Moins de femmes dans les essais cliniques, plusieurs pathologies sous-diagnostiquées en population féminine, etc. Le « sexisme » n’épargne pas les pratiques médicales. Mais les lignes semblent bouger avec une prise de conscience croissante du problème et de plus en plus de données permettant de mieux comprendre les spécificités féminines en matière de santé.
« Les femmes représentent moins du quart des personnes testées dans les essais cliniques, ce qui entraîne une méconnaissance de l’efficacité et de la sûreté de nombreux médicaments en population féminine ». Le 28 mai, à l’occasion de la Journée internationale d’action pour la santé des femmes, l’association de patients en ligne « Caretiny.com » dénonçait cette sous-représentation et alertait plus globalement sur les « inégalités de santé entre les femmes et les hommes ». À l’heure où la science et le législateur offrent désormais aux femmes des possibilités « d’émancipation » majeures comme la congélation des ovocytes, la médecine « de tous les jours » seraient-elles sexistes ?
La femme n’est pas un homme comme les autres
En septembre 2014, la journaliste Peggy Sastre, proche des féministes, publiait Le sexe des maladies (Éditions Favre). D’où il ressort que la femme n’est pas un homme comme un autre. Ainsi, constate la journaliste, « même si les hommes et les femmes ont beaucoup de gènes en commun, ces derniers ne s’expriment pas tous de la même manière selon le sexe et selon les tissus concernés ». Selon une étude récente, jusqu’à 2,5 % de nos gènes s’exprimeraient différemment selon le sexe.
Une médecine encore très « unisexe »
Malgré cela, la recherche et la pratique médicale restent encore très « unisexes », fondées sur des études menées majoritairement chez l’homme puis extrapolées aux femmes. De fait, seules 20 % des expérimentations animales sont réalisées sur des femelles, pointait en 2010 une étude dans Nature (Kim AM et al). Et les femmes représentent moins du quart des patients inclus dans 46 essais cliniques analysés en 2006 (Geller SE et al, Journal of Women’s Health). « Entre 1997 et 2001, 8 médicaments sur ordonnance sur les 10 retirés du marché américain l’ont été à cause d’effets secondaires bien plus nombreux et dangereux chez les femmes – et dont une bonne partie aurait pu être évitée si les études cliniques de ces substances avaient enrôlé davantage de participantes », estime Peggy Sastre dans son blog (slate.fr).
Mais pourquoi cette sous-représentativité du sexe féminin ? Il y a d’abord une explication physiologique : l’absence de cycle menstruel, dans le sexe mâle, évite les variations hormonales. Plus stables, les résultats seraient plus faciles à analyser. Il y a aussi la volonté de protéger les femmes en âge de procréer et leur descendance.
Pour autant, aux États-Unis, sous la double pression de femmes médecins et de représentantes démocrates du Congrès, la NIH – qui ont le plus gros budget au monde de recherche en biomédecine – ont rédigé le NIH Revitalization Act (NIH-RA), signé dès 1993 par le Président Clinton. Cet acte oblige les laboratoires à inclure les femmes et les personnes issues des minorités dans leurs projets. En 1993 également, la FDA révisait les règles sur la participation des femmes dans les essais cliniques et permettait leur inclusion, même dans les premières phases d'expérimentation, à condition qu'elles aient recours à une contraception. Elle exigeait aussi des sociétés pharmaceutiques la soumission de données aussi bien sur les femmes que sur les hommes, en rapport avec leurs essais cliniques.
L’infarctus, une pathologie emblématique
Au-delà de la recherche, dans la pratique médicale, les différences liées au sexe sont-elles connues ? Et sont-elles prises en compte ? La cardiologie semble avoir une longueur d’avance, du moins en termes de prise de conscience du « problème ». « L'infarctus de myocarde est l'exemple type de l'interaction entre sexe et genre dans la détection, l'expression et traitement de la maladie », expliquent les auteurs de la note du Comité d’éthique de l’Inserm, « Genre et recherche en santé », publiée en juin 2014. « Alors que cette affection est la première cause de mortalité chez les femmes aux États-Unis et en Europe, elle a été longtemps sous-diagnostiquée chez les femmes par le corps médical, qui voyait l'infarctus comme une maladie “masculine”, caractéristique des hommes d'âge moyen stressés au travail. Les médecins étaient plus enclins à prescrire des tranquillisants aux femmes se plaignant de fatigue et d'essoufflement, passant ainsi à côté du diagnostic de trouble cardiaque. »
Un an plus tard, le sujet est toujours d’une brûlante
actualité. Un groupe de travail de la Société Européenne de Cardiologie a compilé la littérature sur les différences hommes/femmes. Le 6 mai, ils publiaient leurs résultats dans l’European Heart Journal. « Ce travail confirme l’existence de différences de réponse aux médicaments pour des raisons biologiques avec des effets indésirables plus fréquents et plus graves chez les femmes, moins incluses dans les essais cliniques », commente Christian Funck-Brentano, pharmacologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).
Le 18 mai, la Société Européenne de Cardiologie annonçait de nouveaux résultats du registre suédois SWEDEHEART, incluant 51 620 patient(e)s suivi(e)s 12 mois après un infarctus. Où il apparaît que les facteurs de risque cardiovasculaire sont moins bien contrôlés chez les femmes. Deux explications : une moindre capacité – des médecins ou des femmes – à reconnaître l’importance du contrôle des facteurs de risque chez les femmes ; et/ou un niveau d’effets secondaires des médicaments supérieur chez les femmes.
Preuves à la fois que la question du sexe et du genre en médecine mérite d’être posée et que les lignes commencent à bouger, avec de plus en plus de données sur les spécificités féminines. Reste à transformer l’essai en adaptant les prises en charge. En début de semaine, la France accueillait le premier colloque sur le sujet tandis que le comité d’éthique de l’Inserm organisait toute une matinée de réflexion autour du thème « Genre et recherche en santé ».
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