L’année 2015 est censée être celle des premiers bilans des Objectifs du millénaire pour le développement. Lancé par l’ONU en 2000, ce plan pour éliminer la pauvreté, approuvé par tous les pays du monde, n’a pas réussi à s’imposer en tête de l’agenda international. Les résultats sont mitigés, voir mauvais dès qu’on se penche sur les régions les plus déshéritées. Le nombre de pauvres a ainsi doublé en Afrique en vingt ans (210 millions en 1981, 420 millions en 2011).
Dans son dernier ouvrage, Bertrand Badie, professeur de relations internationales à Sciences Po, explique pourquoi les Etats répugnent à promouvoir le développement social dans le monde : peur d’y perdre leur souveraineté, crainte de devoir cotiser, enracinement dans une vision politico-militaire des relations internationales. Les acteurs continuent d’envisager la mondialisation avec une mémoire et un savoir d’un autre temps, celui du congrès de Vienne (1815), de la domination du monde par un petit nombre d’Etats occidentaux et des guerres régies par les rapports de puissance.
Pour régler les crises liées à l’absence d’institutions, à la précarité du lien social, à une misère ambiante, les Occidentaux recourent à des solutions politico-militaires, comme en témoigne l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011.
« L’intersocial »
Or, nous dit Bertrand Badie, « les conflits n’ont plus rien à voir avec les guerres de notre histoire : ils se déroulent sans Etat, sans armée, sans confrontation de puissance, hors de ce cadre territorial servant de moule aux Etats et les opposant entre eux ».
Désormais, ce sont les catastrophes naturelles, le dérèglement climatique, les famines, chroniques ou épisodiques, et les migrations clandestines qui dominent notre vie quotidienne. Nous ne vivons pas un « moment international », mais nous sommes dans « l’intersocial », à savoir dans un espace interdépendant où les relations entre les sociétés régissent les affaires du monde. Dans cette nouvelle configuration, tout le monde est lié, le faible au fort, certes, mais, de plus en plus aussi, le fort au faible. « Les souffrances des autres deviennent mécaniquement les nôtres. Cette intersocialité court plus vite que la décision, analyse le sociologue. Elle produit son effet avant même que le politique ne le prenne en charge. »
La trentaine de chroniques publiées dans les colonnes de La Croix entre 2009 et 2015 qui composent cet ouvrage propose une lecture aussi audacieuse que lucide de la mondialisation. Impuissance, humiliation, mépris, ignorance, racisme… Notre monde est un monde de souffrances qu’on gagne à décrypter comme tel. Cette grille d’analyse est le socle d’un second ouvrage de Bertrand Badie, codirigé avec Dominique Vidal. S’appuyant sur de solides ressources statistiques et sur d’innombrables exemples, sur les cinq continents, les spécialistes qui ont contribué à ce volume en décortiquent les mécanismes et fournissent quelques pistes pour tenter de les combattre.
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