LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Propos recueillis par Catherine Mary (propos recueillis par)
Gisli Palsson est professeur d’anthropologie à l’université d’Islande à Reykjavik et professeur associé à King’s College, à Londres. Il est l’auteur ou le coauteur de plusieurs livres, dont Anthropology and the New Genetics (Cambridge University Press, 2007) et Biosocial Becomings : Integrating Social and Biological Anthropology (Cambridge University Press, 2013), explorant le sens que prennent les notions de biologie ou de génétique dans nos sociétés contemporaines. Il a récemment lancé, avec Barbara Prainsack, professeure de sciences politiques à King’s College, un projet de réflexion sur de nouvelles formes de biogouvernance à la hauteur de ces enjeux.
La nouvelle génétique, expliquez-vous, est venue remanier le paysage des différences entre les êtres humains. Qu’entendez-vous par là ?
La nouvelle génétique, apparue avec la découverte de la double hélice d’ADN, puis qui s’est développée dans les 1990 avec le séquençage du génome humain, est vraiment venue bousculer notre rapport à l’histoire. Il y a cent ans, l’anthropologie physique dominait. Elle consistait à étudier la diversité des groupes sur la base de leurs différences biologiques, comme la couleur de peau ou la forme du crâne, et ces études, recoupées avec les études archéologiques, venaient alimenter les récits sur les origines. Les Islandais avaient leur saga, les juifs leurs écrits, les Français leur littérature médiévale, etc.
Depuis les années 1990, l’ADN s’est peu à peu substitué à ces matériaux, ce qui permet d’écrire une histoire de l’humanité tout à fait différente. Ce genre de découverte vient radicalement modifier le récit des origines, sur lequel se fondent le sentiment d’appartenance à un peuple.
Ce sont des questions qui sont hautement discutées entre les anthropologues, même si elles préoccupent peu les généticiens. Pour nous, anthropologues, il est important d’essayer de comprendre dans quelle mesure l’approche par la génomique modifie les notions traditionnelles de race et de hiérarchie sociale. Si le terme de « race » a été écarté, il peut tout à fait ressurgir sous la forme d’étiquetage des génotypes, de populations ou de groupes ethniques. Nous nous intéressons à ses retombées en termes de biomédecine et de santé publique, ainsi qu’à la manière dont elle façonne les relations sociales et la notion d’appartenance.
Que pensez-vous de l’étude islandaise sur le lien entre variations génétiques, généalogie et prédisposition aux maladies ?
Les études menées par la société deCODE Genetics ont permis de cartographier le génome de milliers d’Islandais. Cela a une résonance particulière en Islande, où, depuis des siècles, la généalogie des familles est consignée dans des registres, récemment numérisés par deCODE. Il y a donc une occasion inédite de relier les données génomiques et médicales à celles sur l’histoire des familles, afin de comprendre la contribution des variations génétiques à la survenue de maladies telles que le cancer du sein ou la maladie d’Alzheimer. De ce point de vue, l’Islande est un très bon laboratoire, que deCODE explore de manière systématique. Mais malgré l’importance de ces informations pour la biopolitique, la santé publique et le citoyen, elles n’en restent pas moins extrêmement sensibles. Les défis qu’elles posent, ainsi que leurs enjeux, exigent des considérations particulières et des institutions à la hauteur.
Comment faire face à ces défis ?
Les citoyens sont demandeurs d’études génétiques, comme le démontre le succès de la société 23andMe. Mais une prise de conscience est nécessaire. Il y a un risque évident que le savoir issu de ces études soit instrumentalisé par les sociétés d’assurances, par les gouvernements ou par les employeurs à des fins discriminatoires. De nouveaux modèles de gouvernance, autres que ceux fondés sur le néolibéralisme, l’individualisme ou l’étatisme doivent être développés afin d’instaurer un véritable dialogue démocratique autour de ces questions. Il faut que les sciences sociales et les citoyens soient impliqués. Le rapport rédigé par Barbara Prainsack et Alena Buyx pour la Nuffield Foundation of Bioethics, « Solidarity : Reflections on an Emerging Concept in Bioethics », propose par exemple de réfléchir à l’application du principe de solidarité à ces questions. Je pense qu’il y a là une voie intéressante à explorer.
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