La question est souvent tabou mais le mal-être est réel. En France, près d'un médecin sur deux serait en proie au burn out, a révélé le Centre national des profession de santé lors du premier colloque "Soigner les professionnels de santé vulnérables", ce jeudi 3 décembre. La profession s'organise pour résoudre collectivement ce fléau.
"Nous allons aborder un sujet trop souvent considéré comme "un non-sujet". La France fait souvent l'impasse sur la vulnérabilité des soignants."C'est par ces mots que le Pr Didier Sicard, président d'honneur du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a ouvert le premier colloque national"Soigner les professionnels de santé vulnérables", ce jeudi 3 décembre. Un temps fort qui a réuni une large palette de professionnels de santé, médicaux et paramédicaux, toutes spécialités confondues, mais aussi des représentants des directeurs d'établissements et autres institutionnels et syndicats, dans un lieu symbolique, l'Académie nationale de médecine. L'objectif ? "Sortir de l'ombre la question de la fragilité du soignant",poursuit Didier Sicard. Alors qu'en France, 12,6 % de la population est sujette au burn out, ce processus d'épuisement émotionnel puis de retrait psychologique, les soignants n'en sont pas à l'abri. Bien au contraire.
En France, 2 à 10 % d'une profession touché par le burn out
"Le burn out touche l'ensemble des professions. Il s'agit d'une fatigue chronique, un état durable dans le temps. On estime que 2 à 10 % d'une profession est touché", détaille Didier Truchot, professeur de psychologie sociale du travail et de la santé à l'université de Franche-Comté. L'universitaire a fait part des dernières études sur le sujet. Et les chiffres alertent : en Picardie, par exemple, une enquête encore en cours démontre que 10% des médecins libéraux sont sous anxiolytiques. "Nous avons interrogé par ailleurs 1 890 médecins dans cinq régions françaises sur la question de la détresse psychique. Il s 'avère que 27 % d'entre eux ont déjà eu des idéations suicidaire. Dont 6,6 %, durant les six derniers mois", poursuit Didier Truchot. Une autre étude de l'Observatoire français des drogues et toxicomanie fait état de conduites addictives dans la profession. Près de 12 % des médecins seraient concernés. Des chiffres que conforte l'enquête menée par le Centre nationale des professions de santé (CNPS) en vue de la préparation de ce colloque. Courant 2015, 1 905 professionnels de santé ont été interrogés, parmi eux près de 1 400 médecins mais aussi de sages-femmes, pharmaciens, infirmières, biologistes, vétérinaires, chirurgiens dentistes… 50 % d'entre eux sont ou ont été concernés par le burn out et 13 % par des problèmes d'addictions.
Épuisement émotionnel, cynisme et dépersonnalisation du patient, sentiment d'accomplissement personnel réduit sont quelques symptômes qui peuvent affecter les soignants. Avec des répercussions pour le patient : l'état de santé du professionnel joue sur la qualité des soins. "Un médecin qui aura des problèmes d'alcool ne verra par exemple pas forcément ceux d'un patient", note Didier Truchot. Et l'erreur médicale peut être proche. D'autant que les professionnels de la santé refusent souvent de s'occuper de leur cas ou tentent une automédication pas toujours adaptée. Les professionnels présents ce jeudi ont prôné une clé : le dialogue. "La prévention est l'aspect le plus important. Mais il ne faut pas avoir peur de passer la main. C'est aussi à l'encadrement de rassurer, de faire participer", détaille Roselyne Vasseur, directrice des soins missionnée sur la qualité des soins dans seize Ehpad de Paris.
Des outils pour aller mieux
Localement, et sous l'impulsion de syndicats et spécialités, les initiatives naissent pour rétablir ce dialogue et mettre des mots sur les maux. Le Collège français des anesthésistes réanimateurs (Cfar) a par exemple mis en place une plateforme d'autotest anonyme à réaliser en ligne. Une version collective permet aussi, toujours de manière anonymisée, de mesurer la forme psychique dans les équipes. Puis d'en parler. "Depuis 2013, nous avons eu plus de 5 000 connexions, 3 700 tests réalisés. Preuve que cela répond à un réel besoin", explique Ségolène Arzalier-Daret, membre de la commission santé médecins anesthésistes réanimateurs du Cfar. Les outils mis en place par le collège ont d'ailleurs vocation à s'étendre à d'autres spécialités. Les chirurgiens dentistes ou les kinésithérapeutes se sont aussi penchés sur ces questions, en Midi-Pyrénées notamment, tout comme le Service de santé des armées. Une plateforme d'entraide, des professionnels aux professionnels, a vu le jour cette année via l'association régionale d'entraide du Nord Est (Arene). Un dispositif confraternel. Mais l'enjeu de ce colloque, c'est bien de faire émerger des solutions communes et de créer une impulsion nationale. "Le but c'est de sortir d'ici avec des propositions concrètes. Nous allons voir avec le ministère de la Santé s'il peut nous aider à développer ce mouvement", a résumé le Dr Éric Henry, vice-président du CNPS. Organisé à l'initiative du Pr Pierre Carayon, professeur émérite de l'université de Franche-Comté, ce colloque aura permis de mettre sur la table une question parfois vitale pour les soignants. Une deuxième édition pour poursuivre dans cette voie est déjà dans toutes les têtes.
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