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jeudi 30 juillet 2015

Au bout du fil, la solitude des personnes âgées

LE MONDE  | Par 

« C’est un masturbateur. » Marie (elle souhaite rester anonyme) chuchote en éloignant le combiné. Emmanuel Roy lui répond par un regard entendu. Les masturbateurs représentent « à peine 5 % des appelants », précise M. Roy, qui gère la plate-forme parisienne de la ligne téléphonique Solitud’Ecoute, un numéro vert animé par des bénévoles des Petits Frères des pauvres sept jours sur sept, de 15 heures à 18 heures. « L’autre jour, je lui ai pris la main, poursuit l’appelant. Elle n’a rien dit. Elle m’a serré la main. Ça m’a émoustillé… » Marie reste patiente. En aparté : « C’est un retraité veuf. Tout le monde le connaît. Il fantasme sur son aide ménagère. Quand il commence à entrer dans les détails, je ne le laisse pas aller plus loin. » De fait, elle coupe court : « On connaît la suite, monsieur. Allez, bonne journée ! »

Créé en 2007, Solitud’Ecoute s’adresse aux personnes de plus de 50 ans et traite quelque 16 000 appels par an. « Ceux qui appellent régulièrement occupent la moitié du temps d’écoute », rapporte M. Roy. En France, l’été est une période où les personnes âgées se sentent davantage isolées. Les plus de 65 ans représentent 20 % de la population mais presque un tiers des suicides (28 %, soit 3 000 suicides par an, données CEPIDC-Inserm).

Le téléphone sonne de nouveau : « J’avais envie de parler à quelqu’un », annonce une voix féminine. « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
– C’est très dur.
– Vous êtes sortie un peu ?
– Non. Je peux à peine décoller du lit. J’ai fait un effort pour manger, c’est déjà énorme pour moi.
– Et les courses ?
– J’ai l’aide-ménagère mais cette semaine, avec le 14 Juillet férié, elle n’est pas venue ».


« Je garde les volets fermés »


L’appelante est une habituée. Elle vit seule et souffre d’un handicap physique. « La période des vacances, c’est toujours l’angoisse, tout le monde est éparpillé, explique t-elle. Et ma famille ne vient jamais me voir. » Marie l’interroge sur ses voisins. Rares et absents. « Je garde les volets fermés, ils doivent penser que je suis bien chez moi mais c’est parce que j’ai honte. » La conversion évolue vers des sujets plus légers. Au bout d’une demi-heure, Marie annonce qu’elle va raccrocher pour prendre un nouvel appel.

Cette fois, c’est une voix guillerette qui se fait entendre. « C’est qui ? », interroge l’appelante. Elle tente de deviner. Egraine une liste de prénoms et parvient à identifier Marie. « C’était votre anniversaire cette semaine ! Vous avez soufflé vos bougies ? Tout le monde va bien chez vous ? » Mme T. est avide d’échange mais Marie reste évasive. Elle est d’abord écoutante et tient à son anonymat. Mme T. se résout à commenter sa journée : « Aujourd’hui, je passe pas l’aspirateur ! Ah, il fait chaud. J’ai le visage qui colle. Ce soir y a un truc complètement idiot à la télé, Qui veut épouser mon fils ? Ben, pas moi ! Ils sont moches en plus. Je vais regarder la 17, un truc sur les enchères surprises… ». Et puis elle lâche : « Vous n’êtes pas bavarde aujourd’hui.
– Je suis là pour vous écouter.
– Ah, ne dites pas ça ! J’ai horreur de ça. »


Curatelle et douleurs d’estomac


Marie connaît bien Mme T. : « Elle appelle depuis dix ans. On est un peu sa famille. » L’appel a duré 13 minutes. Le suivant, à peine quelques secondes. Une habituée encore, à la voix faible et hésitante : « Je suis sortie aujourd’hui, j’ai pris la voiture pour aller voir une infirmière. Autrement, rien d’autre. Je me repose à l’ombre. » La femme raccroche soudainement. « Elle se remet petit à petit d’une grosse dépression », explique Marie.

Le téléphone sonne encore. Un homme entame timidement une conversation : « Quel temps fait-il à Paris ? » Marie répond brièvement, l’homme meuble, évoque ses voyages à Paris, le Quartier latin et la butte Montmartre. « Que vous dire de plus que je suis à Nantes et que je me fais chier… J’ai pas à me plaindre, je ne suis pas sur un lit d’hôpital mais la solitude, c’est dur, parfois. Ça fait 24 ans que je suis tout seul dans mon appartement. » Marie et l’homme évoquent leurs goûts musicaux, Charles Aznavour, Julien Clerc. Parlent de la Bretagne. Et puis se quittent.

La bénévole de 62 ans va encore parler avec Madame N., qui n’a plus toute sa tête, recompte sans cesse à voix haute ses économies, et parle de sa curatelle, de ses semelles orthopédiques et de ses douleurs d’estomac. La journée se conclura avec Mme J., qui vit « toute seule » et essaie de ne pas « se replier totalement » sur elle-même. « Je fais l’effort d’appeler, pour entendre une voix. » Mme J. a 60 ans et vit « seule depuis la mort de Maman ». Depuis dix ans, elle a une relation houleuse avec un homme de 80 ans. Elle s’en ouvre à Marie. L’infidélité du monsieur, son caractère colérique, sa prise de distance. « Je me disais qu’il allait avoir besoin de quelqu’un pour le soigner, se souvient Mme J. Mais aujourd’hui j’attends un coup de téléphone de quelqu’un qui ne m’appelle pas. »

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