. Par contre j’ai un problème avec une systématisation d’une collaboration entre le ministère de l’intérieur et les services de psychiatrie. Un psychiatre n’est pas un auxiliaire de police, il n’a pas vocation à faire du renseignement, il ne sait pas le faire.
Voir des personnes présentant des troubles commettre de tels actes est-il révélateur d’un mauvais état du secteur de la psychiatrie en France ?
La psychiatrie publique, en particulier, est dans une situation de très grande difficulté. Plus de la moitié des lits d’hospitalisation en psychiatrie ont été fermés en moins d’une vingtaine d’années, alors que le nombre de malades mentaux a augmenté. Certains patients sortent parfois trop tôt, dans des situations critiques.
On pourrait éventuellement faire un lien avec l’actualité, mais dans ce cas on aimerait entendre la ministre de la santé dire : « Je vais mettre plus de moyens, de lits, d’infirmiers, de médecins, de structures pour la réinsertion », plutôt que d’entendre le ministre de l’intérieur dire qu’il va nous transformer en mouchards.
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